Maintenant que les journalistes ne font plus que noircir les pages entre deux encarts publicitaires - ou LA page -, en faisant attention à ne froisser aucun des "annonceurs" (véritables) du canard qui les emploie, on a du mal à imaginer quelle fut la variété et la richesse, la qualité aussi, de la presse au XIXe et jusqu'au milieu du XXe.
Il serait sans doute excessif de dire que le type de l'éditorialiste chiant et moralisateur est un phénomène nouveau, mais comment ne pas observer que ce type-là s'est multiplié comme les mouches sur un morceau avarié. Poireau-Delpech, Philippe Val, Jean-Marie Colombani, Claude Imbert, Jean Daniel, BHL : rien que ceux-là, je serais curieux de savoir combien de décrochements de mâchoires ils ont à leur actif ? Et combien de lecteurs ont raté leur station de métro, victimes d'un assoupissement intempestif, ayant décidé en montant à "Victor Hugo" ou "La Muette" de lire la "tribune" de Jean d'Ormesson, juste comme ça, pour se raccourcir le trajet ?
Les derniers des Mohicans, à faire encore preuve d'alacrité et de curiosité, Cabu, François Brigneau, Patrick Besson, par exemple, doivent se sentir bien isolés.
On a du mal à imaginer en lisant la critique littéraire de Frédéric Beigbeder dans Lire ce que furent les critiques littéraires de Nimier dans La Parisienne ou de Blondin dans Rivarol. Et Beigbeder n'est pas le pire !
L'Action française fut une de ces étoiles qui brilla au firmament de la presse d'opinion libre. Une des spécialités de L'Action française, c'était la revue de presse, la meilleure de toutes ! (Assurée entre autre par François Leger - l'auteur d'Une jeunesse réactionnaire).
On peut peut-être encore, tout de même, une fois par semaine, tenter d'en faire une, de revue de presse ?
« Tout de suite il fut mon maître : Lucien Jerphagnon. Si je suis devenu ce que je suis, aux antipodes de ce qu'il est en tout ou presque, c'est à lui que je le dois. Car il fut mon maître, comme on l'était sur l'agora ou le forum romain et comme plus tard Nietzsche dit qu'on doit l'être : en apprenant à ce qu'on se déprenne de lui. (…) »
Michel Onfray ("Nouvel Obs." 5 avril)
Aux "antipodes", c'est vite dit, car pour ce qui est de l'anticléricalisme, même si celui du maître est plus subtil que celui de l'élève - comment pourrait-il en être autrement ? -, on ne peut pas dire que Jerphagnon brille par son amour de l'Église.
« Les gens se trompent sur mon compte. Ils me prennent pour un type bien, un poète, un ange. Ils voudraient que je sois le fils de Rimbaud ou de je ne sais qui, et ils découvrent, en m’approchant, que je suis un clampin. Un mec commun, plutôt égoïste, un banlieusard qui s’éclate devant "Terminator" et fait des vannes de petit con. Alors forcément, ils sont déçus. (…) Je n’ai jamais rien lu de ma vie, à peine un bouquin par an. Du milieu super cultivé dans lequel je suis né, je n’en avais rien à foutre quand j’étais gamin. (…) Mon sens artistique, il m’est venu plus tard, des femmes que j’ai fréquentées (…)
Mano Solo (interviouvé par Gérard Miller dans "La Vie", mai 2007)
Le moins qu’on puisse dire, c’est que le fils de Cabu ne se la pète pas ; ça change de tous ces chanteurs bobos dans le genre de Delerm ou Bénabar qui se donnent des airs d’avoir lu tout Proust la veille au soir pour débiter quelques slogans éculés.
Un bon Cabu, tiré du "Canard enchaîné" :
« François Bayrou, seul candidat à la présidence de la République, avec Philippe de Villiers, à s’afficher catholique pratiquant (…), a toujours été fluctuant : à dix-sept ans, en mai 1968, il faisait partie du comité d’action de son lycée ; à 19-20 ans il passa par l'"Arche" de Lanza del Vasto puis par les "Silencieux de l’Église" de Pierre Debray (pseudo de Sadi Couhé, 1922-99) ; à 21 ans il consacra son mémoire de maîtrise de lettres au "Mystère de la Charité de Jeanne d’Arc de Péguy".
Le mouvement de Pierre Debray n’était pas destiné à résister silencieusement (…) aux dérives post-conciliaires, mais au contraire à donner une voix à ceux qui avaient subi silencieusement, mais contre leur gré, les réformes (…) »
(Bulletin de l’Entente catholique, mai-juin 2007)
De là à qualifier Bayrou de "catho-traître", il y a un pas que la charité chrétienne n'interdit pas de franchir…
« Au mois de septembre 1932, fut passé à Metz, entre le représentant du Saint-Siège (le cardinal Tisserant) et celui du Patriarcat de Moscou (Mgr Nicodème) un accord en vertu duquel le Saint-Siège s’engageait à ce que le Concile qui allait s’ouvrir ne pertât “aucune attaque directe contre le régime communiste”, en échange de quoi le Patriarcat acceptait d’envoyer au Concile des obervateurs invités.
Le fait fut révélé en janvier 1963 par l’hebdomadaire du Parti communiste "France Nouvelle", et confirmé peu après par l’évêque de Metz, au cours d’une conférence de presse. Puis, personne n’y a jamais fait la moindre allusion, et il tomba dans un profond oubli.
(…) M. Madiran fait valoir que, si les connivences et le silence à l’égard du communisme furent, parmi les catholiques, bien antérieurs à l’accord de Metz, celui-ci les a consolidés et comme authentifiés, en leur donnant force de loi. Ce faisant, l’Église apporta au communisme la force d’appoint dont il avait le plus besoin pour s’étendre et se fortifier, en empêchant ses adversaires de le combattre. (…) »
(Bulletin des Lettres, février 2007)
Les dernières élections ont montré un glissement de l’électorat catholique et protestant vers la droite, Le Pen, Villiers et Sarkozy, alors que cet électorat était auparavant réparti à peu près équitablement entre la gauche et la droite. Serait-ce une conséquence de la chute de la pratique religieuse et des vocations ?
Sinon on attend que Michel Onfray, toujours prompt à dénoncer les accointances de l’Église avec des régimes assassins, dénonce ce pacte passé par l'Église catholique avec le régime communiste officiellement athée.
« Alors que dans l’Ancien régime les gains de production étaient finalement épongés rapidement par la croissance de la population, le nouveau mode de production industriel, pour employer la terminologie marxiste, comporte au contraire un développement cumulatif de la production et de la technique qui permet de briser la malédiction malthusienne et d’assurer à l’humanité ce rythme de changement extraordinaire qu’elle n’avait jamais connu et qui caractérise notre époque. »
(François Furet, “Commentaires”, printemps 2007)
Contrairement à ce qui s’est dit récemment, les analyses pénétrantes de Furet doivent beaucoup plus à Marx qu’à Tocqueville, un philosophe certainement moins obtus que BHL, mais qui a néanmoins longtemps été abusé par les aspects séduisants de la démocratie étatsunienne, avant de pressentir les inconvénients de l'égalitarisme. D'ailleurs il est assez cocasse de voir BHL marcher sur les traces de Tocqueville, lorsqu'on sait que ce "libéral" fut partisan d'une répression féroce en Algérie.
« En effet, c’est en Angleterre que se font et surtout que se diffusent toutes les inventions fondamentales de l’industrie moderne (…). Rien de semblable en France, qui ne progresse dans ce domaine, sauf exceptions, que par des emprunts d’ailleurs tardifs à l’Angleterre. Ce qui, par parenthèse, montre qu’il n’y a pas de liens automatique entre science et technique car la France du XVIIIe siècle est un pays extrêmement brillant sur le plan de l’innovation scientifique et, au contraire, elle est relativement archaïque sur le plan technique (…) Or, c’est ce qui se produit en Angleterre dans la deuxième moitié du XVIIIe ; on y voit naître un pays de bricoleurs passionnés de gadgets. »
(François Furet, "Commentaires", printemps 2007)
Les "bricoleurs passionnés" de Furet font bien sûr penser au personnage de Courtial des Pereire dans Mort à crédit, à la satire que Céline fait de la société industrielle et démocratique. Une pierre dans le jardin de la vieille gauche tendance Zola ou de la nouvelle droite tendance Jacques Attali ou Alain Minc qui croit fermement qu'en dehors du gadget il n'y a point de salut.
Commentaires
Je ne voudrais pas - une fois de plus - semer la zizanie, mais n'est-ce pas vous qui, dans un billet posté naguère et que je n'ai pas le courage de rechercher, avez dit le plus grand bien de la biographie de saint Augustin par ce même Jerphagnon que vous vilipendez aujourd'hui?
Quand on n'accepte pas le mauvais esprit on s'oblige au relativisme culturel et on prétend comme Guillaume Durand que les Rolling Stones valent Bach !
Souvent je me rends dans des appartements où il n'y a pas un seul livre comme hier soir, le plus étrange c'est quand ce sont des logements de profs !
Non, Mlle, je disais que lorsqu'on n'est pas philosophe, la petite introduction de Jerphagnon à saint Augustin pouvait décevoir.
Tu balises mal Lapinos, je sens comme une espèce de gras qui me pèse sur l'écriture ...
Pourquoi des " " au libéral de Tocqueville ? C'est un libéral classique pourtant. C'est à certains libéraux actuels qu'on devrait les leur réserver.
Lapinos : Je ne te connais pas, mais j'apprécie la façon superbe dont tu baffes tous ces cloportes trisomiques (et paumés quelque part, il faut le dire)
Lapinos, tu es un réactionnaire pur (et donc, un vrai révolutionnaire, comme lesdites blattes vérolées l'ont oublié depuis que leur anus est gluant) et dans mon esprit (qui connait le sens des mots) ce n'est ni une insulte, ni un compliment ; tout juste un qualificatif, une opinion révisable ou pas.
Que l'on croit en un dieu ou pas, toute foi n'est que réaction (et vice vertu) On ne lit pas autre chose dans les évangiles et ailleurs, d'ailleurs. Encore faudrait-il savoir lire avant de parler ou d'écrire. A+
Cabu, Lapinos? Vous me décevez...et Chard?
Euh... sur Tocqueville, désolé de vous contredire, mais je vous invite à vous méfier des "sources" animées de la haine du libéralisme, lesquelles savent fort bien controuver quelques phrases isolées, suivant ainsi l'enseignement de leur ancêtre Fouquier-Tinville. La vérité est que Tocqueville, grand abolitionniste (et en prime ennemi - idéologique - de Gobineau), condamna clairement la cruauté de nos troupes en Algérie!
Votre respect pour Cabu (cet homme d'affaires redoutable qui n'hésite pas à être l'hagiographe grassement rémunéré de Delanoë) est subverti par cet aveu, pardon cette dénonciation terrible de son fils : "Je n’ai jamais rien lu de ma vie, à peine un bouquin par an. Du milieu super cultivé dans lequel je suis né, je n’en avais rien à foutre quand j’étais gamin." Et quand vous dites "le fils de Cabu ne se la pète pas", vous avez bien raison... et lui aussi, car il n'y a vraiment pas de quoi se flatter d'être un médiocre musicos, "remarquable" surtout par sa "qualité" de sidéen (vous diriez "sidaïque") pour cause de seringues partagées sans discernement. Un grand classique : les parents sont (baba-)cools avec les drogues douces, les enfants se sentent obligés de faire mieux et vont directement aux drogues dures. Nos cotisations sociales maintiennent à grands frais en vie la loque humaine qu'est le fils, nos impôts locaux parisiens subventionnent son lamentable père. Le modèle social et culturel français, résumé par la tribu Ubu, pardon Cabu.
Enfin, dites-moi que je me suis trompé : je n'ai pas réellement lu ceci "(interviouvé par Gérard Miller dans "La Vie", mai 2007)"? Ou alors, c'est vous qui vous êtes trompé? Ou encore, c'était La Vie du Rail (de coke)? La Vie, même ex-catholique, ne rémunère quand même pas l'immonde Miller? Ayez pitié de moi et rassurez-moi, Lapinos.
Tu as de drôles de lecteurs !
« Je crois que le droit de la guerre nous autorise à ravager le pays et que nous devons le faire soit en détruisant les moissons à l’époque de la récolte, soit dans tous les temps en faisant de ces incursions rapides qu’on nomme razzias et qui ont pour objet de s’emparer des hommes ou des troupeaux. » A. de Tocqueville, dans un rapport sur l'Algérie.
Je ne dis pas que Tocqueville est un fervent colonisateur, Denis, il a bien vu les difficultés d'une telle entreprise (il n'était pas le seul), mais j'ai des doutes sur sa philosophie "libérale", ses solutions. Je le laisse à BHL, ce fils de colonisateur qui sut exploiter les richesses de l'Afrique, et lui préfère le journaliste catholique Veuillot, plein de respect pour les musulmans, à l'instar de Lyautey ou de Charles de Foucauld :
« Le mieux serait d'abandonner l'Afrique, si nous le pouvions. Mais comme nous ne le pouvons pas par les plus solides et les plus mauvaises raisons du monde, j'ai combiné aussi un petit plan d'occupation et de conservation qui me fera huer par la majorité des Français et même à peu près par l'unanimité des Français (1845) ».
« Tant que les Arabes ne seront pas chrétiens, ils ne seront pas Français, et tant qu'ils ne seront pas Français, nul gouverneur, nulle armée ne pourra garantir pour un mois la durée de la paix. (…) ils ne seront pas chrétiens tant que nous ne le sommes pas nous-mêmes ».
Où l'on voit que les libéraux admirateurs de la démocratie en Amérique n'hésitent pas à prôner la violence et que les antilibéraux antidémocrates savent se montrer respectueux de l'Afrique (vivante, pas en pillant son artisanat et en l'exploitant dans des musées d'art premier).
Votre antipathie pour Soulage se comprend mieux que votre sympathie pour Cabu, le dessinateur officiel de la ville de Paris. Pourquoi ne répondez-vous pas à la question sur Chard?
Mais Cabu, contrairement à Soulages, est humain ! Écoutez-le causer, d'art, de la vie, d'histoire, de littérature, on n'est pas obligé d'être d'accord, mais il a quelque chose à dire, lui.
(Pour être sincère, le choix de Cabu par Delanoë pour être le caricaturiste officiel de Paris, ça aurait pu être pire, il aurait pu choisir… Plantu - qui ose publier un recueil de dessins "interdits" par sa rédaction alors qu'il n'y a pas plus politiquement correct que ce dessinateurs de petits mickeys consternants.)
J'ai du respect pour la dessinatrice Chard, condamnée plusieurs fois par la justice pour propos incorrects, comme Daumier en son temps, mais le principe d'une revue de presse, c'est la sélection.
La citation de Tocqueville sur l'Algérie ne permet pas de dire qu'il était partisan d'une "répression féroce", surtout dans le contexte de l'époque. Il s'agit plutôt, à vue de nez, d'actions de force ciblées destinées à impressionner, et donc précisément à éviter une "répression féroce". Pour autant qu'on puisse dire à partir de cette citation sortie de son contexte.
Furet est mort il y a dix ans, il publie dans Commentaires au printemps 2007? Oui, bon, j'ai compris.
Ah, il a dit le mot "marxiste", il doit donc beaucoup à Marx, c'est sûr.
Eh oui, les découvertes, ça dépend de la qualité de l'élite, les innovations de la culture commerciale. On avait la première et pas la deuxième. Nous n'en avons plus aucune des deux aujourd'hui.
Plus globalement l'approche macro-économique ou matérialiste de Furet est caractéristique de Marx. Tocqueville fait partie de ces idéologues, très en vogue en ce moment, qui ont eu raison… après tout le monde.
D'ailleurs sur l'Algérie, j'ai pris soin de remettre la citation de Tocqueville dans son contexte idéologique en disant qu'il n'était pas un partisan farouche de la colonisation plus que Veuillot, mais si une "razzia", ça n'est pas de la répression féroce, je ne sais pas ce que c'est.
Tocqueville, un idéologue... Le goût du paradoxe vous ferait dire n'importe quoi... Un aristocrate que la démocratie dégoûte profondément, et qui ne s'y rallie que pour servir son pays... Un analyste méticuleux de la démocratie américaine, qu'il ne feint d'admirer un temps que pour être sûr de la comprendre... raison après tout le monde... Non, ça ne tient pas une seconde, votre truc. Marx, en revanche, c'est l'idéologue dans toute sa splendeur. Un idéologue, c'est quelqu'un qui a une idée, et une seule, et qui explique tout avec.
Non, l'admiration de Tocqueville pour la démocratie n'est pas feinte. C'est un idéologue au sens marxiste, au sens où il explique l'évolution vers plus d'égalité par un mouvement des idées avant tout. De la même façon sont idéologues ceux qui expliquent la Révolution de 1789 par le mouvement d'idées dit des "Lumières", dont Furet, notamment, démontre qu'elles n'ont un effet que très marginal.
D'ailleurs Tocqueville reste assez perplexe devant cette "égalité" croissante, à la fois devant ses causes et sur le plan moral, alors que Marx propose une explication qui, si elle est incomplète, n'en éclaire pas moins l'enchaînement des événements historiques et des changements sociaux - une vraie lumière, cette fois. Marx n'est pas un idéologue, c'est un penseur aristotélicien qui remet de l'ordre dans la pensée et la science.