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Léon Bloy, luciférien ?

Un certain Raymond Barbeau a émis une thèse en Sorbonne (1957) sur Léon Bloy, "prophète luciférien".

Il faut dire pour le béotien, le matheux, que Léon Bloy est un personnage apparemment fantasque, énergique et entier, le contraire du clergyman raffiné dont les bourgeoises catholiques s'entichaient au siècle dernier, avant la mode des psychanalystes.

J'avoue que Bloy a joué un rôle important dans ma vie, si ce n'est décisif, il y a une quinzaine d'années, quand l'Eglise catholique commençait de m'apparaître comme une sorte de sanatorium peuplé de vieillards et de bonnes femmes hystériques, et que je ne voyais pas bien comment me sortir de cette situation. La voix de Léon Bloy m'a semblé tout simplement celle d'un homme vivant. Le rapport entre Léon Bloy et les évangiles n'est peut-être pas évident, mais entre une thèse à la Sorbonne et les évangiles, je crois qu'on ne fait pas de plus grand écart.

Cela provoque les sarcasmes des profanes, cette bataille entre les chrétiens, chacun prétendant détenir la vérité et accusant autrui d'hérésie. Ils en déduisent que le nouveau testament ne contient pas de vérité positive. La réalité est autre : il vaut mieux voir les choses comme dans ces légendes où une épée est plantée dans un rocher, et nul ne peut l'en extraire, sauf le héros de la fable, bien que tout le monde tente sa chance. La vérité est telle que l'homme ne peut s'en saisir facilement, y compris quand c'est un apôtre impatient de voir les armées de pharaon englouties par les flots de la Mer Rouge pour faire place à la Jérusalem nouvelle, fondée sur la vérité.

La démonstration de Raymond Barbeau que Léon Bloy est luciférien, s'appuie assez largement sur le fait que son propos n'est pas orthodoxe, par rapport à la théologie catholique romaine. Encore faut-il démontrer au préalable que la théologie catholique romaine n'est pas luciférienne, ce que R. Barbeau ne fait pas ; ni L. Bloy non plus, contrairement à moi. Bloy ne démissionna pas de l'Eglise romaine, mais témoigna largement de l'impression étrange produite sur lui par son clergé. Je pense au contraire que ce n'est pas tel ou tel membre de l'Eglise romaine qui est mauvais, mais que c'est la matrice qui l'est. La notion de personnalité morale est d'ailleurs une notion luciférienne.

Ce rapprochement ou cette confrontation du paraclet (l'esprit de vérité donné par dieu à l'homme et qui se manifestera de nouveau à la fin des temps, comme il s'est manifesté à travers le Christ Jésus), et de Lucifer, est reprochée à Bloy. S'il peut y avoir quelques hypothèses malencontreuses ou confuses dans son propos, en général elles sont présentées comme des hypothèses ; mais surtout, et c'est le plus important, Léon Bloy s'avance sur le terrain de l'eschatologie comme sur une terre dévastée par le clergé romain. Où est l'orthodoxie de l'Eglise romaine au sujet de l'antéchrist ou du paraclet ? Cette vieille dame n'en parle pour ainsi dire pas. Au contraire, l'Eglise propose la providence, étonnant amalgame de l'esprit saint et de la volonté de puissance satanique, ce qui fait que l'homme, dans les temps modernes, ne sait plus trop à quelle divinité il se voue.


Commentaires

  • Bonjour,

    Etant particulièrement agacé par la thèse de Monsieur Barbeau, bien que je ne la connaisse pas à fond, dois-je dire à ma charge, et par la description que je trouve aberrante d'un Bloy luciférien, j'adhère à votre propos.

    Les vrais chrétiens, parmi les artistes des derniers siècles, sont trop rares et trop précieux, non pas pour qu'on les critique, ce qu'on peut bien sûr faire, mais qu'on se permette de recouvrir de ses délires un des rares météores chrétiens de notre littérature récente. D'autant plus qu'il est rare de trouver parmi ces derniers ( j'inclus par extension les philosophes comme Guitton, Jacques Maritain ) de véritables et furieux contempteurs des errances d'une partie des chrétiens, et de la véritable subversion qui s'opère à l'intérieur de la Foi. Bloy n'aime pas le clergé catholique romain, et je ne l'aime pas non plus ( je me permets de parler de moi car cela va m'amener à mon véritable propos ), que je trouve bien trop embourgeoisé et frelaté. Il n'y a qu'à écouter une messe dominicale pour mesurer la différence qu'il peut y avoir entre cette dernière et la ferveur bloyenne, ou les paroles des Pères.

    Cependant, je suis perplexe quand à votre attitude envers l'Eglise Catholique. Tout serait donc à jeter dans cette dernière ? Même Saint Thomas, Thérèse d'Avila, Jean de la Croix ? Ou vous faites-vous le critique d'une décadence de l'Eglise, ainsi que Bloy lui-même ? Pourriez-vous par ailleurs développer votre point de vue sur la Providence comme composée de volonté de puissance satanique ? Vous dites que le catholicisme ne parle pas de l'antéchrist, mais il parle tout de même du Diable, propose des exorcismes, encore que ces sujets ne soient plus à la mode dans la conversation ecclésiastique actuellement.

    Je me permets donc de vous demander quelle est donc votre position dans le christianisme ? Protestant, orthodoxe, ou situé en dehors de ces cadres ? Pourriez-vous, enfin, si cela vous agrée, développer en quoi la théologie romaine est satanique ?

    En vous remerciant de votre attention,
    Benjamin

  • Je réponds par bribes, pour plus de commodité :
    - Il y a de la part de L. Bloy une attitude paradoxale qui consiste à être anticlérical à l'intérieur d'une Eglise romaine qui est la matrice du système de valeurs occidental et de son clergé, y compris séculier ou laïcisé (la morale laïque charrie des pans entiers de morale dite "judéo-chrétienne", dont l'égalité homme-femme, impensable dans le cadre d'une religion païenne traditionnelle).

    - On peut répliquer que c'est la situation de Jésus-Christ lui-même, "élevé dans la religion juive", mais en bute au clergé juif, condamné à mort par un tribunal ecclésiastique. Cependant le Messie fait bien plus que critiquer les pharisiens : il leur a ôté définitivement toute légitimité, et élargi la voie du salut à tous les non-juifs. En outre, L. Bloy, afin de conserver son respect pour l'Eglise, en tant qu'institution, invente une Eglise idéale, médiévale, correspondant à son idéal d'un zèle et d'une foi plus grande. Dante Alighieri fit la même chose, dans l'autre sens : il rêva d'une Eglise romaine purifiée dans le futur de la corruption de ses prélats romains. Or, dans les deux cas, il n'y a là que des illusions, dépourvues de fondement historique. Rien ne prouve que l'Eglise romaine fut exemplaire au moyen-âge, ni même que sa théologie, en ce temps-là, fut meilleure qu'en d'autres. On pourrait dire que l'illusion de Dante, ou celle de Bloy, est typique de l'illusion des réformateurs dans l'ordre moral ou politique. Bloy comme Dante, malgré leur révolte, restent profondément marqués par une conception institutionnelle latine ou romaine de l'Eglise, telle une "personnalité morale" (M. Luther lui-même est resté assez marqué par cette conception juridique) ; or cette conception n'est pas chrétienne. L'Eglise n'est pas une institution, une personnalité morale, c'est "l'Epouse du Christ" ; et Paul de Tarse ajoute : c'est un grand mystère. Cela ne signifie pas que le mystère ne doit pas être élucidé, mais qu'il a une importance capitale dans l'histoire du royaume du christ. Or, comme par hasard, la théologie catholique romaine fournit à ce symbole l'explication la plus improbable.

    - TOUS LES SYMBOLES CHRETIENS RENVERSENT L'ORDRE ANTHROPOLOGIQUE : vous pouvez en faire la vérification un par un ; par exemple le "christ-roi" est l'inverse d'un souverain païen de droit divin (satanique), siégeant au sommet de la pyramide sociale en vertu du droit naturel. Si l'on admet l'indécence de la caution fournie par l'Eglise romaine aux souverains de l'Occident moderne, et les conséquences tragiques de cette trahison du point de vue de l'apostolat, IL N'Y A AUCUNE RAISON DE FAIRE AUJOURD'HUI DANS L'ORDRE MORAL ce que l'on prétend regretter d'avoir fait autrefois. Cela s'appelle de la tartufferie, autrement dit la démocratie-chrétienne.

    - Le détournement du message évangélique à des fins sociales, qui est la doctrine constante de l'Eglise romaine depuis le moyen-âge, est non seulement une chose impossible, mais constitue l'arrière-plan des idéologies occidentales les plus destructrices.

    - L'antéchrist n'a rien à voir avec le diable. Le diable est une notion païenne, morale, qui correspond à la transgression de l'ordre social établi ou au "défaut de vertu". Il est juste de dire, comme certains exégètes l'ont noté, que la présence de l'antéchrist n'est pas manifeste au temps où vécurent les premiers apôtres.

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