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madeleine chapsal

  • Au bout de Céline

    Comme il paraît à peu près impossible de maintenir Céline hors de l'Université, des bibliothèques et des librairies, la tactique consiste à l'ensevelir sous les préjugés divers et variés, afin qu'il soit au bout du compte comme Proust, parfaitement digeste, accessible aux vierges farouches et aux vieillards gâteux. On mastiquera juste les passages où Céline dépeint les résistants comme des branquignols et des lâches. Encore un peu de patience, dans quelques années on ne lira plus qu'Harry Potter !

    D'où l'exigence de redéfinir Céline. Cerné par les bourgeois nazis hypocrites, c'est un nazi sincère au contraire. Il a commis aux yeux des bourgeois le crime suprême : il a dit ce qu'il pensait, sans détours. Lui-même d'ailleurs s'en est voulu de tant de sincérité : ce n'est pas hygiénique.

    Les quelques "inconditionnels" de Céline (Le Bulletin célinien, par exemple, du Belge Marc Laudelout) se recrutent parmi les bourgeois héritiers de Flaubert, une espèce en voie de disparition. Bourgeois ils sont et ils resteront, mais de peur de mourir d'ennui, sous le poids des conventions, ils ne peuvent s'empêcher de sortir la tête de temps en temps de leur carapaçon. En somme, les vagues, ils se réjouissent comme des gosses que Céline les fasse à leur place.

    Quant aux bourgeois entiers, eux, les héritiers de Sartre, Camus, Malraux, ou qui s'en réclament, ils sont moins naïfs et le fait qu'on puisse, à travers Céline, les démasquer, ça les rend blêmes.

    Pourquoi un communiste préfère-t-il un nazi sincère à un nazi hypocrite ? Parce qu'un communiste n'a pas pour principe de fuir la vérité, bien au contraire.

    *

     La seule info que j'ai pu tirer de cette gazette douteuse, Lire, et de ce numéro spécial consacré à Céline, c'est ce jugement de l'auteur de Mort à crédit sur Balzac, que j'avais oublié, et qui est révélateur lui aussi : "Balzac n'a pas de style." Le jugement d'un romantique sur un classique. En réalité ce n'est pas qu'il n'y a pas de poésie chez Balzac, c'est plutôt qu'elle n'est pas ostentatoire. Ce qui est "abstrait" dans la littérature de Balzac, exactement comme dans la peinture classique qu'il aimait, c'est Balzac lui-même. Balzac n'est pas aussi énigmatique pour un bourgeois que ne l'est la peinture de la Renaissance, mais presque.