Il va de soi qu'un chrétien ne peut pas être moderne. Karl Marx, par exemple, a taillé cette nouvelle religion en pièce, et prédit que l'élite sociale-démocrate trahirait son propos. Elle l'a fait de la façon suivante : en purgeant le marxisme de son caractère scientifique.
Au détour d'un article rédigé par un certain Jean-Claude Milner, collaborateur de l'immonde revue baptisée "Les Temps modernes", dont la vocation est de répandre la philosophie morale allemande en France, sous couvert de défendre les juifs, j'ai relevé ce diagnostic que le marxisme n'a eu, en France, aucune influence, notamment pas dans l'Education nationale, contrairement à un préjugé courant. Le diagnostic est parfaitement exact. Ce que Milner ne dit pas, c'est la raison de cette imperméabilité : Marx est le plus hostile des penseurs à l'idée de modernité, confort intellectuel typiquement républicain. Un marxiste ne peut que railler les cérémonies républicaines, conçue par l'élite républicaine afin d'imposer au citoyen lambda le respect d'institutions dont la déliquescence est automatique et programmée. Qui ne sent pas l'odeur nauséabonde de l'éthique républicaine, à probablement été élevé dans le cinéma moderne.
La religion moderne a été "conceptualisée", comme disent les modernes dans leur sabir de prêtres égyptiens, par deux suppôts de Satan : Frédéric Nitche et Baudelaire. Tandis que le premier prône ouvertement la doctrine du maître qu'il s'est choisi à la place du dieu des chrétiens, optant pour la "culture de vie" païenne, le second avoue plutôt son écartèlement entre la vertu païenne et la vérité chrétienne. La franchise de ces modernes, inhabituelle dans cette religion largement cauteleuse, fait tout l'intérêt de leur propos. Grâce à Nitche et Baudelaire, on comprend notamment que la religion moderne est édifiée contre le progrès. Le pendant de la haine de Nitche vis-à-vis des chrétiens et des anarchistes/communistes est, chez Baudelaire, ses attaques contre Molière, le plus antisocial des théologiens français, qui s'est appliqué à souligner le caractère démoniaque de tous les types sociaux emblématiques. A travers quel penseur français distingue-t-on mieux qu'à travers Molière la permanence de la bêtise sociale, et donc de l'enfer ? Baudelaire, dont la sagacité n'a pas d'équivalent chez les modernes par la suite, la culture ayant pour effet d'engendrer le gâtisme et le confort intellectuel, Baudelaire a conscience que la civilisation est démoniaque, ou bien qu'elle n'est pas.
- Grâce à Nitche et Baudelaire, on peut traduire la religion moderne par un vocable moins mystérieux : la muséographie ; pourquoi la religion moderne, labyrinthe destiné à faire obstacle au progrès, se projette-elle dans l'avenir ? Parce qu'elle a la même vertu que la nostalgie chez un vieillard : elle donne un sens à ses dernières années. Le drame du nazisme, c'est que les nazis sont jeunes : inculquer la religion moderne à de jeunes gens, alors qu'elle est conçue pour l'euthanasie ou le gâtisme, c'est leur inculquer la fureur de vivre et le goût de l'auto-immolation.
Le christianisme n'a pas non plus vocation à être antimoderne, c'est-à-dire à détruire la civilisation. Sur ce point Nitche ment, cherchant à convaincre d'éliminer les chrétiens, les anarchistes et les juifs. La vérité est que le sentiment antimoderne renforce l'éthique moderne, exactement comme la déclaration des vieux cons que "C'était mieux avant, du temps de leur jeunesse.", galvanise les vieux cons. Encore une fois, la religion moderne est une muséographie. Elle entretient les vieilles Eglises et les musées à grand frais, afin de se justifier. C'est le secret du millénarisme nazi ou républicain, comme de l'art moderne. Si Picasso piétinait l'art antique, comment se convaincrait-il qu'il a ajouté à l'art une page nouvelle, malgré l'évidence que, dans le domaine confus de l'abstraction dont l'art moderne aime se parer, l'art Egyptien est, déjà, un point culminant, la science-fiction la plus puissante ?
Les chrétiens ne cherchent pas à détruire la civilisation, puisqu'elle n'est qu'un mirage, l'inquiétude de l'humanité, retournée comme un gant pour en faire une pellicule protectrice. Le cinéma assassine ainsi ses victimes avec une efficacité redoutable, après les avoir hypnotisées. Non, le Christ cherche à détourner les fous de ce plan macabre et voué au néant, il invite ses apôtres à marcher sur l'eau, plutôt qu'à se noyer dans la foule des hommes civilisés. Hommes libres, haïssez la mer, car elle signifie votre destin macabre.