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Les Juifs et Satan

Le judaïsme est-il satanique ?

(Je reproduis ici des extraits d'une allocution du rabbin Tovia Singer destiné à améliorer la compréhension du judaïsme par les chrétiens.)

Les chrétiens ne comprennent pas comment un ange de D. peut inciter des personnes à désobéir à Dieu. D'où ils en arrivent à la conclusion insupportable que Satan doit s'être rebellé contre D.

C'est complètement contraire aux croyances juives. Nous rejetons complètement cette interprétation.

Donc, qu'enseigne le judaïsme sur Satan ?

(Suit une parabole du rabbin, à partir de l'exemple d'une chocolaterie. En résumé, en confrontant l'homme au bien et au mal, Satan permet à l'homme, à l'aide de la loi, d'éprouver sa force morale.)

Les chrétiens ne comprennent pas l'intérêt de cette épreuve. Les Juifs ne l'entendent pas ainsi, et ne l'ont jamais entendu de cette façon. Satan n'est pas autonome.

Le mot hébreu "satan" signifie "empêcheur". Empêcher quelqu'un signifie le retenir de faire quelque chose. D. a créé l'Empêcheur pour nous donner du travail dans ce monde. Satan est ici-bas pour nous compliquer la tâche, afin que nous surmontions notre tentation démoniaque, et REUSSISSIONS le test. C'est le but de Satan. Satan est un ange déterminé par D. Nous sommes libres d'agir mal. Mieux : nous avons la possibilité de voir ce qui est diabolique et de le refuser. Si nous ne pouvions faire le mal, nous ne pourrions pas faire délibérément le bien, dont dépend la volonté libre.

Ainsi, afin de nous faire contribuer au bien que Hashem veut nous donner, le bien du monde à venir, nous avons besoin d'une impulsion. La possibilité de faire le mal. Satan est notre pente au mal (Yetzer Hara). L'inclination au mal est faite pour nous empêcher de faire le bien, car Hashem a commandé au diable de le faire. Pourquoi ? Pour nous doter d'une volonté libre.

Chacun de nous, chaque jour, combat Satan. Nous sommes toujours tentés, toute la journée. Mais nous, Fils d'Israël, avons le pouvoir d'être plus fort que les anges, pour peu que nous nous y efforcions. D'ailleurs le Talmud dit que les hommes sont plus grands que les anges, pour que nous puissions combattre un ange (Satan) et le vaincre.

Satan n'est pas, comme les chrétiens pensent, un ange rebelle. C'est impossible ! Les anges sont des êtres spirituels et saints, sans apparence physique ou disgrâcieux, et la grâce d'Hashem les contient tous entièrement. Les anges, contrairement aux humains, sont de plus constamment et pleinement conscient de la présence de Hashem partout. Pourriez-vous rester secs au beau milieu de l'océan ? Un ange ne pourrait cesser d'être saint, et ne peut faire aucun mal. La grâce est partout dans la création, partout dans l'Univers, et les anges sont ainsi. Un ange ne pourrait cesser de servir D., même s'il essayait.

En outre, les humains ont Satan pour les tenter. Pas les anges. Qui pourrait être le Satan de Satan ? Un super-Satan.

La vérité c'est que Satan a un travail à faire, comme tous les autres anges. Et les anges n'ont pas de libre-arbitre. Ils font ce que Hashem leur commande.

Un homme vint un jour consulter un grand rabbin, en proie au trouble. Il dit au rabbin : "S'il-vous-plaît, priez Hashem d'éloigner de moi la tentation diabolique. Je fais tant de péchés, et je voudrais cesser de pécher !"

Le rabbin répondit : "Quel serait ton but dans ce monde, si tu n'avais pas d'inclinations maléfiques ? Ton but dans la vie est de surmonter ton attirance pour le mal. C'est pour cela que tu as été créé. Hashem a assez d'anges dans le ciel. Il n'en a pas besoin d'un supplémentaire. Il t'a créé homme afin que tu puisses t'améliorer." (...)

 

 

Commentaires (Lapinos)

Afin d'expliquer aux Juifs pourquoi cette doctrine est diabolique au regard du christianisme (Dans la mesure où le christianisme considère comme l'action de Satan d'éloigner les hommes de la vérité, synonyme de "dieu" pour les chrétiens.)

+ De façon concise, on peut dire que la voie étroite qui mène à Dieu, que les chrétiens veulent voir "face à face" selon ou comme l'apôtre Paul, cette voie n'est pas d'ordre "moral". Cela est signifié de maintes façons dans le Nouveau Testament des chrétiens : par exemple l'immortalité accordée à un criminel condamné à mort, tandis qu'un jeune homme riche précédemment, bien qu'il accomplissait ses devoirs religieux scrupuleusement, n'est pas admis parmi les apôtres.

Autrement dit, et pour reprendre le vocabulaire du rabbin Singer, la "volonté" traduite comme l'exercice du libre-arbitre, diffère complètement de l'amour aux yeux des chrétiens - amour qui, seul, peut sauver l'homme de la mort et du péché.

L'animal lui-même est-il sans volonté ? On voit bien que non. Il a donc une forme de libre-arbitre. Celui-ci n'est pas subordonné, bien sûr, au respect de la loi juive, mais au souverain bien l'espèce à laquelle il appartient. Ainsi peut-on dire, suivant la sagesse d'Aristote, qu'une cité qui légifère pour le bien commun, souvent par le truchement d'une ou plusieurs personnes dites "morales", passe par un raisonnement d'espèce analogue à celui de l'animal. Je crois que cette remarque empruntée à Aristote n'est pas sans portée, cette fois en ce qui concerne l'effort des Juifs pour être vertueux. Que feront-ils, hors d'un Etat qui n'est pas le leur et décrète des lois contraires à leurs tables ? Karl Marx fait ainsi la remarque que des Juifs, cantonnés dans certains lieux et temps à la pratique de l'usure, et donc d'une forme de vol, se détourneront nécessairement de leur loi qui le prohibe.

+ Je fournis un autre argument chrétien que les Juifs comprendront encore mieux, au moins pour des raisons psychologiques. Si le chrétien ne peut voir Satan comme un principe positif d'exercice de la vertu, c'est aussi en raison de la rencontre du Messie avec Satan dans le désert. Face au Tentateur, qui lui promet monts et merveilles, le Christ ne cède pas. Quel sens aurait la tentation par dieu de Celui que les Chrétiens considèrent comme parfait ? Le Christ n'est d'ailleurs pas incité à faire le mal par l'Adversaire, mais à déployer sa puissance, une puissance dont il est déjà doté. On voit là encore que Satan ne peut être pour le chrétien un simple principe moteur.

+ La doctrine du rabbin Singer évoque en outre les adages suivants : "Un mal pour un bien." ou bien : "La fin (bonne) justifie les moyens (mauvais)" ; ou encore : "A quelque chose malheur est bon.", voire le sado-masochisme épicurien qui consiste à s'accommoder du mal pour mieux ressentir le bien, doctrine qui vise la jouissance, l'usufruit, le point le plus bas de la vertu.

 

Bref, toutes sortes de devises dont on voit bien l'arrière-plan moral ou politique, étranger à l'esprit chrétien. Je me dois d'ailleurs ajouter, étant Français, que ce genre de morale est représenté dans mon pays par une caricature célèbre : Pangloss. Nombre de penseurs chrétiens français ont vu par la suite vu dans leurs voisins allemands des "fils de Pangloss", animés de vélléités morales proches de celles des bêtes, bien que celles-ci se passent d'encombrantes sommes juridiques pour appliquer les lois de la nature.

Une question se pose d'ailleurs, en ce qui concerne la loi des Juifs, de façon plus radicale que l'usure. C'est le "Tu ne tueras point." Comment cette loi peut-elle être appliquée dans le contexte des lois civiles, qui parfois ordonnent de tuer pour des raisons d'espèce ? Doit-on dans ce cas penser que c'est encore un test, et que Satan agit à travers la puissance publique ? Que dieu a créé les gouvernements et les lois pour la seule fin de nous éprouver ?

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