Les élèves de terminale devaient composer cette année, lors de l'épreuve du baccalauréat de philosophie, sur un thème de prédilection de Simone Weil (1909-1943) : l'Etat ou la science, ou encore la condition ouvrière (commentaire d'un texte).
Simone Weil n'a pas produit comme Shakespeare une pensée philosophique complète ; mais son indépendance d'esprit et son anticonformisme méritent d'être salués, et ce d'autant plus que les profs de philosophie sont désormais aplatis devant l'Etat, prêchant la bonne parole des cartels sur les plateaux de télévision ; de cette valetaille, Simone Weil fut l'antithèse.
Son meilleur essai (le plus cohérent), "Réflexion sur les Causes de la Liberté et de l'Oppression sociale" (1934) est le plus "orwellien". L'auteure y met en évidence la force oppressive de la Culture, en lieu et place de la Nature. La tyrannie moderne incite, de fait, à se prosterner devant la Culture. Sans théoriser la "société du spectacle", Orwell a montré que Big Brother est un Etat absorbé par la production d'une culture bas-de-gamme, au niveau du confort intellectuel ; la "novlangue", conçue par les linguistes, est aussi une production culturelle conçue pour éradiquer l'esprit critique. Le terrorisme intellectuel a changé d'étiquette plusieurs fois en France depuis les années 1950, mais il est constant, prenant des formes plus ou moins subtiles.
L'Etat moderne totalitaire est un instrument d'oppression du peuple par les élites dominantes : Simone Weil explique pourquoi et comment cette fonction est liée à l'illusion d'une domination de la Nature par la technologie.
Cependant la critique du marxisme par S. Weil me paraît incompréhensible et hors sujet. Non seulement K. Marx a annoncé la destruction des cultures traditionnelles sous l'effet de l'économie capitaliste (ce qui n'est pour Marx ni une mauvaise chose, ni un progrès, mais un phénomène historique), mais il a prédit la "réification" de l'être humain. Marx a même démontré l'inaptitude du droit à réduire les inégalités, éventant ainsi le subterfuge de la sociale-démocratie, qui se double malheureusement souvent d'une ruse chrétienne (on pense ici en particulier à la ruse de la "doctrine sociale de l'Eglise catholique", ou à la ruse des supporteurs chrétiens de D. Trump).
Dans sa critique de la physique quantique, adjacente à celle de l'Etat totalitaire, Simone Weil n'est pas loin de définir ce discours scientifique comme un "newspeak" défiant l'entendement. Malheureusement incomplète, la critique de Simone Weil a le mérite de souligner la démission de la philosophie face à un des aspects les plus dangereux de l'Etat totalitaire technocratique, et l'hypocrisie des prétendus "comités d'éthique scientifique".
Sur le plan religieux, Simone Weil n'est pas loin du célèbre hérétique Marcion, qui croyait le christianisme fondé sur le rejet du judaïsme, quand la véhémence du Christ est dirigée contre le clergé juif, c'est-à-dire la trahison de l'esprit de la Loi de Moïse.
L'hérésie de S. Weil est plutôt un errement : la méfiance de S. Weil vis-à-vis du clergé catholique peut se comprendre, dans une époque où il est s'est fait le complice de la barbarie capitaliste et de l'esclavage des ouvriers dont la condition lui semblait, comme à Marx et Engels, inhumaine ; le sentiment de culpabilité d'une partie du clergé catholique a d'ailleurs engendré en son sein un mouvement de prêtres-ouvriers (à un stade de la division du travail où l'esclavage le plus dur avait déjà été délocalisé en Chine ou en Inde).
Athée et socialiste, tout comme Orwell, S. Weil n'était pas beaucoup moins dégoûtée que lui par le personnel ecclésiastique ; mais elle a été conquise par la doctrine pacifique de Jésus-Christ, qui contraste singulièrement avec la violence barbare de la bourgeoisie judéo-chrétienne.
Le rejet de la religion juive, sous prétexte de la violence de l'Ancien testament, est surprenant de la part d'une helléniste comme Simone Weil, car la sagesse grecque passe aussi par des fables et des récits violents. Les héros grecs subissent la violence des éléments sataniques, mais ils exercent eux-mêmes souvent une violence symbolique, y compris Ulysse ; il ne faut pas oublier non plus la colère du Christ contre les Juifs et ses propres disciples, quand ceux-ci trahissent la Parole - colère qui prolonge celle de Moïse face aux Juifs idolâtres.