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Procès de Simone Weil

Après un “Sartre antisémite”, Francis Kaplan consacre plus de vingt pages dans Les Temps Modernes, la revue de Claude Lanzmann et de Robert Redeker, à l’antisémitisme de la philosophe marxiste chrétienne Simone Weil.
« Simone Weil est non seulement antisémite, mais un des théoriciens de l’antisémitisme les plus acharnés que je connaisse par la multiplicité de ses angles d’attaque, par la multiplicité de ses arguments, par la multiplicité des faits qu’elle a inventé à l’appui de ses arguments, par l’importance obsessionnelle que l’antisémitisme revêt dans sa pensée. Aussi, sur le plan pratique, veut-elle revenir à la situation des Juifs avant la Révolution, c’est-à-dire conditionner leur émancipation à leur conversion (…) ».

Bref, selon F. Kaplan, Simone Weil relègue Adolf Hitler et Ben Laden au rang de grossiers antisémites ; Mlle Weil serait, en quelque sorte, une antisémite raffinée. Comme l'exposé de Kaplan est assez confus et contradictoire, il est difficile de démêler si c’est pire ou moins grave à ses yeux d’être un antisémite raffiné qu'un antisémite mal dégrossi.
On pourrait imaginer ensuite un “Voltaire antisémite”, un “Shakespeare antisémite”, un “Balzac antisémite”… Pourquoi pas toute une collection sur le modèle de “Que sais-je ?”. Sauf que l’antisémitisme de Simone Weil a ceci de particulièrement sensationnel, évidemment, que Simone Weil, comme Marx ou Jésus, deux autres suspects célèbres, Simone Weil est elle-même d'origine Juive ; c’est là tout le sel.

Trêve de plaisanterie. Peut-on vraiment prendre F. Kaplan au sérieux ? Dans le sens où il observe les choses par le petit bout de la lorgnette, “antisémite ou pas ?”, qu’il dénonce l’arbitraire de Simone Weil, sans s’interroger une seconde sur le sien, qu’il fait appel à la psychanalyse pour fournir des explications rationnelles, si la méthode de Kaplan n'est pas rigoureuse, du moins est-elle caractéristique de la méthode intellectuelle contemporaine.

Voici le genre de pièces versées au dossier par l’accusation :
- « Tout est souillé de péché dans Israël. », ou :
- « Mais quand la nation juive a été détruite par Nabuchodonosor, les Juifs, complètement désorientés et mélangés à toutes sortes de nations, ont reçu cette sagesse sous forme d’influence étrangères, et l’ont fait entrer dans le cadre de leur religion autant que c’était possible. De là viennent, dans l’Ancien Testament, le livre de Job (…), la plupart des psaumes, le Cantique des Cantiques, les livres sapientiaux (…) ce qu’on nomme “le second Isaïe”, certains des petits prophètes, le livre de Daniel et celui de Tobie. Tout le reste de l’Ancien Testament est un tissu d’horreurs. » ; ou encore, parlant du judaïsme d’avant l’exil :
« [Il] est indigestible, parce qu’il y manque une vérité essentielle, qui est au centre du christianisme et que les Grecs connaissaient bien, à savoir la possibilité du malheur innocent. » ; et, de manière plus politique :
- Les Juifs sont « non assimilables, non assimilateurs ».

Ces propos sont tirés de la correspondance de Simone Weil, c’est important de le souligner, car l’article de Kaplan a tendance à occulter l'aspect dialectique et à présenter ces idées comme définitives. La philosophe, faite théologienne en l'occurrence, ne propose pas une synthèse mais dialogue avec ses correspondants ; Kaplan, non seulement la juge par contumace, mais il se base sur des extraits de ses “brouillons”. Il a beau jeu, ici où là, souvent de façon subjective (comme lorsqu’il décrète que Jonas est un personnage biblique certainement imaginaire, ou que S. Weil ne peut extrapoler et faire de Cham un précurseur des chrétiens), il a beau jeu de relever les erreurs de Simone Weil et de poser au grand exégète biblique bien rencardé.
Kaplan fait semblant d’ignorer que Simone Weil, globalement, n’est pas très éloignée de la théologie catholique classique, pour qui Jésus, annoncé par les prophètes, en butte aux autorités religieuses juives, donne à l’Ancien Testament une nouvelle dimension d’amour universel, qualifiant le peuple juif de peuple “à la nuque raide”, ce qui n’est pas très poli de sa part non plus.
Pour les chrétiens, le choix du peuple juif n’est pas définitif et Dieu n’est pas la propriété du peuple juif, pas plus que les chrétiens ne sont propriétaires de Dieu - ils ne sont que ses témoins.

L’exposé de la doctrine catholique par Kaplan est d’ailleurs caricatural :
« Si on se place au point de vue du catholicisme tel qu’il était à son époque (…) tout ce qui est dans la Bible est de Dieu, doit donc être vrai absolument, et en particulier vrai moralement. S’il y a dans la Bible des passages moralement choquants, la Bible ne peut être de Dieu et la religion juive, qui se fonde sur elle, ne peut être une religion valable et doit donc être condamnée. »
C’est un postulat de dire que la doctrine catholique a évolué depuis Simone Weil. De nouvelles spéculations sur les rapports entre la religion juive et la religion catholique ont été émises depuis Simone Weil, par le cardinal Lustiger par exemple, certes, mais la supériorité du point de vue de Mgr Lustiger sur celui de Simone Weil est rien moins que discutable. De la part du cardinal Lustiger il y a une volonté d’apaiser les esprits, au risque de les embrouiller, tandis que chez Simone Weil, ça serait plutôt une volonté d’éveiller les esprits, au risque de les choquer.

C’est sans doute là qu’est la véritable opposition entre Kaplan et Weil. D’un côté un esprit autosatisfait qui juge par contumace son prochain à l’aune des tabous contemporains, de l’autre un esprit jeune, curieux, qui n’a pas peur de se tromper ni de bousculer les idées reçues. D’un côté un esprit archaïque, de l’autre un esprit moderne. Il est significatif que notre époque réserve une place de choix aux platitudes de Lévinas, d’Heidegger, ou encore de sa disciple Jeanne Arendt, mais maintienne Simone Weil dans l’ombre où ne l’en sorte que pour vouer ses lettres au bûcher.

Commentaires

  • Bon où je dépose le bois ?

  • Comme d'hab, vous érigez en martyre ( " mais maintienne Simone Weil dans l’ombre") des personnes qui ne le sont nullement...Gallimard a sorti récemment un Quarto consacré à Simone Weill qui a été au sommaire de tous les suppléments littéraires et autres revues spécialisées. elle est également citée par votre ami Finkielkraut toutes les deux ou trois émissions. Mais bon, cette article de Kaplan est à remettre en perspective dans le débat (Badiou vs Marty, vs Milner, Saint Paul vs la torah...) à propos du nom Juif. Quid du rapport entre la judéité et l'universalisme etc...
    Je vous laisse déambuler à la Fnac pour vous faire une idée. Plus de détails ici :
    http://livres.nouvelobs.com/p2220/a345271.html

  • Comme d'hab, vous érigez en martyre " mais maintienne Simone Weil dans l’ombre" des personnes qui ne le sont nullement...Gallimard a sorti recemment un Quarto consacré à Simone Weill qui a été au sommaire de tous les suppléments littéraires et autres revues spécialisées. elle est également citée par votre ami Finkielkraut toutes les deux ou trois émissions. Mais bon cette article de Kaplan est à remettre en perspective dans le débat (Badiou vs Marty, vs Milner, Saint Paul vs la torah...) à propos du nom Juif. Quid du rapport entre la judéité et l'universalisme etc...
    Je vous laisse déambuler à la Fnac pour vous faire une idée.
    http://livres.nouvelobs.com/p2220/a345271.html

    (Il y a un problème où les commentaires sont modérés ?)

  • 'tin, c'est pas vrai. Arriver à salir Simone Weil. Y'a pas à dire, l'ennemi est très très fort.

    Cela dit, assez d'accord avec Tlon. J'ajoute qu'ayant été du bon coté du manche pendant les années 30, puis pendant la WWII, sa réputation est très largement à l'abri. Dans les milieux intello-cathos, elle est d'ailleurs très à la mode.

  • Oui, oui, je sais, on peut se procurer les bouquins de Brasillach, de Céline ou de Bardèche très facilement, et cela prouve bien qu'ils ne sont pas censurés.

    Avec un minimum de bonne foi, on voit bien pourtant que la fortune critique d'Heidegger, sa place dans l'université, est sans commune mesure avec celle de Simone Weil. Là où je porte un jugement de valeur et je ne me contente plus de constater un évidence, c'est lorsque j'affirme qu'Heidegger ou Arendt sont nuls, au contraire de Simone Weil, et que c'est ce qui fait précisément leur succès aujourd'hui ; dans ce cas-là, Tlön, vous pouvez me répondre : « Nous n'avons pas les mêmes valeurs ».

    Pour prendre un exemple, plus frappant : Baudelaire ; il n'est pas négligé dans l'enseignement, mais combien de lycéens connaissent sa morale réactionnaire, élitiste, ses charges contre la démocratie, les philosophes ?
    Face à des penseurs et des poètes qu'il peut difficilement passer totalement sous silence, le système (Éducation nationale, médias, ministère de la Culture, etc.) pratique la technique de la purge.
    On a beau jeu de dire que c'est Lucette Destouches et elle seule qui "censure" les pamphlets de Céline, quand elle se refuse à les publier parce qu'elle sait parfaitement l'avalanche d'emmerdements que cela lui attirerait.

    (Quant à Finkielkraut, c'est le "reader indigest" de la philosophie française ; ses calembours vaseux et sa paraphrase maladroite ne trompent (presque) personne.)

  • Pour te faire plaisir, un souvenir du physicien Anatole Abragam, Collège de France, médaille Lorenz etc ("notre savant atomiste" comme l'appelait de Gaulle) un soir lors d'un dîner officiel il est assis aux côtés de Simone Veil, il dit, texto sa surprise devant cette grosse dame qui portait le même nom mais qui n'avait vraiment rien à voir avec Simone Weil qu'il avait bien connu ...

  • 80% des français se disent heureux - 72% croient leurs voisins malheureux, je suppose que l'envie leur permet de se sentir heureux par comparaison - or Baudelaire est le prophète du malheur existentiel comme disent les imbéciles dont je prétends que s'il revenait sur terre il serait encore plus mal accueilli que de son temps où subsistait un restant de christianisme au milieu des miasmes bourgeoises.

    Le grand homme de la littérature moderne c'est Frédéric Beigbeder, Jean d'Ormesson ou à la rigueur Michel Houellebecq, de vrais glorieux, de faux malheureux qui font du tourisme sexuel ... le malheur ne fait pas recette dans un pays qui cultive le bonheur hic et nunc !

    Ni la gloire celle du Cid du XVIIè, ni le chagrin romantique de Nerval, ce taedium vitae, ni le symbolisme de Mallarmé et de Rimbaud, rien que du people et un photographe de "Voici" pour immortaliser un président à ray-ban !
    Des marques quoi ... et du business au bout !
    On aurait dû élire Zidane le 6 mai.

  • Zidane vaut mieux que ses fans.

  • Déjà Kaplan confond volontairement une critique d'une religion avec une théorie raciale, ce qui est assez révélateur de la crapulerie du bonhomme.
    Maintenant si Simone Weil est jugée antisémite cela devient n'importe quoi. Kaplan mérite-t'il un entartage voire une bastonnade?

  • Ce que Kaplan a en réalité le plus de mal à digérer, les origines juives de Simone Weil et son engagement gauchiste (avant de devenir monarchiste) ne parviennent pas à le lui faire "oublier", c'est que Simone Weil a déclaré qu'elle ne voyait pas de raison de faire mémoire de l'holocauste juif si on ne faisait pas mémoire des autres holocaustes ; c'est la clef de ce procès truqué en antisémitisme.

  • Lapinos, Simone Weil étant morte en 1943, êtes vous sûr que la phrase que vous avancez est excate? Ne serait elle pas d'Hannah Arendt (que vous n'appréciez pas je sais mais cela ne l'empêche pas d'avoir écrit des choses sur l'holocauste ressemblant à la phrase que vous attribuez à Simone Weil)?

  • Oui, d'où tout un laïus de Kaplan pour expliquer pourquoi Weil n'était pas "visionnaire" en utilisant le terme d'holocauste si tôt, vu qu'être à moitié dingo et être visionnaire en même temps, ça ne colle pas bien ensemble (c'est marrant cette manie des flics à vouloir faire des procès-verbaux cohérents alors que la sentence, de toute façon, est déjà prononcée).

    Je suis parfaitement capable de faire la différence avec Jeanne Arendt, Cadichon, étant donné que celle-ci n'a jamais rien dit ni écrit d'autre que des platitudes. Son seul "mérite" est d'avoir couché avec Heidegger, lui-même totalement plat, ce qui l'absout de tous les péchés aux yeux des démocrates-crétins.
    Si Simone Weil s'était contentée de faire un peu de paraphrase philosophique et qu'elle avait couché avec DeGaulle ou Malraux, je ne vous raconte pas le carton en librairie et dans les programmes de philo !

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