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Pourquoi Flaubert n'est pas bourgeois

Pourquoi Gustave Flaubert n'est-il pas un romancier bourgeois, en dépit qu'il a bien assez d'argent pour se soustraire à la nécessité de travailler pour gagner sa vie et vivre en bourgeois ?

G. Flaubert n'est pas un romancier bourgeois car il traite toujours le désir amoureux sur le mode comique. Si cela paraît évident à la lecture de "Bouvard & Pécuchet", c'est aussi le cas de "Madame Bovary", qui n'est ni un roman féministe, ni un roman misogyne, mais un roman qui souligne que la vie de province est propice au nihilisme. Emma n'est pas plus héroïque que Roméo et Juliette : c'est elle aussi une victime.

"Madame Bovary" souligne la bipolarité de la culture bourgeoise, d'une manière qui dévalue complètement la psychanalyse freudienne.

En effet Emma sort des gonds du mariage bourgeois pour s'adonner au libertinage : elle croit ainsi s'émanciper de l'ennui, alors qu'elle se précipite vers la mort. Un libertin, lassé des plaisirs du libertinage qui conduisent à la saturation des sens, un libertin qui croirait trouver dans la vie monacale la liberté sous la forme du repos de l'âme, effectuerait la même translation qu'Emma. On ne retrouve pas par hasard chez les grands débauchés les mêmes rituels que chez les dévots. S'il n'avait pas été incarcéré, le Marquis de Sade aurait-il écrit le roman de sa libido ? Thérèse d'Avila est une Sade en robe de bure.

La culture bourgeoise est bipolaire car elle oscille entre puritanisme et libertinage. Dieu sait que ce ne sont pas les libertins qui manquent en France, y compris (surtout ?) dans le clergé ; Flaubert, étant donné le relâchement de ses moeurs, peut passer pour tel. Si Flaubert n'est pas un de ces ennemis de l'humanité, qui se repaissent de la chair humaine et boivent le sang des pauvres dans des calices dorés, c'est parce que, libre-penseur, il ne participe pas au culte de la Chair.

Flaubert aurait condamné son art s'il avait posé l'équation de la liberté et de la sexualité ; S. Freud ne pose pas non plus cette équation, mais la psychanalyse ne tient aucun compte du conditionnement de la culture bourgeoise. Autrement dit, si la psychanalyse ne justifie pas la société de consommation, elle s'accommode de sa barbarie mortifère. La psychanalyse s'enracine dans des mythes et des religions antiques qui expriment que l'homme ne peut se satisfaire d'être un animal ; elle les transpose en vain dans une société bourgeoise qui repose sur l'aliénation. Si on fait le bilan de la psychanalyse, on ne peut que constater qu'elle s'est avérée inefficace contre l'aliénation.

En parlant de psychanalyse, on parle encore de littérature compte tenu de son influence délétère sur la production littéraire au XXe siècle, rarement comique. La psychanalyse a stimulé un art et une littérature intensément spéculatifs.

Le service rendu par la psychanalyse à la bourgeoisie est le suivant : la psychanalyse est le voile qui dissimule que la culture bourgeoise est une impasse, sa littérature un exercice de style de plus en plus anémié.

Je crois me rappeler que Louis-Ferdinand Céline reprend à son compte ce leitmotiv antibourgeois, que je cite de mémoire sous forme d'adage : "Ne parler du sexe que de façon cocasse". Il ne s'en est pas privé dans "Mort à Crédit", roman qui porte aussi sur le statut métaphysique de la Mort dans la société bourgeoise.

(Chronique pour la revue littéraire Z)

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