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Devinette

Je sais bien que ma devinette, dans un monde peuplé de philosophes bobos qui ne s'intéressent pas à l'art en général, à la peinture en particulier, risque de tomber un peu à plat, mais tant pis, je la pose quand même… Qu'est-ce qui peut bien pousser le peintre Chenavard à prétendre que la peinture de paysages est un signe de décadence ? À votre avis ? J'ai ma petite idée mais j'aimerais entendre d'autres sons de cloches…

Commentaires

  • Parceque les hommes ne sont plus dignes d'être peints ?

  • Parce que la peinture des paysages reflète une certaine recherche de la facilité chose contraire à l'art?

  • Pour Girodet, dans la hiérarchie des genres, c'est le paysage qui est au sommet. Pourquoi ? Parce que le paysage contient tous les autres sujets. Au niveau philosophique, c'est un constat du niveau de ton cher Finkielkraut!

    Peut-être que Chenavard, catholique, ne pouvait pas encadrer Girodet, républicain et homosexuel (du moins je crois, je dis ça à vue d'oeil) ?

  • C'est quoi la décadence ?

  • Je crois que Chenavard n'aime pas vraiment la couleur. Pour lui, c'est le dessin qui prime. La pictura e cosa mentale écrit le maître, et pour Chenavard, qui l'a mal compris, la peinture s'adresse d'abord à l'esprit. Bref, ce n'est pas un sensuel. Et puis il y a derrière cela une éthique politique : le paysage ne participe pas de la construction de la civilisation selon Saint Simon, en qql sorte, le paysage est réactionnaire (Chenavard n'est pas un catholique "tradi", ami de Nerval, il s'intérèsse à l'illuminisme). Enfin je vous dis ça en toute humilité, n'étant qu'un amateur, et avant toute chose, un littéraire. Nicolas.

  • Je voulais juste rajouter ces qql mots : qui donc a pu avoir l'étrange idée de voir en Chenavard un catholique? Cet homme qui voulait peindre le Christ prêchant à Luther et autre "hérétiques", ce déiste qui croyait en l'unité des religions n'a jamais privilégié le catholicisme (sinon il n'aurait pas accepté de décorer l'église devenue Panthéon) mais la figure du Christ, ce qui est bien différent. Lire "Le Christ sur les barricades"thèse célèbre qui expose la lecture républicaine révolutionnaire du Christ (j'entends : des révolutionnaires de 1830 et surtout 1848). J'ai dit que Chenavard trouvait que le paysage était un signe de décadence pour des raisons esthético-politiques. De plus ce descendant de David devait voir le paysage comme une dévalorisation de l'art. Mais encore une fois,il n'est que de lire les descriptions par Théophile Gautier des projets de Chenavard pour le Panthéon pour comprendre qu'à ses yeux le paysage n'est qu'un rejet de la grande peinture et de la tradition républicaine et illuministe. Et Lapinot, quand nous fait-il connaître sa "petite idée "? Nicolas.M

  • Parce que je suppose que, pour lui, peindre un paysage, c'était un peu comme "parler pour ne rien dire"...mais je n'y connais rien.

  • Lorsque vous dites que Chenavard a des raisons esthético-politiques, Masoulier, c'est un truisme que vous énoncez.
    Avec cette histoire de sensualité, qui préoccupe aussi Baudelaire, bien sûr, vous chauffez un peu plus. Mais vous caricaturez Chanavard, sans doute parce que vous êtes un littéraire. Un peintre ne peut pas méconnaître que la peinture s'adresse aux sens, ou alors c'est vraiment un peintre très malhabile et ignorant des effets de la peinture, ce n'est pas le cas de Chenavard.

    Enfin si vous croyez que Vinci entend s'adresser aux sensations d'abord, c'est mal le connaître.

    Je crois qu'il y a aussi dans la réponse de Gretel une part de vérité ; c'est un point de vue assez idiot mais répandu que le format des œuvres n'a pas d'importance. Alors qu'il est évident qu'entre la monumentalité des fresques de Michel-Ange, la somme de travail qu'elles représentent, et les petites aquarelles de Turner, il y a là presque deux formes d'art différentes.

    Moi j'ajoute que pour Chenavard il y a probablement trop d'abstraction dans le paysage, comme dans la musique, quelque chose qui va à l'encontre de l'intercommunicabilité entre les êtres, que la peinture, lorqu'elle est un langage commun, favorise. La musique adoucit les mœurs ? Pour un peintre, c'est plutôt la peinture. Le paysage n'est pas un art social.

  • Le paysage est fasciste lui aussi alors ? C'est pour cela que les aquarelles d'Hitler représentent des villes mais sans passants ...

  • intercommunicabilité ????
    J'avoue ne pas comprendre votre dernier paragraphe !!!

    "Il (Stendhal) est pourtant trés Français dans ses opinions sur la peinture, bien qu'il prétende la juger en Italien. Il apprécie les maîtres avec les idées française, c'est- à-dire au point de vue littéraire. Les tableaux des écoles d'Italie sont examinés par lui comme des drames. C'est encore la façon de juger en France, où l'on n'a ni le sentiment de la forme, ni un goût inné pour la couleur. Il faut une sensibilité particulière et un exercice prolongé pour aimer et comprendre la forme et la couleur. Beyle prête des passions dramatiques à une Vierge de Raphaël. J'ai toujours soupçonné qu'il aimait les grands peintres des écoles lombarde et florentine, parce que leurs ouvrages le faisaient penser à bien des choses auxquelles sans doute les maîtres ne pensaient pas. C'est le propre des Français de tout juger par l'esprit. Il est juste d'ajouter qu'il n'y a pas de langue qui puisse exprimer les finesses de la forme ou la variété des effets de la couleur. Faute de pouvoir exprimer ce que l'on sent, on décrit d'autres sensations qui peuvent être comprises par tout le monde."
    Mérimée - H.B. (1850)

  • Abstraction ? Le paysage s'oppose à la nature morte, mais ce n'est pas pour autant qu'il est une nature vivante.
    Les vrais (les superlatifs et moi hein !) paysagistes (Claude Gelée, par exemple, au hasard !) n'auront peint que dans leur atelier avec de la peinture, de l'huile, de la toile et surtout : Leur imagination et leur artisanat (alchimie ou science, je ne suis pas sectaire)
    Mais comme partout, dixit Blaise Pascal, il y a les géomètres et les esprits fins qui s'opposent sans se combattre ni se complèter vraiment, d'ailleurs (CF les Pensées - à ma lecture)
    Vinci était des deux ou ni l'un ni l'autre : Je n'ai pas encore réussi à le cerner celui-là. Comme Baudelaire... A+

  • "quelque chose qui va à l'encontre de l'intercommunicabilité entre les êtres, que la peinture, lorsqu'elle est un langage commun, favorise" écrivez-vous très justement Lapinot, reconnaissez que je n'ai guère exprimé autre chose en parlant de l'importance du politique chez Chenavard. "Le paysage n'est pas un art social", avouez que c'est quand même très proche de ce que j'ai écrit : " le paysage est un rejet de la tradition républicaine"; vous êtes plus universaliste, je vous l'accorde aisément, mais sur ce point j’ai quand même visé juste, à vous entendre. Tlön ne comprend pas votre dernier paragraphe tandis que vous vous plaisez à taxer le rendu concis d'une idée de "truisme". Où donc repose l'idéal de l'expression? Aurais-je dû préciser que le dit truisme n'avait à mes yeux de valeur que par rapport à notre débat, ce n'était qu'une simple description, aisément compréhensible, des raisons qui poussent au rejet du paysage chez Chenavard. Mais sans doute suis-je fort maladroit si j'ai pu laisser accroire que Vinci s'adressait d'abord aux sens quand ma citation dit l'exacte contraire. Que la sensualité soit une clé capitale m'est évidence, mais c'est d'un rendu conceptuelle peu aisé, car il y faudrait faire entrer la psychologie et jusqu'à l'histoire des mentalités.N.M N.M

  • (Je dois dire que Stendhal m'intéresse assez peu, et ce qu'il pense de la peinture encore moins. Je trouve que tout est faux dans Stendhal, ses romans comme ses théories, il me fait penser à ces jardins parsemés de rocailles et autres artifices, c'est le "bourgeois-fait-artiste" type.)

    J'ai cru que vous sous-estimiez Chenavard, Massoulier. On ne peut pas le soupçonner d'ignorer le pouvoir suggestif de la peinture, sinon il ne serait pas peintre, et, Baudelaire l'admet lui-même, pas un si mauvais peintre.
    De la même façon, d'ailleurs, Baudelaire reconnaît qu'en tant qu'intellectuel il est attiré par la peinture "culturelle", mais ça ne l'empêche pas, mieux qu'un autre, mieux qu'Hugo par exemple, de deviner les vrais peintres.
    Au plan strictement pictural, Baudelaire commet néanmoins des erreurs de jugement que Chenavard n'aurait pas commises. Par exemple lorsqu'il prétend que Michel-Ange n'est pas un "coloriste", alors que Michel-Ange a un art consommé des effets de couleur, nettement supérieur à celui d'un peintre impressionniste, pour différentes raisons.
    Comme par hasard, cette histoire de coloristes et de dessinateurs, c'est à peu près tout ce que la critique contemporaine a retenu de Baudelaire - un jugement littéraire superficiel.

    L'exemple de Claude le Lorrain me gêne, car il est très spécifique. Le Lorrain crée des paysages ou les recrée, il n'est donc pas naturaliste au sens que donnent les profs aujourd'hui à ce qualificatif.
    Ce n'est pas le paysage en général qui dérange Chenavard, c'est la généralisation du paysage, la prolifération des genres mineurs ; il aurait pu inclure la nature morte, exercice de composition assez abstrait, dans sa condamnation.
    A contrario ce qui semble être un signe de décadence, c'est la disparition de l'épopée en peinture, de la grande peinture narrative, qui retentit à des degrés divers aux yeux de tout le monde, et que David et son école avaient maintenu voire restauré temporairement. C'est une idée que Baudelaire, bien qu'il soit complexe et prudent, ne partage pas. Delacroix oscille entre les deux.

    Qu'on confie la décoration du plafond d'un opéra à un illustrateur comme Chagall, voilà qui aurait sans doute déclenché les sarcasmes de Chenavard.

  • Bon , j'arrives (comme d'hab) avec mes gros sabots, parce que j'y connais rien...je ne sais même pas tenir un crayon!
    Mais merci, Lapinos , de cette découverte...(sans savoir dessiner, on peut aimer la peinture, non?) je ne connaissais pas bien Chevanard, j'aime beaucoup!
    Vous êtes cachotié, cher ami, votre "pote", H. a beaucoup de talent...il a des oiseaux...merveilleux!

  • Lapinos (seriez-vous le jumeau ou fils caché de Lewis Trondheim ?) comment oserai-je médire d’un être capable de peindre la Divina Tragédia ? En tous cas, bravo, réussir à flinguer Stendhal et Chagall dans le même paragraphe laisse deviner un tour de main subtil en l’art utile et trop rare du déboulonnage. Tout pourtant n’est pas rocaille chez Stendhal. Il y a de lui un texte étonnant qui retrace son contrat avec Dieu. Mais vous êtes peut-être claudélien, le vieux Turelure a laissé quelques belles bourdes sur le sujet. Je préfère l’admirable silence de Bloy (aux amoureux de Bloy, Villiers, de la fin de siècle : vient de sortir Au banquet de la vie, de Gustaves Guiches, édition du Lérot, joli bouquet d’anecdotes inédites). L’exemple du Lorrain me gêne aussi ; cette chère vieille panne de Barrès y voyait un constant affleurement du mystère (des travaux me privent de ma bibliothèque et je dois citer de mémoire) explication fade mais qui contient une part de vérité. Il y a, indéniable à mes yeux, une spiritualisation du paysage chez Claude Gellée. On ne peut déraciner un auteur de son époque, et Gellée appartient à l’Europe de la Contre Réforme. Enfin, et ce que j’anoenone là est très bête, mais le « Paysage avec Paris et Oenone » n’a rien a voir avec ce que Chenavard rejette. Bon, je commence à babiller fertile dans l’insignifiant, m’en va renifler du M. Lowry (– exemple s’il en fut, avec Jarry d’ailleurs, d’écrivain alcoolique Lapinos..)

  • Nicolas M., je vous avais prévenu...

    Tim (l’Enchanteur), joué par John Cleese : « I warned you! I warned you! But did you listen to me? Oh, no, you knew it all, didn't you? Oh, it's just a harmless little bunny, isn't it? »

    http://www.youtube.com/watch?v=XcxKIJTb3Hg

    Plus sérieusement, je vous suggère de vous rendre à l'adresse suivante :

    http://isabelledescharbinieres.hautetfort.com/about.html

    Vous y trouverez l'adresse courriel de l'excellente Sfumata. Celle-ci ayant elle aussi été censurée (à titre collatéral je suppose) par le petit (vraiment petit) monstre, acceptera peut-être de nous transmettre nos coordonnées respectives, si chacun de nous le lui demande gentiment... Elle semble aussi être chrétienne, et peut-être cet émouvant appel à sa charité sera-t-il entendu.

  • Vous êtes un vieux soldat romain dégoisant sur la décadence des moeurs. Je ne m'étonne pas que vous préfériez aux vues vaporeuses de Corot la fraternité virile, le goût de l'épique, et le caractère solennel du Serment des Horace. Amplitude des gestes, fermeté et précision des contours, solidité des appuis, lisibilité de la scène, rigueur de l'exécution, franchise des postures, il y a chez David quelque chose de la détermination antique. Un oui, un non, une ligne droite.

    De Chenavard je connais un très beau portrait par Gustave Courbet. ça s'arrête là, parce que le peintre lui-même manque en tout point de cette délicatesse nerveuse qui, peut-être, est la part féminine de l'art. Je peux comprendre, en dessinateur, le goût pour la représentation des corps, mais je voudrais quand même me placer du point de vue du public: Divina Tragedia et le Triomphe des religions sont des fourmilières inhabitables. Tout comme certains tableaux de David, elles ne provoquent qu'une indifférence majeure pour le destin de l'Homme. Heureusement la peinture ne se limite pas à ces choses.

    Vous parlez de communicabilité. Je vois très bien l'aspect narratif d'une telle peinture - sorte de ligne claire ayant la fonctionnalité d'un strip de bd. Remarquez qu'une dépêche prévenant de la mort de Marat remplace aisément le tableau de David, de très bonne facture, mais laid comme son motif. Ce qui est frappant pour un décadent, c'est l'inanité totale de cette forme de peinture représentative.

  • C'est le paysage qui est narratif, non pas le "Marat" de David, avant tout mystique.

    Vous n'êtes guère attentif au fait que les Romains ou leur imitation par Napoléon font l'unanimité de nos jours en régime laïc. Or les Romains n'ont fait que pasticher la civilisation et l'art. Personnellement Cicéron m'emmerde et je ne trouve pas que le boucher corse soit très raffiné. Il a peut-être le sens de la parade militaire, comme Hitler, mais si on le compare à Alexandre c'est un petit bourgeois. Un peu trop facile de comparer Napoléon à Sarkozy pour en faire un géant, n'est-ce pas ?

    Il y a deux David comme il y a deux Révolution. David a été récupéré par Napoléon. Idem pour Ingres, il n'est pas facile d'être classique dans un siècle écrasé par la musique romantique.

    Corot n'est pas vaporeux, au contraire il est fruste et naïf. C'est le mérite que Baudelaire lui accorde, comme à Catlin (que je préfère), au milieu de toute cette vaisselle bourgeoise qui sent la photographie à plein nez. Autrement dit Baudelaire préfère l'odeur du fumier à celle de l'eau de toilette. La même réaction que Delacroix vis-à-vis de Millet. C'est frais, mais il n'y a pas quoi s'enflammer pour des bottes de paille.

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