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La Bataille finale

L'érudit Georges Dumézil, expert ès religions païennes - surtout de la romaine -, distribue les mythes antiques en trois, voire quatre fonctions de l'homme qu'il note F1, F2, F3 et F4, de la plus noble à la plus basse : F1 : fonction scientifique ; F2 : fonction de commandement ; F3 : fonction morale, sentimentale ; F4 : fonction "noire", regroupant les activités troubles ou malhonnêtes de l'homme (je reprends de mémoire une classification qui ne prétend pas être d'une grande rigueur, même si Dumézil va jusqu'à rattacher tel ou tel clan et province irlandais à telle ou telle fonction humaine ainsi délimitée.)

Etonnement de Dumézil car, alors même que le dernier côté du carré - la fonction dite F4 -, semble ne recouvrir qu'un aspect marginal des activités humaines, le "côté sombre de la force" comme disent les gosses aujourd'hui, lors de la "bataille finale" qu'on retrouve dans presque tous les récits mythologiques (le cinéma yanki entretient les rêves dans la religion laïque depuis quelques lustres), la fonction F4 a pris le dessus en quelque sorte sur les trois autres, l'issue de la bataille étant donc plus qu'indécise.

Dumézil aurait pu rapprocher ce "phénomène" dont le sens lui échappe du : "Il y a beaucoup d'appelés mais peu d'élus", du Testament chrétien, qui ne doit pas être compris comme une "menace" prononcée par une autorité morale, mais comme un constat "historique" (eschatologique).

Si on prend la guerre de Troie pour un récit de bataille finale et qu'on y prête bien attention, on peut observer, et c'est même ce qui fait la difficulté pour le lecteur de se positionner derrière les Troyens ou derrière les Achéens sans hésiter, que cette guerre de dix ans n'oppose pas F1 ou F2 à F4, mais bien plutôt F1-Athéna à F2-Apollon, Zeus et Poséidon semblant adopter une attitude plus ou moins neutres. L'énigme de Dumézil paraît donc quasiment résolue par Homère. Le problème de Dumézil vient de ce qu'il applique une grille de lecture anthropologique à des fables qui ne le sont que peu, voire pas du tout. Chez Lévi-Strauss, l'effet de mirage est encore plus grand, qui l'entraîne à intégrer aux mythes laïcs, qui composent une véritable "mythomanie" laïque, des aspects d'une mythologie laïque extrapolée, l'idée idiote selon laquelle la société se construit contre l'inceste, quand l'inceste est d'abord un tabou capitaliste/laïc (qui trahit l'obsession morale).

On est bien sûr encouragé à lire l'"Iliade" comme un récit apocalyptique par le fait que ce récit a fait couler beaucoup de théologie, à commencer par celles d'Eschyle, Sophocle ou Shakespeare, pour ne citer que des auteurs écrivant dans le marbre et possédant le sens supérieur de la prose. On opposera à juste titre que la prise d'Ilion n'est pas "finale", puisque Enée s'échappe, d'une part, et va fonder Rome, la mère des nations chrétiennes ; pour Ulysse d'autre part le plus dur reste à faire, puisque ayant acquis la gloire, il lui faut encore retourner à Ithaque auprès de Pénélope à qui il semble presque aussi attaché que Dante Alighieri à sa Béatrice.

Mais la dialectique de l'histoire chrétienne elle-même, rassemblée dans la vision de Jean à Patmos, ne se ramène au seul aspect d'une bataille finale entre des combattants cuirassés.

Ce qui rapproche en outre l'imaginaire des fables grecques de l'imaginaire chrétien, outre le simple fait que la Bible traite une partie de la mythologie grecque comme un pan de l'histoire, tandis que les autres mythologies, celtiques ou germaniques paraissent moins subtiles (tout en l'étant beaucoup plus que le cinéma hollywoodien avec ses grotesques voyages dans le temps et son décorum de supermarché), c'est le peu d'importance accordée à des astres tels que la lune ou le soleil, qui dans les mythes païens barbares correspondent souvent à des divinités majeures. Athéné et Apollon qui s'opposent en outre représentent deux sortes de beauté et de lumière différentes telles que les Evangiles les présentent aussi, antagonistes.

 

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