Le théâtre "Le Phénix" de Valenciennes a imaginé d'instruire le procès de Hamlet, à l'initiative de l'agent culturel Yan Duyvendak. L'expression d'"agent culturel" permet de conserver à l'esprit le rôle policier de la culture, déterminant dans la société totalitaire. L'idée de liberté ou d'épanouissement sexuel est typiquement le genre d'idée véhiculée par la police culturelle afin de réduire l'art à la seule fonction monétaire. L'agent culturel ne fait donc que prolonger les efforts du curé romain pour idéaliser la sexualité, même s'il est crucial que le profond conservatisme de la culture demeure invisible.
On ne s'éloigne pas ici du thème de Hamlet, pièce où Shakespeare dévoile l'atrocité du monde, l'anthropophagie d'Ophélie et Laërte, dissimulée derrière la fidélité aux préceptes de leur père Polonius et de grandes déclarations sentimentales hypocrites. A travers ces personnages douteux, Shakespeare fait apparaître l'ignominie de l'éducation chrétienne des jeunes aristocrates anglais ; il rappelle cette évidence évangélique que la civilisation est nécessairement antichrétienne, et qu'il n'y a en quelque sorte que Polonius ou le pape à avoir assez d'imbécillité pour l'ignorer.
De manière rationnelle, bien que cela soit contraire à la logique de la pièce, l'agent culturel moderne a tendance à éprouver de la sympathie pour Ophélie, perverse petite fille à papa qui fait passer la cupidité pour de l'amour, et que la confrontation avec la vérité pousse au suicide. Insupportable pour les dévôts, le théâtre de Shakespeare demeure à travers les siècles. La bêtise antishakespearienne, inaugurée au XVIIe siècle par des moralistes conscients que Polonius est leur portrait craché, peut aller chez le fonctionnaire préposé aux affaires culturelles modernes jusqu'à faire de Claudius le héros de cette tragédie. Je cite cet exemple pour montrer à quel point, sous prétexte de service culturel, on se fout de la gueule du peuple.
Dans l'oeuvre apocalyptique de Shakespeare, le phénix ou l'oiseau de feu sacré des civilisations indienne et américaine, est pris comme le symbole du diable, opposé à la colombe de paix de l'esprit. Le symbolisme du phénix est proche de celui de la swastika indienne. La science apocalyptique de Shakespeare lui permet de discerner la conjonction démoniaque des peuples du Sud et de ceux du Nord, "hyperboréens". Autrement dit pour Shakespeare, l'adhésion de l'Europe du Nord à la culture satanique, bien au-delà du seul Hitler, est le fait d'une mécanique astrale, bien plus que du choix éclairé de tel ou tel. La culture comme la religion a pour effet de soumettre l'homme, à travers le masque social, à l'instinct ; c'est-à-dire à la chimie, qui n'est pour Shakespeare qu'une émanation des astres.
Le procès de Hamlet rappelle que la procédure et le droit fondent la théocratie. Passion du droit telle qu'elle fonde même, à l'instar des spéculations mathématiques les plus folles, nombre de divertissements. Le rappel est dans l'apocalypse de la puissance occulte du droit dans la figure du cavalier noir, qui porte une balance et symbolise la justice des hommes, dont l'éthique crapuleuse des marchands signifie le terme. La folie du propriétaire justifie tous les crimes : voilà le propos de Hamlet, et pourquoi il doit demeurer inaudible aux oreilles du peuple. Même le culte des morts n'a pas d'autre explication que le vice de forme de la propriété, qui fonde tous les codes.
"Laissez les morts enterrer les morts", proclame Hamlet à la suite du Christ.