"Laissez les morts enterrer les morts !", ordonne le Messie, opposant ici le plus catégorique démenti à l'idée que le christianisme n'est qu'une culture de mort féminine, idée insinuée par l'antéchrist F. Nitche.
Catégorique, car il n'est pas de culture ni d'ordre moral sans culte des morts. L'antichristianisme a donc deux visages ou deux angles d'attaque. L'un, viril, assumé par Nitche, qui consiste à dire : judaïsme et christianisme sont des religions de sous-hommes, fondées sur l'argument débile et néfaste de la "victimisation".
L'autre visage de l'antichristianisme est celui de la "culture chrétienne", féminine, et qui se détermine en creux par rapport à la culture de vie païenne. Les tenants de cette culture assument la convergence de l'Occident moderne et de l'éthique dite "judéo-chrétienne", qui actuellement a beaucoup de peine à dissimuler qu'elle n'est autre que l'éthique des élites capitalistes dirigeantes. L'Eglise romaine est la matrice de cette culture essentiellement fondée sur la propagande ; une matrice dépassée par les métamorphoses de la société occidentale, qui trouvent dans l'idéologie hégélienne une démonstration désormais plus convaincante de la supériorité morale de l'Occident.
Or, sur le plan culturel, le christianisme n'a rien à dire : sur ce point, Nitche aurait pu en apporter la preuve évangélique, et dire par exemple : il ne peut pas y avoir d'architecture chrétienne, de musique chrétienne, etc. Il ne le fait pas tout à fait, mais préfère faire comme si le Messie avait bel et bien fondé la pire culture de tous les temps.
Les deux angles de l'antichristianisme, qui ne sont pas exempts d'une connotation sexuelle, comme toutes les choses naturelles un peu évoluées, en même temps qu'ils sont des angles opposés, appuyés sur des interprétations de l'évolution du monde opposées, malgré tout sont articulés, et se confortent l'un-l'autre, postulant ensemble cette contrevérité selon laquelle les chrétiens sont associés à la marche du monde, que ce soit pour décrier ce mouvement, ou au contraire vanter ses mérites. Peu importe, ici, que le Messie clame de la première à la dernière ligne des évangiles son innocence et celle de ses apôtres, c'est-à-dire qu'il n'y a dans le camp des saints qui figure l'Eglise AUCUN actionnaire du monde.
- L'Eglise romaine ne pouvait délibérément instaurer un culte des morts, tandis que le Messie en dissuade formellement. Elle a donc institué, en lieu et place du culte des morts païens, suivant sa méthode aussi systématique qu'inefficace, un culte des saints, c'est-à-dire de ceux qui vivent éternellement, purifiés du péché qui tue. Systématiquement l'Eglise a procédé de cette façon, remplaçant les fêtes paysannes sataniques, par des fêtes chrétiennes ; la fête de l'éternel retour du printemps, par la fête de la résurrection du Messie, quand bien même les disciples du Messie ne sont pas incités à fêter sa résurrection, mais à ressusciter eux-mêmes. C'est donc l'aspect du culte, c'est-à-dire de la culture, qui fait de l'Eglise romaine la matrice de la culture de mort antichrétienne, et d'une détermination idéologique que l'on retrouve dans tout l'art et la science modernes : cette détermination consiste à effacer le conditionnement naturel qui fonde la culture de vie païenne, pour lui substituer une détermination aussi vague que peut être le "culte des saints" ou la "culture de la résurrection", dont le chanteur populaire le plus crétin donnera une version idyllique, sous la forme du "On ira tous au paradis !".