Moi, ma préférée, au pensionnat de Chavagnes, c’est Charlotte. Parce que c’est une rebelle, qui essaye de faire tourner les profs en bourriques. C’est la moindre des choses, quand on est enfermé dans un bahut avec des profs qui vous transforment en bons petits soldats gavés comme des oies de savoir pasteurisé. Et c’est la seule de cette trempe-là, Charlotte. Tous les autres, c’est que fayots, pleurnichards et cancres mous courant après leur certificat d’étude.
Internet ne donne que très peu de renseignements sur Charlotte, on apprend juste qu’elle aime bien s'occuper de son rat et faire des bêtises. Aussi qu’elle voudrait entrer dans l’armée. Rien de dirimant là-dedans. À part ça, elle a une sacrée bouche à pipes ; ça, c’est une observation personnelle, bien sûr.
Le mien, de bahut, dans les années quatre-vingt, n’était pas sans ressemblance avec celui de Charlotte, mais en mieux. D’abord parce que des “châtiments corporels” y étaient encore administrés, et que ça nous évitait ainsi de longs sermons pour nous expliquer que tout ça, ces longues journées mornes passées derrière un pupitre, et à tourner en rond dans une cour entre quatre murs, c’était pour notre bien au fond, d’ailleurs les profs n’étaient là que pour le bien des élèves, pour faire d'eux des adultes responsables, et patati et patata… l’horreur ! Je n’aurais pas supporté ça ! Donc mon surgé n’avait pas besoin, comme Monsieur Navaron du Pensionnat de Chavagnes, de rodomontades pour se faire respecter.
Une fois par semaine, il pénétrait tranquillement dans la classe, interrompant un cours, de préférence, afin de châtier le plus indiscipliné d’entre nous. Il avait de la concurrence, mais souvent c’était Frédéric, un petit Vietnamien très turbulent qui multipliait les incartades, qui décrochait le pompon. Le châtiment manquait de raffinement : deux taloches, un simple aller-retour. Mais magistral. La légende voulait que le chaton de la chevalière de Monsieur Hervé restât imprimé quelques jours sur la joue de sa victime.
Nous admirions tous Fred le Viet, non seulement pour l’audace de ses défis, il n’hésitait pas à maculer de crachats la blouse du prof d’histoire-géo, l’atteignant avec une précision diabolique, entre les omoplates, sur le postérieur, où il voulait, de n’importe quel coin de la classe, mais surtout pour son courage. Car il n’hésitait jamais plus d’un quart de seconde à se dénoncer lorsque planait la menace d’une punition collective.
«- Qui a fait ça ?
- C’est moi, M’sieur !», il se dressait sur ses ergots et revendiquait ses droits d’auteur crânement. En général, Fred le Viet ne cillait pas. Sauf une fois où la chevalière avait dû heurter sa pommette et lui faire mal, il esquiva le retour, glissa au sol avec souplesse et tenta de s’échapper entre les rangs. C’était sans compter sur l’allonge de Monsieur Hervé, qui le chopa par la tignasse d’une main sûre, et, le maintenant en place d’une main, appliqua la correction derechef de l’autre. Nous observions la scène dans le silence le plus complet et le bruit bizarre des coups nous faisait sursauter.
L’autre avantage de ma pension sur celle de Chavagnes, c’est que nos banals exploits n’étaient pas filmés. En revanche, la mixité, j’ai connu ça. C’est très dur. Quand on est avec des filles de treize, quatorze ans, attendues par des types de dix-sept, dix-huit ans devant le portail, à califourchon sur leurs motos, qu’on a soi-même que onze ans, ouais, c’est très dur d’attendre.
Dans la classe, y’avait que Ronan, le mieux bâti, il avait redoublé plusieurs fois, qui en profitait. Cette fille, Valérie, s'asseyait à côté de lui au premier rang, il lui mettait la main dans la culotte en plein cours, au nez et à la barbe du prof d’histoire-géo aux trois quarts cacochyme. D’abord, elle tortillait du cul sur son banc, puis elle se mettait à pousser des petits gémissements… Bon Dieu, y’avait que le prof qui les entendait pas ! Les filles gloussaient en voyant ça, les mecs restaient babas. Celle-là, au moins, elle se fichait du BEPC comme de son premier tampon, une vraie femme…
Commentaires
Dis-donc Lapin, c'était quoi ton pensionnat.
Le Ronan redoublant récidiviste, ça me parle un peu ?
Je serais un vrai cancre si je redoublais-récidivais sur une telle note, Guit'z. Du passé, faisons table rase, comme disent les meilleurs élèves.