Le bourgeois moderne préférera se ranger du côté de la Fortune ou de Satan, plutôt que du côté d'Adolf Hitler. Vivre dangereusement n'est pas son fort. Le bourgeois moderne aime bien déléguer la prise de risque, comme le soudard moderne délègue à un missile le soin d'éclater la cervelle d'autrui. D'ailleurs ce n'est pas un soudard, mais l'accessoire indispensable de l'humanisme.
Donc, par principe, non, Nietzsche n'est pas nazi ; ça fait un peu désordre de dire ça. On pense à Marguerite Duras : - A bas les nazis ! sauf si le nazi est un beau SS blond et musclé. Car il est vrai que Nietzsche fut beaucoup plus habile poète que le führer des Allemands.
Notez qu'il n'est pas certain que les bourgeois fassent le bon choix. Allez savoir si Satan préfère les lâches ? Rien n'est moins sûr.
Il y a dans l'idéologie fachiste contradictoire, un principe actif nitchéen et un principe passif moderne ou hégélien. Ils se font la guerre, comme les sexes se font la guerre, mais en réalité ils ne peuvent se passer l'un de l'autre. Nier le principe passif serait comme oublier que, pendant que les poilus tenaient le front en 14-18, leurs bonnes femmes turbinaient comme des malades dans les usines Citroën pour fabriquer des obus.
De même on peut dire dans l'après-guerre le philosophe hégélien passif ou féminin (le type du curé - Sartre, Beauvoir, etc.), et le type du philosophe nitchéen actif ou masculin (le type du poète - G. Bataille, etc.). Comme Adam, les Nitchéens sont systématiquement les cocus de l'histoire moderne. Mais ça n'empêche qu'ils sont utiles. Les Hégéliens en ont besoin pour essuyer les plâtres, pour toutes les opérations qui exigent d'aller au contact. Entre deux opérations sanglantes, mieux vaut faire taire les Nitchéens. Car le Nitchéen est un peu trop fort en gueule.
On ne peut donc pas plus accuser la philosophie de Nitche de connivence avec le totalitarisme nazi que la philosophie de l'histoire de Hegel, propice à maquiller le génocide en progrès (progrès moral de nos élites par rapport aux élites fachistes) ; ce serait comme accuser l'étincelle et la mèche plutôt que le baril de poudre des dégâts commis par l'explosion.
Marx n'a pas tort de souligner que l'instinct de prédation, favorisé à l'échelle mondiale par les élites libérales, joue un rôle majeur dans l'évolution de la politique et des moeurs. Mais encore faut-il briser dans les consciences tout ce qui peut s'opposer à l'instinct de prédation ; et à cet égard l'idéalisme hégélien est le plus propice, en raison de son prétexte chrétien apparent. Aussi violente et argumentée soit l'attaque de Nitche contre le christianisme, elle ne pèse pas grand-chose comparée à la subversion interne au christianisme. La "modernité" s'avère un négationnisme de l'histoire beaucoup plus efficace que le "niet" de Nitche au progrès.