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Platon ou Marx ?

Le régime soviétique est plus près du communisme de Platon que de Marx. De l'aveu même de Lénine, la révolution bolchevique a vite pris un tour religieux funeste. Lénine sait pour l'avoir lu qu'il n'y a pas de République, encore moins d'Etat chez Marx.

En somme l'Union soviétique a connu, entre la religion paysanne et la religion bourgeoise à laquelle elle s'est rendue, un culte de la fonction publique, comme la France avant elle. La brutalité de l'administration soviétique s'explique en grande partie par la vitesse à laquelle cet Etat gigantesque est passé d'une économie agraire au stade d'une technocratie moderne. Cette brutalité a donc une cause analogue à celle qui précipita les Etats du Nord dans un affrontement contre leurs voisins du Sud des Etats-Unis. Le besoin de "modernisation" est encore un motif suspect aux yeux de Marx, qui le désigne comme un argument libéral d'abord, occultant le jeu des forces conservatrices dans le déroulement des révolutions. Si la révolution anglaise a moins fait couler le sang, explique Marx en substance, c'est parce que l'aristocratie britannique s'est embourgeoisée progressivement et adaptée plus vite à la nouvelle donne économique, prenant possession de l'Etat plus subtilement. A peu près acquis aux idées des Lumières, qui n'envisageaient pas le saccage des symboles de la monarchie, c'est d'ailleurs ce que Louis XVI et ses ministres ont tenté : un virage politique "à l'anglaise".

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Le dernier dévot que j'ai entendu parler de Platon en termes élogieux, faisant valoir l'actualité des valeurs platonicienne, est une dévote : feu Jacqueline de Romilly.

Ainsi Platon serait le père du totalitarisme moderne ? C'est un peu exagéré, car bien qu'il soit de tous les philosophes grecs un des plus religieux, Platon ne légifère ni ne philosophe dans le vide, abstraitement, comme c'est le cas du légiste républicain moderne quand il promulgue des lois inapplicables, pour servir la propagande de l'Etat républicain, blanchir des expéditions militaires de nature impérialiste.

Athènes n'a jamais compté plus de quelques centaines de milliers d'Athéniens, esclaves et citoyens confondus. Quand la Chine aujourd'hui, qu'on s'efforce hypocritement ou diplomatiquement de convertir à la démocratie, compte des millions d'esclaves. Platon serait donc un imbécile, si son principe démocratique ne revenait pas à remettre le pouvoir entre les mains de l'élite d'un Etat qui a la taille d'une grande métropole, contrairement aux barbares alignés derrière un chef militaire.

Dans l'ordre des moyens et de l'organisation morale où la politique impose ses lois, le critère quantitatif ou mathématique n'est pas le moindre, puisqu'il est primordial. La religion s'impose comme le meilleur moyen de diriger ou manipuler de véritables marées humaines, quand Athènes pouvait se contenter d'une simple philosophie plus éclairée, d'une morale moins puritaine.

L'absence de puritanisme est aussi une raison pour laquelle on pourrait éprouver de la nostalgie de Platon et sa République. Ce serait se tromper encore et méconnaître la loi du puritanisme. Celui-ci a pour principale fonction de régler les moeurs d'Etat plus vastes, suivant la vieille règle de la division entre une classe de possédants et d'usufruitiers (qui ont le loisir de jouir), et une classe de besogneux, qui n'ont que le loisir de besogner en attendant leur tour.

Imposer l'épicurisme en Chine ? Vaste blague de curé républicain cynique, oublieux que l'hédonisme occidental est d'ores et déjà le chiffon rouge que les régimes tyranniques sous-développés agitent devant leurs sujets.

Commentaires

  • Platon semble assez bien averti que ses inventions spéculatives sont des hypothèses...il en est d'autant important comme "hypothétiseur" et non "hypostatiseur"...en faire le doctrinaire de la Théorie des Idées est omettre de mentionner que celle-ci est une hypothèse de travail pour lui...les déconstructeurs proto ou post-modernistes ont ou pas lu lePhilèbe...ils devraient peut-être...gk

  • - Je veux démontrer que la référence à Platon des régimes républicains modernes n'a qu'une explication : elle participe du renfort idéologique fourni par l'éthique républicaine aux régimes libéraux. Celui-ci paraît beaucoup plus pur et acceptable sous le jour de l'idéologie républicaine, quand le seul aspect de la concurrence capitaliste effrénée et cynique donnerait la nausée au plus grand nombre.
    - Bien sûr l'idéal républicain de Platon est parfaitement inadapté à la donne moderne et l'organisation d'Etats gigantesques.
    - Karl Marx, farouchement antirépublicain (c'est là une bien meilleure raison pour le proscrire aux Etats-Unis que ses analyses économiques) définit le platonisme, l'épicurisme et la morale cyrénaïque, après avoir étudié le processus de la décadence des Grecs, comme la formule idéologique empruntée par les Romains aux Grecs. On voit d'ailleurs que les solutions politiques de Platon sont déjà, au stade du vaste empire romain, inadaptées. De cette inadaptation, César a su parfaitement tirer profit pour instaurer la dictature.
    Tout au plus la démocratie satisfait à l'organisation interne des Etats-Unis (à condition d'occulter son caractère oligarchique), mais dans sa politique impérialiste les Etats-Unis s'affranchissent complètement des règles démocratiques ; ils ne sauvent les apparences que pour les besoins de leur politique intérieure.

  • ...ce renforcement idéologique par l'utilisation de Platon semble un fait historique que vous décrivez bien...mais, il y a comme un danger d'nachronisme en autant que Platon vivait à une époque où l'organisation de la reraté était le souci principal alors que, suite aux développements manufacturo-industriels, les penseurs sociaux, tels que Marx et al., se voyaient déjà comme les thuriféraires de l'organistion de l'abondance...la redécouverte des oeuvres politiques de Platon par les "républicains" semble bien sujette à des limites elles-mêmes matérielles...peut-être que, comme Mandeville entre autres, tenir compte de la séquence "timocratie, oligarchie, démocratie et tyrannie et retour", aurait permis aux républicains de l'époque d'être plus complet dans leur reprise de Platon...gk

  • - L'idée que Marx et Engels font oeuvre sociologique ou philosophique vient des idéologues soviétiques. De même l'idée que la doctrine de Marx est compatible avec un Etat puissant, bien que Lénine reconnaisse que la puissance de l'Etat traduit l'absence de liberté. Lénine admet que l'Etat est l'incarnation du mensonge, et que sa mécanique est une mécanique ecclésiastique.
    - Ce que les analyses sociales de Marx et Engels démontrent, c'est que les sociétés ont des mobiles pratiques, systématiquement maquillés en mobiles mystiques et religieux ; au contraire la sociologie moderne justifie la société ; elle ne fait que reprendre la vieille thèse du "droit naturel" et poser plus fermement encore le principe du "progrès social", dont Marx fait remarquer qu'il est une idéologie juridique, entièrement faite de belles promesses ("droits de l'homme", "égalité"), qui ne seront jamais tenues, et dont le but est de tenir les opprimés en haleine, exactement comme fut la menace de l'enfer et la promesse du paradis ou du purgatoire précédemment. Autrement dit la morale républicaine moderne est pour Marx un platonisme de bazar.
    - Il n'est pas inintéressant de comprendre pourquoi Lénine est plus libéral, plus méfiant à l'égard de l'Etat qu'un membre du 'Tea Party'. Il sait parfaitement que la taille d'un Etat et sa puissance sont à peu près proportionnels à la confusion dans l'esprit des citoyens de cet Etat entre la notion de propriété et celle de liberté, c'est-à-dire entre un sentiment et une réalité, parfaitement contradictoires.
    Les soi-disant libéraux du "Tea-Party" voient dans l'Etat un concurrent de leurs avoirs propres, probablement obnubilés par la soif de l'or, et ne voyant pas que l'Etat est LE MEILLEUR GARANT DE LA PROPRIETE et des prises de guerres des Etats-Unis. C'est au contraire en tant que garant de la propriété que l'Etat n'est pour Lénine qu'une somme de mensonges religieux.
    Le concept de "gouvernement mondial", c'est-à-dire d'un Etat ayant atteint l'enflure maximale, traduit de la part de ses concepteurs une aliénation proche de celle d'un robot ou d'un ordinateur, incapable de penser autrement qu'en termes de potentiel et de système d'exploitation. Pour ma part je ne crois pas que le nazisme avait atteint un tel degré de folie.

  • ...une petite clind'oeilisation : dans quelques jours j'utiliserai, en classe, l'hypothèse de travail dite du "matérialisme historique" (en insistant sur la notion "working hypothesis" ) afin de montrer la transformation des relations sociales suite au développement des forces productives (systèmes-experts) : décideurs-nétocrates versus exécutants-cyberserfs...n'est-ce pas ce que vous décrivez comme nouvelle idéologie : "enflure maximale, traduit de la part de ses concepteurs une aliénation proche de celle d'un robot ou d'un ordinateur, incapable de penser autrement qu'en termes de potentiel et de système d'exploitation" ?

  • - Morale et idéologie sont des notions similaires pour Marx (comme pour Shakespeare). Il s'agit avant tout, par la morale ou l'idéologie, de légitimer la propriété, c'est-à-dire de faire paraître juste et naturel, équilibré, ce qui résulte à l'origine d'un rapport de forces, et ne pourrait se perpétuer sans le maintien de ce rapport.
    - La morale est donc comme le ciment ou l'enduit de telle ou telle architecture sociale, la partie décorative d'un édifice qui ne remplit aucune fonction pratique, sauf celle de tenir en respect les membres d'une société les uns des autres (on dit aussi "tenir en respect" avec une arme, car le respect est à double tranchant).
    Ainsi, le passage du régime de la propriété monarchique à la propriété bourgeoise a périmé la morale et l'idéologie chrétiennes en Europe, qui servaient à justifier et faire paraître le régime de la propriété paysanne naturel et juste, donc légitime aux yeux du plus grand nombre. Une nouvelle morale est apparue, mieux adaptée aux nouvelles conditions et effets pratiques de la propriété bourgeoise.
    - Donc, en effet, les relations sociales ou sentimentales sont largement déterminées par le mode de production et de propriété, ce que le vocabulaire économique traduit involontairement par l'expression "libre-échange", qui a une traduction sociale. Le mot "commerce" en français a un double sens économique et sentimental. L'humour de Shakespeare repose d'ailleurs sur le double-sens trivial et sentimental des mots.
    Plus récemment, la pornographie est liée à la vulgarisation des produits "high tech", deux phénomènes qui se stimulent l'un l'autre. Or la production de gadgets "high tech" par des esclaves en Asie pour répondre à la demande occidentale, est bien un aspect important dans l'organisation économique mondiale et la production.
    - L'idée de Marx est que, plus la morale ou l'idéologie se développent de façon insidieuse, à la manière du lierre recouvrant peu à peu la façade d'une maison, plus cela signifie la renonciation à la liberté au profit de la propriété qui est son contraire, un mouvement de dépendance de celui qui possède vis-à-vis de celui qui est possédé.
    - La théorie du gouvernement mondial est en quelque sorte un aboutissement religieux. L'aspect le plus totalitaire sous lequel la morale pure, cachant l'exploitation de l'homme par l'homme, s'est jamais présenté auparavant.
    Je prenais le robot ou l'ordinateur pour exemple d'être servile et dévot, dont la complexité architecturale ne peut piéger son concepteur, comme le Dr Frankenstein est piégé par sa créature, qu'à la seule condition qu'il soit tombé sous sa dépendance, ayant renoncé à la liberté pour le confort et la propriété intellectuelle, tombant ainsi au niveau de la bête humaine.

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