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Théorie du Complot

"Le premier qui ayant enclos un terrain s'avisa de dire Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de meurtres, que de misères et d'horreurs n'eût point épargnés au genre humain celui qui arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : Gardez-vous d'écouter cet imposteur ; vous êtes perdus si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n'est à personne !" Mais il ya grande apparence qu'alors les choses en étaient déjà venues au point de ne pouvoir plus durer comme elles étaient : car cette idée de propriété, dépendant de beaucoup d'idées antérieures qui n'ont pu naître que successivement, ne se forma pas tout d'un coup dans l'esprit humain : il fallut faire bien des progrès, acquérir bien de l'industrie et des lumières, les transmettre et les augmenter d'âge en âge, avant que d'arriver à ce dernier terme de l'Etat de nature...

Tant que les hommes se contentèrent de leurs cabanes rustiques, tant qu'ils se bornèrent à coudre leurs habits de peaux avec des épines ou des arêtes, à se parer de plumes et de coquillages, à se peindre le corps de diverses couleurs, à perfectionner ou embellir leurs arcs et leurs flèches, à tailler avec des pierres tranchantes quelques canots de pêcheurs ou quelques grossiers instruments de musique ; en un mot, tant qu'ils ne s'appliquèrent à des ouvrages qu'un seul pouvait faire, et qu'à des arts qui n'avaient pas besoin du concours de plusieurs mains, ils vécurent libres, sains, bons et heureux autant qu'ils pouvaient l'être par leur nature et continuèrent à jouir entre eux des douceurs d'un commerce indépendant : mais dès l'instant qu'un homme eut besoin du secours d'un autre, dès qu'on s'aperçut qu'il était utile à un seul d'avoir des provisions pour deux, l'égalité disparut, la propriété s'introduisit, le travail devint nécessaire, et les vastes forêts se changèrent en des campagnes riantes qu'il fallut arroser de la sueur des hommes, et dans lesquelles on vit bientôt l'esclavage et la misère germer et croître avec les moissons.

La métallurgie et l'agriculture furent les deux arts dont l'invention produisit cette grande révolution.

Pour le poète, c'est l'or et l'argent ; mais pour le philosophe, ce sont le fer et le blé qui ont civilisé les hommes et perdu le genre humain."

Jean-Jacques Rousseau (Discours sur l'Origine de l'inégalité)

Le philosophe chrétien (calviniste) Jean-Jacques Rousseau indique ici le rôle atroce joué par la propriété dans la condition humaine. De fait le lien est fait dans la Genèse entre Satan et "l'arbre de la connaissance du bien et du mal" : non seulement chacun sait le lien étroit entre l'éthique et la propriété, mais on peut tirer le constat d'une éthique libérale en constant changement aujourd'hui, et qui reflète l'instabilité des valeurs mobilières. Bien sûr quiconque prétend que l'économie libérale est sans conséquence sur les moeurs n'est que le factotum de banquiers ou un imbécile. Shakespeare ou Karl Marx ont déjà envisagé les conséquences des moeurs capitalistes, et ont décrit dans le détail les risques d'aliénation inhérents à l'éthique capitaliste.

Néanmoins Rousseau semble tributaire de l'incapacité de Calvin à interpréter correctement le symbolisme de la fable de la Genèse, notamment à comprendre sa signification sur le plan de la science physique. Il opère une dissociation artificielle entre la nature et la culture. L'Anglais Francis Bacon Verulam (alias Shakespeare) tire un bien meilleur enseignement de la Bible, plus direct, quand il élucide que la prédation détermine les rapports sociaux humains. Autrement dit, sur le plan social, l'homme se comporte de façon bestiale. Hormis Moïse, on trouve aussi chez les Grecs d'autres fables antisociales, dont on peut penser qu'elles dérivent du judaïsme.

On ne peut pas dire que Rousseau soit un naïf socialiste ou manipulateur du peuple. Dès lors qu'on situe la propriété au coeur de la bestialité sociale, on ne peut pas demeurer inconscient de l'extrême difficulté du progrès social. Mais Shakespeare est beaucoup plus ferme et mieux fondé sur les saintes Ecritures quand il ferme définitivement la porte du chimérique espoir de réforme sociale. Par là la condition humaine ne peut être abrogée, et le chrétien ne peut que mépriser fermement les oeuvres païennes politique ou éthique.

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