Le caractère pornographique du nazisme a été précisé par une essayiste britannique dont le nom m'échappe, avant que ce thème ne soit repris dans le roman à succès de l'écrivain yankee Johnatan Littell ("Les Bienveillantes"), dont le héros sadique est imprégné de culture, en même temps qu'il est hanté par des fantasmes sexuels incestueux - une sorte de Marquis de Sade, du point de vue français, puisque ce dernier n'était pas exempt du vernis culturel de sa caste.
La culture de Sade est monomaniaque et ennuyeuse comme l'étalage des techniques et prouesses sexuelles dans l'art ou la littérature, mais elle permet mieux à mon sens que le pavé du Yankee d'établir le lien entre la culture et la propriété, dont Sade fut un aussi virulent défenseur que du viol. Il faut dire à la décharge de Sade, comme à la décharge des soldats nazis, qu'ils furent entraînés très jeunes à défendre la propriété "par-delà bien et mal", comme disent les apôtres de Dionysos, c'est-à-dire jusqu'à ce que leur mobile se confonde avec celui des forces de la nature, qui frappent sans pitié.
L'ouvrage de Littell n'était pas prédestiné à un bon accueil en Allemagne, dont le goût pour la pornographie n'a pas faibli sous le régime libéral qui a suivi le nazisme, et alors même que la société civile allemande s'emploie tant qu'elle peut à démontrer qu'elle a chassé ses vieux démons. L'Allemagne est passée du cirage au léchage de bottes de tous ceux qui se disent qu'un tel nettoyage gratis est toujours bon à prendre ; au stade pornographique, comme dans les casernes, la morale se situe au niveau de l'hygiène : le Juif, le Polonais, le Russe, ou qui vous emmerde, est assimilé à la bactérie, et c'est le minimum pour un pornocrate doté de valeurs éthiques, de s'assurer que ses ustensiles sont bien nettoyés.
Les intellectuels fachistes français d'avant-guerre sont une autre cible de Littell, qui occulte qu'une des principales raisons de la séduction du régime nazi sur ces journalistes, poètes et écrivains, fut leur haine de la civilisation anglo-saxonne, mercantile jusqu'à l'ostentation. C'est assez curieux pour un écrivain qui s'attaque au défunt nazisme sous l'angle de la pornographie, de ne pas s'attaquer aux nations actuelles vivant sous ce régime, à commencer par la patrie d'origine de cet écrivain, les Etats-Unis, dont on voit mal comment elle pourrait se passer de la publicité commerciale, et donc de la pornographie, qui traduit le même état de frustration et d'aliénation mentale de ses citoyens que l'Allemagne de Hitler. En outre, vu l'âge des Allemands aujourd'hui, ils sucent plutôt de la glace qu'autre chose, et leur culture de vie sauvage en a pris un coup.
L'énigme de la bestialité des nazis n'est pas bien grande : elle se nourrit de l'excitation des passions et des mirages ou du cinéma que celle-ci engendre, vieux truc multimillénaire dont les tyrans se servent pour asservir les masses, qui si elles jouissaient convenablement se tiendraient mieux à distance des chiffons rouges dionysiaques agités par leurs élites, afin d'assurer la défense de leur propriété par des robots décapités.
Probablement l'admiration de l'universitaire démocrate-libéral pour le marquis de Sade vient-elle de ce que celui-ci était capable d'assassiner lui-même son prochain à l'arme blanche, quand l'universitaire moderne ne va pas plus loin que le cinéma et le jus de navet qui circule dans ses veines.