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  • Petit traité d'art contemporain (2)

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    Dans le mince "traité objectif d'histoire de l'art contemporain" qui reste à écrire, celui qui s'y collera pour les générations futures ne devra pas omettre de mentionner la bande-dessinée francophone.

    Bien sûr, le premier réflexe lorsqu'on évoque l'art moderne capitaliste, c'est de penser au cinématographe qui coïncide avec l'épisode de croissance industrielle accéléré que l'Occident vient de subir. C'est aller un peu vite en besogne… La création artistique déborde parfois le principe un peu romantique de la solitude et du silence absolus sans lesquels la concentration des forces spirituelles de l'individu n'est pas possible, certes, il ne faut pas être trop "puriste"… mais on ne peut pas prétendre produire quelque chose de vraiment cohérent dans le brouhaha d'un plateau de tournage, le vrombissement sourd des moteurs et des machines et le jacassement aigü des starlettes… sans compter l'impératif de profit…
    L'expression de "Septième art" est donc abusive, pour ne pas dire publicitaire. Le cinéma a très tôt été empêché de s'élever au-dessus d'un niveau qu'on peut qualifier, en faisant preuve de tolérance, d'"infra-littéraire".
    Que reste-t-il des ballets muets filmés, et même des "belles américaines" d'antan, lorsque le capitalisme prenait son élan et n'occupait pas encore tous les recoins de liberté ?

    La bande-dessinée mérite plus d'égards. On se situe-là plutôt au niveau de la "para-littérature", un cran au-dessus, grâce à des conditions de production et d'exploitation beaucoup moins lourdes. Même si la bande-dessinée a perdu elle aussi petit à petit beaucoup de son esprit d'indépendance.
    Sinon le métier des dessinateurs de bande-dessinée est très inférieur à celui des peintres baroques, ça tombe sous le sens, mais il faut s'empresser d'ajouter que ça n'en est pas moins un vrai métier quand même, ce qui n'est déjà pas si mal quand l'amateurisme fait la loi un peu partout.

    Comme le cinéma, la bédé cède souvent à l'adaptation de "classiques" de la littérature, faute d'esprit d'aventure aujourd'hui. Je me rappelle avoir été initié à Homère dans mon enfance par une bédé qui mettait habilement en images la guerre de Troie et m'avait fourni ainsi quelques points de repères précis. Et un auteur nord-américain a entrepris récemment de raconter toute l'Odyssée, en tentant de combler les incohérences du récit.

    Le destin de la bande-dessinée est de toucher les enfants (de 7 à 17 ans) vu que c'est un mode d'expression bâtard dont la puissance suggestive est par conséquent limitée. Il emprunte beaucoup à la narration et un peu au dessin. Les tentatives de produire de la bande-dessinée pour adulte se sont d'ailleurs peu ou prou soldées par des échecs, en dehors de l'humour et de la caricature.
    L'autobiographie en bédé, un genre très couru en ce moment car il plaît beaucoup aux bobos, est consternante lorsqu'elle est le fait d'auteurs qui se prennent au sérieux et se piquent de philosophie.
    (Au plan artistique, le marché des adolescents attardés n'a quoi qu'il en soit pas beaucoup d'intérêt puisque c'est justement le créneau où l'influence de l'économie capitaliste est la plus nette.)

    Pour illustrer mon propos sur le destin et la bâtardise de la bédé, je cite cet exemple récent d'adaptation d'un roman de Brautigan, Le Monstre des Hawklines, par un dénommé Nicolas Dumontheuil.
    Il est typique en effet de l'erreur qui consiste pour un artiste à ignorer, par vanité le plus souvent, le cadre de sa discipline (Sur le même thème on parlera dans un autre chapitre du cas de Picasso).
    Du trait de Dumontheuil, rien à dire, il a du métier, mais le choix de Brautigan est inepte. Les enfants ne peuvent pas s'intéresser à Brautigan ! Certains adultes non plus au demeurant, les ficelles de Brautigan sont un peu trop grosses.
    Adapter Brautigan c'est peut-être l'assurance d'une bonne critique dans Libération, le quotidien des snobs en faillite, mais ça revient pour Dumontheuil à priver son ouvrage de jeunes lecteurs sincères et concernés.
    Vu le niveau intellectuel des metteurs en scène français, on peut comprendre qu'ils souhaitent se lancer dans l'adaptation du Voyage au bout de la nuit, dès que le tabou sera écarté, pour essayer de faire du pognon sur le dos de Bardamu, mais de la part d'un artisan qui fabrique de la bande-dessinée, c'est un manque d'imagination un peu décevant.
    Dumontheuil, à l'instar de son confrère Daniel Casanave, aurait mieux fait d'adapter Shakespeare pour inciter "nos chères têtes blondes" à faire l'effort supplémentaire de lire son théâtre… Avec Shakespeare, il n'y a pas de risque de se planter.