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Théorie du bonheur

L'intérêt d'une théorie du bonheur, c'est que l'idée du bonheur occupe la même place dans les régimes totalitaires que l'idée de dieu dans les régimes tyranniques (théocratiques). Nitche, sachant que le sentiment religieux n'a pas décliné, mais qu'il est au contraire en plein essor, aurait pu ajouter : "Dieu est mort... l'idée du bonheur l'a tué." Nitche décèle en effet le masochisme dans le comportement moderne, mais le masochisme est lié à l'idée d'un bonheur, d'une jouissance pure.

Ainsi la promesse d'enrichissement faite aux classes défavorisées par leurs leaders (Guizot, Obama, etc.) est une promesse de bonheur indirecte ; la publicité, première religion mondiale, s'occupe ensuite de poser l'équivalence de l'aptitude à consommer toujours plus et du bonheur.

Derrière l'illusion égalitaire se cache aussi une idée du bonheur : il s'agit encore, aussi incongrue soit cette idée, de jouir "à égalité". En réalité, la souffrance est beaucoup plus commune, égalitaire et démocratique que la jouissance. C'est ce qui rend le satanisme de Nitche, apologie de la jouissance et quête raisonnée de celle-ci, incompatible avec les valeurs modernes, que celles-ci soient dites "de gauche", ou bien "de droite".

Si l'on peut dire la quête de Nitche "raisonnée", c'est notamment parce qu'elle est détachée de l'obsession sexuelle, qui caractérise la morale moderne. Empêché de jouir sexuellement en raison d'une santé défaillante, Nitche est convaincu, à juste titre, que l'art ou la poésie sont une source de jouissance plus sûre que la sexualité, et que l'aptitude d'un impuissant sexuel tel que lui à s'épanouir n'est pas moins grande que celle d'un homme moins naturellement chaste. Il est vrai cependant que Nitche a lutté toute son existence pour atteindre le bonheur, dont l'accès lui était rendu difficile par la maladie. C'est l'aspect le plus moderne de Nitche : il est malade, physiquement et psychiquement.

La doctrine de Nitche exclut l'amour, comme une notion métaphysique improbable ou irréelle, ainsi que toutes les notions métaphysiques que sont la liberté et la vérité. Le mérite de cette doctrine est de réduire à la ruse ou à l'imbécillité toutes les représentations frelatées de l'amour, sentimentales ou romantiques. L'idéalisation de la sexualité dans la culture moderne est parfaitement symétrique de l'idéalisation de l'argent, comme un moyen de parvenir au bonheur.

Il n'y a rien à espérer de la démocratie en termes de bonheur suivant Nitche, qui prédit un destin catastrophique à ce type de régime - destin déjà partiellement accompli. Cependant le citoyen lambda ne se déplacerait pas pour participer aux grand messes électorales, s'il n'espérait pas que la démocratie tiendra un jour sa promesse de paradis sur terre.

On peut voir aussi à travers l'idée, la représentation du bonheur moderne, largement inoculée par la publicité aux gosses dès le plus jeune âge, véritable fléau moral, une représentation féminine du bonheur et de la jouissance ; il y a dans le masochisme une aspiration irrationnelle au bonheur, et c'est celle de la femme ou de l'homme moderne. On la reconnaît aisément à la place que la sécurité prend dans l'idéal du bonheur totalitaire. Les femmes conçoivent aussi généralement le bonheur d'un manière plus quantitative que qualitative. Le bonheur, pour les hommes, est vital, constitutif de la volonté, relatif. Pour les femmes il est macabre, absolu, plus proche de l'état d'inertie. La mort est en effet le seul état théoriquement pur de toute souffrance. Et Nitche parle justement à propos de la société moderne de culture de mort. L'expression de "culture de vie" dans la bouche du clergé catholique, est entièrement dépourvue de signification. Il est question exclusivement de "vie éternelle" dans les évangiles, et celle-ci est dépourvue de toute dimension culturelle, artistique, politique, et bien sûr charnelle. 

Le paradoxe est donc que le bonheur n'a jamais une si grande valeur, une valeur infinie, que pour ceux qui en sont le plus éloignés.

A titre personnel, si je me sens "qualifié" pour parler du bonheur, c'est parce que je ne me suis jamais senti aussi heureux. Cela étonne parfois certains de mes proches, en même temps qu'ils ne peuvent que faire le constat de mon excellente santé et dynamisme. Sans doute je ne ris pas souvent, car mes contemporains m'en donnent très rarement l'occasion, occupés surtout à chercher le bonheur là où il n'est pas - l'amour, l'argent, un métier stupide dans le secteur tertiaire, etc.

A quoi tient mon bonheur ? J'ai mesuré la chance de naître français en visitant les Etats-Unis, où la société la plus laide et la plus féminine est implantée dans des contrées magnifiques ; je compte bien sûr les dons qui m'ont été accordés par la nature, même s'il ne faut pas les surestimer, car la morale moderne est capable de transformer un homme convenablement pourvu en plaie vivante ; mon mépris de l'éthique moderne, assez précoce, m'a évité de tomber dans les pièges que la société moderne tend aux jeunes gens afin de mieux les soumettre. Je dirais que mon premier mouvement de rébellion fut contre l'école : j'avais le sentiment que la culture, l'art, la science, pouvaient être des choses intéressantes, que l'école prenait un malin plaisir à rendre ennuyeuses, scolastiques.

Bien sûr, étant heureux, on a mieux conscience des limites du bonheur et de la relativité de cet état. La volonté de suicide n'émane pas forcément d'un homme malheureux, et certains philosophes antiques prônent le suicide comme un moyen de remédier, le cas échéant, à la souffrance, telle que celle que la vieillesse peut engendrer, par exemple.

La psychanalyse moderne est inférieure à la morale antique, car elle signale moins les limites du bonheur. L'usage de la psychanalyse et des psychanalystes par l'appareil d'Etat totalitaire est destiné à surseoir à la carence du clergé catholique.

La métaphysique est sans consistance, dit Nitche - il n'y a rien en dehors de la nature. On peut prendre cette déclaration comme une pétition de principe : tant qu'un individu n'a pas atteint un niveau de jouissance suffisant, la métaphysique n'est rien à ses yeux, toute sa force et toute sa volonté concourent à atteindre un niveau de jouissance acceptable. Autrement dit, l'individu qui souffre raisonne uniquement en termes de besoin. Il peut, à cette fin, croire en des dieux abstraits ("Dieu est un point", dit Pascal), dont la fonction est uniquement de les aider à prendre patience et à endurer la frustration. La musique est une telle pataphysique, qui s'est substituée dans les temps modernes à la métaphysique véritable, qui ne prend pas sa source dans l'âme, mais dans le cosmos.

La caractéristique de l'amour, de la vérité et de la liberté, est de ne répondre à aucun besoin humain. En politique, ce qui ne répond à aucun besoin humain, n'est d'aucun usage et n'existe donc pas. Comme le souligne H. Arendt, l'intérêt de l'institution étatique et des fonctionnaires de l'Etat moderne pour la science est on ne peut plus suspect (de machiavélisme), car quel pourrait bien être, sur le plan politique, l'usage de la science ?

 

Commentaires

  • "Sans doute je ne ris pas souvent, car mes contemporains m'en donnent très rarement l'occasion"

    Toujours la faute des autres ! Z'avez qu'à vous en donner vous même, des occasions ! Cela dit tant qu'il y'a la santé hein... Et puis cela vous cajole peut être l'égo, votre santé solide et sinistre : "Les évangiles ne rient pas !". La canonisation est proche Lapin, faite gaffe !

    J'ai pas trouvé le temps de vous répondre sur l'autre fil - pas que je vous imagine très impatient cela dit - mais il est possible que je développe quelques aspects sous peu.

    Dynamique, le mot est lancé ! J'ai eu une vision du coup ! Portrait de l'apôtre en "jeune cadre dynamique, frais et dispo" ! En tout cas, pourvu qu'ça dure !

    (Note très intéressante par ailleurs)

    Bonne journée.

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