La plus grossière méprise qui a cours dans notre Université à propos de François Bacon, erreur qui de mon point de vue suffit à discréditer tout l'enseignement de la "philosophie", c'est l'étiquette de "père fondateur de l'empirisme", c'est-à-dire de la science laïque et capitaliste, collée à Bacon comme Locke, Hume, ou Descartes, trois "empiriques" véritables, même si Locke commet des paradoxes moins graves.
Une lecture rapide du "Novum Organum" permet de se rendre compte que non seulement Bacon ne peut être classé parmi les "empiristes", mais qu'il est même un adversaire déclaré de cet empirisme qui va enfler comme une grenouille peu à peu à partir du XVIIe siècle jusqu'à aujourd'hui ; à tel point que Bacon ne partage aucune des idéologies "copernicienne", "galiléenne", etc., inséparables de l'empirisme.
Sartre, par exemple, dont je relisais un chapitre ou deux l'autre jour, est littéralement affligeant, encore plus que Benoît XVI ; cette espèce de bric-à-brac, de cocktail de Descartes, Epicure, Heidegger : je comprends qu'il ait pu séduire une bourgeoise coincée du cul comme Simone de Beauvoir... Mais l'Université ? Un tel gugusse se serait fait virer de n'importe quelle école grecque à coups de pied au derrière (Le 'truc' courant des hommes au physique disgrâcieux, qui consiste à apprendre à jouer de la guitare pour séduire les gonzesses, fonctionne aussi avec la philosophie, tant qu'on s'en tient à la spéculation, et il est probable que Sartre n'a jamais eu d'autre but que de remplacer sa maman par une autre, ce qui le rend plus "humain" que Kant.)
Karl Marx lui-même il est vrai a commis cette bévue de confondre Hume avec Bacon, mais c'était il y a plus d'un siècle et demi, en Allemagne. Tout le mérite de Marx est d'avoir vaincu la philosophie spéculative germanique pour découvrir la pointe enfouie de la science, restaurer le matérialisme, et cela ne s'est pas fait en une semaine, hélas.
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Le seul point où on peut parler d'erreur plutôt que de mauvaise foi manifeste de la part des fonctionnaires de l'enseignement laïc en ce qui concerne Bacon, c'est le point d'Aristote. Là, une lecture plus approfondie de l'oeuvre de Bacon est requise. On peut de fait s'étonner dans un premier temps qu'un adversaire de l'empirisme comme Bacon s'en prenne à Aristote, auquel Marx, pour le coup, accorda invariablement la primauté.
Mettons de côté les circonstances tactiques qui ont pu pousser Bacon à se montrer relativement sévère avec Aristote pour s'en tenir au texte :
- dans le détail on voit que si Bacon critique Aristote, il est moins sévère avec le Stagirite qu'avec Platon, ou les représentants de l'empirisme, et, surtout, qu'avec la secte pythagoricienne. Cette critique des Grecs dans leur ensemble, avec un peu plus d'indulgence pour Parménide, ne fait d'ailleurs que refléter la volonté de Bacon d'aller de l'avant ; mais Bacon sait parfaitement qu'on ne peut pas être progressiste sans être classique, ni classique sans être progressiste.
- le reproche fait à Aristote d'user excessivement du syllogisme prouve par ailleurs que Bacon n'a sans doute pas bénéficié d'une bonne traduction, telle que celle de Ross, de la "Physique" d'Aristote. L'horreur du syllogisme est aussi une caractéristique des scolastiques matérialistes, Duns Scot et surtout Roger Bacon, parent de François, docteur admirable entre tous, à cent coudées au-dessus du connard polytechnicien d'aujourd'hui ou de sa métastase racornie de l'Académie française.
De fait Bacon a dû être induit en erreur par un mauvais commentateur (Ramus, laissent entendre les préfaciers de Bacon aux "Puf", M. Malherbe et J.M. Pousseur) car il n'y a pas d'adversaire plus farouche du syllogisme qu'Aristote. A tel point que celui-ci démontre la nature syllogistique de l'algèbre et anticipe ainsi le fiasco de Descartes ou Newton. L'algèbre est une jonglerie si risquée aux yeux d'Aristote qu'il reproche même aux Eléates de la retourner contre leurs adversaires.