- Lapinos : Tu ne crois pas en dieu, je ne crois pas qu'il y ait des athées, voilà un excellent sujet de conversation entre gens sceptiques.
- L'Athée : Tu plaisantes. A quoi l'humour peut-il bien servir à un croyant ?
- Lapinos : L'humour ? Il est fait pour prouver l'imbécillité des doctrines sociales, auxquelles les gens se raccrochent. Il en souligne l'absurdité. Sans l'humour, le commerce occuperait toute la place.
- L'Athée : Soit, mais je ne suis pas assez tartuffe ni bête pour être socialiste.
- Lapinos : Donc tu ne crois pas en dieu. Mais crois-tu en la nature ?
- L'Athée : Comment ça ?
- Lapinos : N'es-tu pas le produit de la nature ?
- L'Athée : Sans doute.
- Lapinos : Eh bien tu es comme ces multitudes de païens, qui croient dans la puissance de la nature, créatrice et destructrice.
- L'Athée : Soit, je suis croyant, comme un païen, admettons. Et après ?
- Lapinos : Après ? Rien, si ce n'est peut-être ce titre pompeux d'athée, et ces divisions artificielles entre militants des mêmes choses naturelles : les arbres, la famille, les espèces animales menacées, etc., toutes les polémiques inutiles qu'elles engendrent.
- L'Athée : Quel est selon toi la divinité naturelle à laquelle la plupart des hommes s'accrochent pour se rassurer ?
- Lapinos : Leur mère, il me semble. Le cordon ombilical est une sorte d'insigne religieux ; au point que je me demande si la cravate du fonctionnaire n'est pas un signe de cette sorte, tant on dit cette espèce frileuse. Il paraît que beaucoup d'hommes, même d'un âge canonique, avant de mourir appellent leur mère.
Commentaires
Il me semble que le problème avec la nature, est qu'elle nous crée et nous détruit à condition que l'on croit en sa toute puissance. En même temps, je me demande comment se sortir de cette croyance dans la mesure où l'on a appris depuis le début que l'on vient d'elle. Je ne vois donc pas dans ce monde, une cure de déconditionnement assez draconienne pour se dépatouiller de ça. Et même plus, je me demande souvent si celui qui tente de s'en défaire, n'est pas guidé par un instinct NATUREL de vengeance, de ressentiment. Bref, tout ça est pour moi un gros merdier.
- Ce qu'il me paraît important de comprendre, c'est que l'athéisme moderne est largement le produit du catholicisme romain, qui a introduit l'anthropologie pour des raisons politiques et sociales. Le monde paysan fut dominé par une aristocratie et un clergé, qui ont subverti le message évangélique pour consolider un rapport de force social. Au stade de l'esclavage industriel du XIXe siècle, dieu qui subsistait dans la religion païenne précédente comme un équivalent de la nature-terre-propriété paysanne, a perdu son utilité coercitive et intimidante du point de vue de l'élite ; il est même devenu contre-productif, attachant excessivement le paysan à sa terre, son épouse gardienne du feu païen, et tutti quanti. Comme dirait Marx, la racaille libérale a inventé à ce moment-là de nouveaux opiums mieux adaptés à l'abrutissement des peuples modernes que la religion paysanne précédente.
- C'est ce qui est stupéfiant de la part de Nitche du point de vue français : on dirait qu'il n'a jamais entendu parler du catholicisme romain médiéval, qui recoupe à peu près la fameuse religion romaine dionysiaque qu'il appelle de ses voeux. Plus absurde que l'antichrist Maurras, on dirait que Nitche n'a jamais ouvert un livre d'histoire.
- Pour répondre à ton interrogation : l'art moderne abstrait, à base de spéculations mathématiques redondantes (nul ne battra jamais les scribes égyptiens sur le terrain de la géométrie, et même le cubisme de Picasso est un peu de la pignolade pour franc-maçons yankees à côté des pyramides), cet art est justement fait pour rassurer, en occultant le caractère irrémédiablement destructeur de la nature pour l'homme. Plus généralement, tout produit manufacturé humain joue ce rôle de garde-fou : moins il est utile, plus il joue ce rôle, et on peut dire de l'homme moderne qui vit entouré de gadgets technologiques, qu'il vit dans un environnement macabre.
- D'une certaine façon tu as raison à propos de la vengeance ou de la réaction à la nature : elle peut être naturelle ; c'est le cas par exemple de l'exploitation des ressources naturelles, pour satisfaire un besoin naturel, qui au stade du gaspillage "entame" la nature. On en revient aussi au suicide, qui peut être chez certains suicidaires une manière d'échapper à la lente usure. Mais l'idée même de vouloir échapper à la condition naturelle n'a pas de modèle naturel. Encore moins la voie individualiste vers la liberté, qui va à l'encontre des besoins et de la nécessité à laquelle toute la nature créatrice/destructrice est asservie. Plus l'homme est faible, plus il adhère naturellement aux hypothèses socialistes les plus baroques, dont Marx montre intelligemment qu'elles ne sont que des slogans ; le désir d'égalité républicain, par exemple, est parfait pour sidérer les masses ouvrières (exactement comme le purgatoire pour les paysans autrefois), mais cette utopie totalement abstraite, si elle était accomplie, perdrait toute signification puisqu'elle n'est qu'une carotte pour faire avancer les ânes plus vite dans le sens du travail, dont les fruits n'ont jamais été récoltés de façon aussi inégalitaire que depuis que les cacouacs républicains ont inventé l'égalité.
Faut donc, en partie, s'astreindre à une laborieuse et longue lecture de l'histoire pour voire la vérité... La culture a donc son utilité, peut être pour s'en défaire, dans le sens où il est nécessaire de la décortiquer pour échapper a son conditionnement.
Ok sur le fait que l'idée d'échapper à la condition naturelle n'est pas un model naturel, mais l'utilisation de cette idée l'est belle et bien, vous en convenez... Quand Simone Weil parle de l'attention comme première preuve de générosité, je rajoute qu'une attention constante sur les motivations de s'émanciper des règles de la nature est primordiale.
- L'historien doit nécessairement faire table rase de la culture, oui. A l'intérieur des grandes institutions religieuses comme l'Eglise catholique romaine ou la République française, règne le négationnisme historique ou la légende dorée. L'historien véritable, qui cherche si l'histoire a un sens, ne peut tenir compte du temps, qui ramène forcément à la destinée et au hasard sur lequel s'appuie la civilisation ou la technocratie, de sorte qu'on peut dire que la liberté individuelle dérange l'ordre social hiérarchique (sachant que la principale hiérarchie aujourd'hui est la domination des nations dites occidentales sur le reste du monde, et que l'émancipation ou l'égalité de tous est bien sûr une promesse de tartuffes).
- Laborieux, je le suis. Marx aussi, et c'est en grande partie l'épaisseur de sa doctrine qui a permis de l'altérer. Mais ce n'est pas une obligation : Homère ou Shakespeare ne sont pas laborieux. Ils vont à l'essentiel. L'épisode de la "livre de chair" dans Shylock résume toute la doctrine économique de Shakespeare, mieux que les centaines de pages de Marx qui reviennent au même. L'usage des symboles ou de la mythologie permet selon Shakespeare d'aller à l'essentiel, et même de protéger de l'injure du temps. Ce que tu qualifies de laborieux, c'est le caractère démonstratif.
- L'attention constante aux motivations de s'émanciper du mouvement naturel est ce que le divertissement social ou les arts "dionysiaques" combattent directement, en contraignant l'homme, y compris quand il a des loisirs, à ne pas penser autrement qu'en termes sociaux. La barbarie totalitaire se distingue d'abord par cet aspect de fête obligatoire, qui n'a plus pour but de délasser les populations laborieuses, mais de cimenter le système. Le surnaturel ou la métaphysique ont pour effet de rendre l'existence parfaitement vaine. Ce qui fait de l'Egypte antique un modèle moral et politique presque parfait, une théocratie exemplaire, c'est d'avoir conçu une métaphysique géométrique dans la continuité des choses naturelles, complètement artificielle mais sidérante par son esthétique animalière. Tout esprit moderne, c'est-à-dire nostalgique de la civilisation, revient à ce pur artifice. L'anthropologie égyptienne est la plus parfaite, car la mieux coupée de la métaphysique.