L’effet Goncourt, c’est que je n’aurais jamais eu envie d’ouvrir Le Soleil des Scorta s’il n’avait eu le Prix Goncourt, Laurent Gaudé.
Ça ne change pas grand-chose puisque je l’ai vite refermé. « C’était bien lui. Elle l’observait comme on fixe le destin dans les yeux. Elle lui appartenait déjà. Il n’y avait pas à lutter. Elle lui appartenait. Puisque après quinze ans il était revenu et avait frappé à la porte, peu importe ce qu’il lui demanderait, elle donnerait. Elle consentirait, là, sur le pas de sa porte, elle consentirait à tout. » Que voulez-vous, convenez que quand on lit ça, on croit avoir affaire à un pastiche (de Guy des Cars).
Quand on lit ça, on n’a rien lu, et pourtant, c’est comme si on avait tout lu de Laurent Gaudé.
Mais peu importe le Gaudé, car c’est de critique et de Goncourt que je veux parler.
C’est la mode de dire que la critique est facile. Si on le répète autant, c’est que justement c’est pas vrai. La critique, c’est un art en péril aujourd’hui. Elle est mourante, la critique, même s’il reste des critiques bien nourris et en bonne santé, des tas.
Tenez, Assouline, par exemple, capable parfois de touchants élans de sincérité, eh bien lui aussi se sent obligé de nous seriner l’antienne des jurés Goncourt repentis (sur son blogue). Mais ça ne prend pas. Les jurés Goncourt font plutôt penser à de vieilles putes ratatinées qui essaient de s’acheter une conduite. Leur influence s’est réduite ces dernières années, comme peau de chagrin. Le Goncourt, qui n’a jamais été un gage de qualité, n’est même plus un gage de quantité ! En élisant Gaudé, qui a déjà vendu 80000 exemplaires de son roman de gare, ils se sont mis à l’abri de ce genre de remarque ironique, voilà tout. C'est qu'il y a de la concurrence entre les jurys, on digère moins peinard chez Drouant qu'autrefois.
Quant à Patrick Besson, dont je gage, avant même de l’avoir parcouru, que le dernier recueil de chroniques paru (Solderie) est un meilleur remède pour l’esprit que tous les Goncourt - mettons de ces cinquantes dernières années -, c'est presque le dernier à tenter de jouer le jeu de la critique.
Regardez-le bien, c’est un mec costaud et habile, Patrick Besson. À mon avis, il préfigure ce que devra être le critique post-moderne s’il veut survivre dans cette jungle, trancher la tête au crotale Savigneau d’un revers de plume, écraser du talon l’aspic Nourrissier, fendre le crâne du bœuf Durand : un mec costaud, du ciboulot comme du biceps, un vrai Rambo des lettres, d’origine yougoslave si possible, ça impressionne l’adversaire.