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Un pape marxiste ?

Le reproche a été fait au pape François d'être marxiste par des idéologues libéraux américains, à la suite de discours condamnant les méthodes économiques libérales.

Disons-le d'emblée, la critique marxiste serait dépourvue d'intérêt si elle consistait dans la remise en cause des méthodes économiques libérales, puisqu'un tel discours revient à pisser dans un violon et, en définitive, à conforter l'idéologie libérale comme la doctrine la plus pragmatique et rationnelle.

Karl Marx n'envisage pas le libéralisme tel qu'il se définit lui-même, mais tel qu'il est du point de vue historique, comme une composante du totalitarisme. Sans l'appui de l'Etat et de ses pouvoirs régaliens extraordinaires, la constitution de monopoles industriels et bancaires n'aurait pas été possible. La concurrence et la compétition qui, selon les idéologues libéraux sont facteurs de liberté économique, conduisent au contraire selon Marx à la constitution de positions économiques dominantes inexpugnables. Le monopole sur l'arme nucléaire est un exemple de monopole où ce double aspect régalien et capitaliste est perceptible, puisqu'il permet largement aux nations capitalistes surendettées de "tenir en respect" leurs créanciers, sans quoi elles ne pourraient poursuivre leurs objectifs de croissance et s'effondreraient. L'explication marxiste des guerres mondiales est loin de l'explication stalinienne pittoresque d'un accès de folie fachiste. Même Hegel, pourtant si peu lucide sur la décadence scientifique de l'Occident, ne conçoit pas Napoléon comme un homme vraiment libre de ses actes, mais plutôt comme l'acteur principal d'un opéra qui en ignore le livret.

Marx souligne en outre combien les valeurs judéo-chrétiennes s'accordent avec ce plan de développement capitaliste. Et, indéniablement, l'idée de modernité est indissociable des valeurs judéo-chrétiennes : les utopies modernes totalitaires portent la marque du judéo-christianisme, qu'elles soient athées ou non. Du point de vue païen antihistorique synthétisé par Nitche, l'éthique moderne est une culture de mort irrationnelle. Nitche oppose ainsi à l'éthique et l'économie modernes les exigences de l'art et de la culture de vie païenne. Ce que la doctrine de Nitche occulte, d'une manière vraisemblablement volontaire, c'est la subversion du message évangélique opérée par ces valeurs dites "judéo-chrétiennes". Autrement dit, le progrès social et l'équité sociale sont des objectifs chrétiens truqués et catastophiques selon Nitche ; en réalité, il n'en est rien, les évangiles sont purs de tout motif de justice sociale. Ils ne permettent pas plus de légitimer la tyrannie que la révolte populaire ou la démocratie, bien que la plupart de leurs traductions ont servi cette fin.

La logique païenne de Nitche cède sous le poids de la nécessité de faire porter la responsabilité de la subversion ou de l'inversion des valeurs au peuple, aux faibles, aux ratés, contre la démonstration de Shakespeare que cette subversion répond essentiellement aux besoins des élites morales et politiques occidentales. Ainsi les personnages qui, dans le théâtre de Shakespeare, tentent l'impossible conciliation de l'esprit chrétien et de la volonté politique, ou bien l'incarnent par l'usage de symboles usurpés, sont-ils représentatifs de l'antichristianisme et de sa montée en puissance au cours de l'histoire moderne. Shakespeare a conscience que la rétractation du monde au catholicisme ou à l'universalisme n'est pas le satanisme le plus brutal et aristocratique, à la manière de Nitche, mais bien l'invention du providentialisme le plus abstrait et fragile, anthropologique afin de préserver intactes les visées de l'élite.

Le totalitarisme s'impose donc, contre la critique rationaliste de Nitche, en dépit de son caractère ubuesque et de l'effritement de la responsabilité politique qu'il entraîne, au grand dam des partisans réactionnaires du "politique d'abord", parce qu'il est le mieux adapté. L'aliénation du monde est la réponse du monde à la révélation chrétienne.

Où le marxisme rencontre le christianisme, c'est lorsqu'il définit l'Etat moderne comme un facteur d'aliénation et une idole dont l'analogie avec le veau d'or n'est imperceptible que pour quelques puritains socialistes.

Voilà pourquoi le Messie n'est pas venu apporter la paix au monde ; parce que celui-ci ne peut la concevoir autrement que comme l'ordre, fondé sur l'illusion de l'éternel retour, quand le christianisme affirme que l'émancipation de l'ordre naturel est possible. Si l'équilibre du monde était possible, la décélération prônée par certains, alors Nitche aurait raison : le christianisme ne serait qu'une pure invention, et l'histoire un leurre.

Comme les évangiles n'ont aucune solution pour rendre le monde plus juste, non seulement le pape et les actionnaires des doctrines chrétiennes sociales ne sont pas marxistes (la conception de la science selon Marx, comme étant "hors du monde" ou répondant peu à ses besoins, est très proche de la conception chrétienne de dieu), mais ils ne sont pas chrétiens. Si les institutions chrétiennes avaient le monopole du salut, elles ne seraient pas irrémédiablement divisées sur ses solutions - irrémédiablement, car l'apocalypse est à l'oeuvre et l'histoire ne repasse pas les plats.  

Commentaires

  • C'est dire que l'adaptation est une soumission, un renoncement à la liberté et donc une folie. Par quel mystère apparait-elle aux esprits de certains hommes comme une preuve d'intelligence et disons-le de supériorité? pour quelles étranges raisons la droite devient-elle la gauche dans le miroir? La réflexion fait de nous des lâches dit en substance Shakespeare, mais elle ne leurre que ceux qui veulent bien être leurrés et force est d'admettre qu'ils sont toujours plus nombreux.
    La folie est sans aucun doute la réponse la mieux adaptée à la parole de dieu. Quand un Poutine gracie un assassin milliardaire pour des "raisons humanitaires" (sa mère est malade ajoute-t-il), le pire est qu'il pourrait bien être sincère, y a guère que sa propre mère pour le croire, on est à des années lumière de la grâce que Jésus accorde à l'assassin sur la croix.

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