Fnac Montparnasse, 13h00. Je monte la garde devant la tour d'Harry Potter, bien décidé à repérer quel genre d'individu peut bien se risquer en plein jour à acquérir cette somme ésotérique - au moins du point de vue syntaxique.
Trois quart d'heure que je poireaute et toujours rien… Mes nerfs sont mis à rude épreuve par cette invite inlassablement répétée au micro :
« Gaulois, Gauloises, à l'occasion de la sortie du dernier album des aventures d'Astérix, vous êtes invités à venir déguster un verre de potion magique au rayon bandes-dessinées. » Peux pas abandonner mon poste, mais le nain de jardin à moustaches ne perd rien pour attendre, m'occuperai de lui une autre fois…
« Pour elle, faire l'amour sans risque, c'était comme faire la guerre sans tuer » : Je m'avise que ce roman de Jardin, Pascal, le père, mérite peut-être la publicité que lui fait indirectement la bluette pornographique de l'autre Jardin, le petit, quand je vois un type bizarre s'amener. Mes regards torves ne paraissent guère l'effaroucher en vérité car l'escogriffe vient s'appuyer contre la tour d'Harry Potter même, à quelques centimètres de moi. Palsambleu, je sens sur mon front son haleine fétide ! Il l'entretient en mâchonnant des gélules sucrées qu'il extirpe toutes les dix secondes environ d'un petit sachet Haribo crissant. Il tourne les pages. Je ne l'aurais même pas cru capable d'un geste aussi tendre.
Ah, oui, ce qui est bizarre, ce n'est pas qu'à trente ans passés il porte une casquette de baise-bôle vissée sur le crâne, non, c'est qu'il en ait une deuxième pendue à son falzard. Curieux. Peut-être un signe de reconnaissance entre sorciers ?
Soudain, il repose sa brique de papier, fait un pas de côté, pioche une courte nouvelle de Tolstoï… Un véritable tour de passe-passe vient de se produire sous mes yeux… non, c'était une manœuvre, car le voilà qui bat maintenant en retraite les mains vides. Je pense qu'il a fini par me trouver louche, avec mon mauvais œil de jeteur de sorts.
Quelque chose d'impalpable me retient de crier victoire, d'ailleurs, cinq minutes plus tard, mon quart d'alphabète revient à la charge, retâte un peu du Potter, avant de se décider à l'emporter, Alea jacta est !
Une jeune Asiatique vint à son tour feuilleter un exemplaire du dernier Harry Potter, mais elle repartit aussitôt après en avoir pompé toute la substantifique moelle. Bah, si elle s'était laissé tenter, je ne lui en aurais pas voulu à cette fille : il paraît qu'on mérite un peu d'indulgence quand on vient d'aussi loin.
Mais de blond enfançon au regard innocent, point ne me fut donné d'en détourner pendant mon tour de garde. J'étais prêt, pourtant ; bien volontiers je l'aurais pris sous mon aile de phénix pour l'initier aux facéties d'Oscar Wilde, à Jack London ou à Stevenson - ou à Paul-Jacques Bonzon, pour n'être pas accusé de snobisme.
Par quel sortilège les aventures de cet apprenti prestidigitateur en blazer se vendent-elles par millions ? On ne sera pas étonné, je pense, de me voir avancer l'hypothèse du complot.
Commentaires
Pour les gamins finalement c'est très bien qu'ils s'amourache de ces bouquins d'Harry Potter, on peut se dire "au moins ils lisent" et peut être prendront ils gout à la la lecture ce qui n'est pas une mince affaire dans un monde où l'image est reine. Par contre là où je trouve que ça craint (cela dit je n'en ai jamais lu un seul de ces livres, je critique dans le vide finalement) ce sont les gens de 30 piges qui trouvent ça formidable, "c'est tellement plein d'imagination, c'est super tu devrais lire ça marie", mouais je suis pas convaincue, mais alors pas du tout, et même si certains par petit snobisme te disent "ah mais oui mais moi je le lis en anglais c'est mieux".
un bouquin, ou un film quand ça commence à s'eterniser en épisodes, je trouve ça suspect, et les suites sont souvent médiocres. Mais bon ils tiennent le filon, ils vont l'user jusqu'à la corde de toute façon.
"palsambleu"! Mais d'où l'as tu sorti celui-ci, d'un vieux carton dans le grenier de tes aïeuls ou d'un bouquin de la saga poterienne? (inculte, ouais ouais, mais je suis pas une vieille schnocke moi tu sais, malgré mes insomnies)
Je connaissais pas ton penchant pour les enfançons et Oscar Wilde, Lapin, décidement tu me surprendras toujours... à moins que ce ne soit que pur altruisme que tout ça... :)
Je sais pourquoi j'y crois à l'altruisme de Lapinos moi, pas vous Pim?
C'est marrant que tu me parles du grenier de mes aïeuls, Pim, juste au moment où je fouille de vieilles malles à la recherche de trésors oubliés, en espérant être dérangé par le fantôme de Canterville…
Lapinos, je ne vous lis pas depuis longtemps, mais je finis par croire que vous y travaillez à la FNAC à y déambuler toutes les semaines; ici à la traque des Pottermaniacs, là à l'affût des lectrices de romans érotiques.
Pour les lectures de jeunesse, j'ai failli utiliser "enfantines", j'approuve vos références et j'ajouterais : J. Falkner (les contrebandiers de Moonfleet), Lewis Caroll ...
puis (pour un public plus âgé) : Jules Verne, Gaston Leroux, Maurice Leblanc, Conan Doyle...
Falkner connais pas, Lewis Caroll est-ce si enfantin ? Gaston Leroux plaît aux Américains, pour le reste nous sommes d'accord, à condition de ne pas oublier La Comtesse de Ségur, Georges Sand, Aymé, Swift, Dumas, Kipling, Goscinny, Ollivro, Kästner, Grimm, Volkoff, Tournier, Foncine, Dalens, Poirot-Delpech… Les vils fanatiques d'Harry Potter ne pourront pas dire que nous n'avons pas tout fait pour les arracher à leurs turpitudes, Suzette.
Un bon écrivain pour la jeunesse : C.S. Lewis, "Chroniques de Narnia". En l'occurrence, c'est le prochain Disney qui sortira pour les fêtes de Noël :
http://www.disney.fr/narnia
Foncine et Dalens ... et les illustrations de P. Joubert dans les vieux SdP ... Que de souvenirs ... chez nous aussi nous avions nos malles - de vieux pétrins en l'occurence - avec tous les livres des enfants de la famille de génération en génération ...
Suzette ? Une référence à la semaine de Suzette ? Ma grand-mère et ma mère y étaient abonnées et j'y ai passé de belles heures de lecture...
Et tous les vieux livres de prix avec leurs vieilles couvertures de cuir rouge brique ...
Garenne, je suis certaine que vous connaissez les éditions de triomphe non ?
Hum, ca sent la nostalgie ici ce matin ... le dimanche, avec les croissant et le café ...
Le dimanche, avec les croissants et le café… et tous vos petits-enfants qui font cercle autour de vous ! Comme je vous comprends.
Mais sans doute votre mémoire vous trahit-elle un peu car des livres de prix avec des couvertures en cuir, je n'ai jamais vu ça.
Je vous prie d'agréer, Madame, l'expression de mes hommages respectueux.
Monsieur,
Savez-vous que renvoyer sans cesse son âge à la face d'une dame n'est pas chose séante ?
Je vous concède que ma mémoire me trahit s'agissant des livres de prix mais lorsque j'étais enfant (naguère !) j'ai toujours eu le goût d'embellir les choses et d'habiller la réalité avec des habits du dimanche ! J'ai gardé cette vue de la vie.
Vous ne me répondez pas sur les éditions du triomphe. Votre mémoire vous lâcherait-elle d'une ligne à l'autre ? Chaussez vos bésicles et nous reparlerons de mon âge.
Je souhaite le bon jour Monsieur.
Et quel prix obteniez-vous dans votre enfance ?
(Que voulez-vous que je vous dise à propos des éditions du Triomphe ? C'est une petite maison qui se contente de rééditer de vieux succès de librairie, RAS, comme dirait votre Uhlan.)
( Rien, je voulais juste savoir si vous la connaissiez... That's all)
Les prix de Diane, d'Amérique, de l'Arc de Triomphe et du Jockey Club mon Cher ! A quel autre prix pourrait prétendre une vieille carne comme moi ?
Louise L. ?
?
Oui?
Je connais une Louise L. d'environ 24 ans, une tête à claque assez pétillante, le genre qui fait faire des conneries aux mecs… Est-ce que c'est vous ? Vous reconnaissez-vous ?
Non!