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Déclin et suicide

Fin du "Journal" de Drieu. Ça se lit comme un roman existentialiste. Le meilleur jamais lu à ce jour en ce qui me concerne. Gilles, il y a une dizaine d’années, m’avait rasé. Moins de néant que chez Sartre, mais plus de suicide.

Il y a des passages comiques, comme chez Rousseau. Ils tiennent au masochisme de Drieu, flagrant, et qu’il reconnaît lui-même : il parle de rêves érotiques où des femmes se tripotent entre elles ; d'après lui, ce genre de rêve est une preuve de masochisme. Tiens donc ?
Plus nettement maso lorsqu'il se définit sévèrement comme le chantre de la force virile… en pantoufles. Certes, Drieu n’est pas un guerrier et passe le plus clair de son temps vautré dans son canapé, à lire et à méditer sur les religions, mais il a quand même fait la guerre de 14-18 vingt ans plus tôt, subi de terribles assauts aussi bravement que possible. Un autre que lui aurait pu bâtir toute une épopée à sa gloire à partir de ces quelques faits d’arme et tirer la couverture à lui. Céline, qui n’est pas aussi masochiste ne se prive pas de rappeler sa médaille et ses cicatrices d'ancien combattant pour mieux faire ressortir la lâcheté de ses détracteurs.
Qu’on songe à BHL aujourd’hui : un petit tour dans une tranchée de Sarajevo, quelques caméras attestant sa présence là-bas ont suffi à ce paltoquet chafouin dépourvu de style et d’ambition pour se confectionner un cévé d’intellectuel résistant héritier de Malraux…

*

Autre épisode comique : lors d’un dîner avant guerre, l’écrivain Bernstein raille le titre du dernier roman de Drieu, L’Homme couvert de femmes. Dans son for, Drieu approuve Bernstein et reste pantois, rougissant même, honteux de ne pas trouver une répartie.
Peu avant la déroute complète de l’armée française, Drieu croise cette fois Bernstein fortuitement dans le jardin des Tuileries. Il prend pour de l’ironie un « Courage ! » que lui lance l’autre et se rue dessus, furibard, lui flanque quelques coups de poings ; Bernstein gueule alors : « Frapper un vieillard de soixante-quatre ans ! », se défend en donnant quelques coups de pied ; et Drieu : « Rien de plus lâche que les coups de pied ! »… On imagine la scène.
Aujourd’hui les nouveaux Bernstein ne courent plus le risque de croiser des écrivains incorrects. Le dernier pugilat que j’ai en mémoire était entre W. Volkoff et trois petites frappes sans honneur, dont Karl Zéro, sur un plateau de télé... mais c’était un traquenard. Depuis, tous ceux qui admiraient Volkoff, au moins pour son franc-parler, rêvent de croiser cet immonde Zéro dans Paris pour venger Volkoff… à la régulière.

*

J’éprouve comme un sentiment de fraternité pour Drieu. Ça tient surtout au fait que je suis, comme lui, un Français de souche. « J’ai reporté sur la France la défaillance de l’être en moi. Mais si je suis ainsi, la France doit être ainsi puisque je porte la France dans mes veines et que leur pulsation dit prophétiquement la santé de la France. » Paradoxalement, ça fait de nous des européistes acharnés ; le simulacre de France, désormais, toutes ces cérémonies laïques d’embaumement, puent le formol ; l’Académie française aussi pue le formol, il n'y a plus aucune sève ni aucune verdeur là-dedans.
Le nationalisme est une idéologie de métèques pour qui la France est synonyme de IIIe République. Ça vaut aussi pour le métèque breton Le Pen. Drieu est plus charnel.

Commentaires

  • Si encore c'était du formol : Ils puent l'urine et le bren qu'ils ont laché dans leur froc tellement ils ont peur de dire ce qu'ils pensent vraiment (pour ceux qui pensent du moins et ils sont rares)

  • Reste Déon qui, paraît-il, a sommé ses pairs de lire une page, ne serait-ce qu'une page, des "Bienveillantes", à voix haute, pour qu'en entendant ça ils renoncent à leur lâche forfait.
    Et puis Dutourd, le seul gaulliste sympathique.

    Il y a sept sièges vacants, même Pierre Assoupline a sa chance.

  • En passant.
    On trouve dans Les Mémorables (Gallimard), de Maurice Martin du Gard – qui fut son ami intime - de fort beaux textes sur Drieu la Rochelle. Dans le Journal, on notera l’intérêt porté par Drieu à R .Daumal et à ses recherches. Ah, ce désir qu’il y en ait au moins un qui trouve SA réponse. Il est infiniment touchant Drieu. Mais quelle étrange fêlure le pousse vers la mort ? Comme s’il s’était assimilé l’âme blessée du pays, à en crever. Il aurait pu s’enfuir, tout était prêt, le passeport, la planque en Suisse. Paulhan lui-même (que Drieu a sauvé durant l’occupation) prêtait la main à ce départ, à cet exil qui n’aurait pas duré trop longtemps. Mais il a soif d'un autre départ. C’est le célèbre « J’ai joué, j’ai perdu, je paye ». Voir le texte du Journal.

    Ajoutons rapidement que Gilles n’est pas le meilleur Drieu. Il y a le Feu follet, et puis, surtout, son dernier livre, "Mémoires de Dirk Rasp" devenu introuvable ce qui est proprement stupéfiant. A partir de la vie de Van Gogh qu’il adore, Drieu décrit une âme toutes voilures ouvertes à l’absolu. L’inachèvement du livre ne nuit aucunement à la lecture, l’essentiel y est : une méditation sans complaisance sur la solitude, la foi et le génie.

  • La cavale, c'est fatiguant, Drieu l'avoue, ce n'est pas seulement pour l'honneur qu'il reste, mais parce qu'il n'a pas envie d'être balloté à droite et à gauche. Il n'en a plus la force. Dépendre de Paulhan ? Pouah, ça certainement pas, encore une fois Drieu a bien deviné Paulhan.
    (Il est vrai que Drieu surestime Van Gogh : nul n'est parfait.)

  • cher Lapinos, nous avons subi le même sort!

    http://fromageplus.hautetfort.com/archive/2007/09/18/signe-de-vie.html

  • Il était quand même très attiré par la mort, Drieu. Voir Récit secret. Si ma mémoire est bonne, l'histoire des trois tentatives de suicides est d'ailleurs reprise dans l'édition du Journal. Quant aux amitiés de Drieu... M.Martin du Gard, toujours. Galtiers-Boissière resta proche de lui (voir ses Mémoires d'un Parisien et son Journal), et au temps du procès Barrès évidemment, il y eut Aragon. Le grans "amour" de jeunesse de Drieu. Ces deux là se sont adorés avant de se haïr. Drieu sert de de modèle à l'Aurélien d'Aragon; (voir Gilles se battant avec ...Gallant(?) c'est leur histoire.)

    Sur cette édition du Journal : il a fallu que Nora l'accepte en "Témoins" pour que ça sorte ! Tout le monde pétait de trouille; attentions, Le Monde et Libé vous surveillent. Ce fut toute une histoire. Gallimard n'a pas osé publier "ça" en littérature. D'où l'absence de couverture blanche, pleine de dignité et ne convenant évidemment pas à un fasciste notoire. A, il y a quand même quelques pintes de bon sang dans le Guignol démocratique.

  • Oui, mais quel artiste n'est pas plus ou moins attiré par la mort ?
    Je voulais dire que Drieu avait plusieurs raisons de se suicider. D'une certaine façon, Brasillach aussi s'est suicidé. Je comprends mieux Drieu parce qu'il a ainsi évité le procès, de se livrer vivant à des magistrats gaullistes serviles.
    Céline, lui, s'est accroché, et le moins qu'on puisse dire c'est qu'il n'a pas vu la vie en rose dans les années qui ont suivi.

    C'est la cruauté particulière des régimes démocratiques d'inculper des poètes pour se dédouaner de leurs crimes : Drieu, Brasillach, Pound, Céline, etc.
    De l'autre côté, rendre Rousseau complice des terroristes de 1793 ou Marx de ceux de 1917, si ce n'est la même méchanceté, c'est aussi bête. Sans faire de ces écrivains des parangons de vertu, on voit bien qu'ils étaient plutôt moralement au-dessus de la moyenne de leurs contemporains.

    Je vois bien que Nora se pose en défenseur de la liberté d'expression. En réalité, dans la présentation du Journal, tout est fait pour que Drieu passe pour le dernier des salopards et pour l'ancrer encore plus dans sa réputation de sale collabo. Voltaire a montré l'exemple de ce genre d'attitude hypocrite.

    Après tout pour faire croire que la censure n'existe plus, des hypocrites tels que Nora sont indispensables.
    En outre Nora précise que la publication lui a paru s'imposer à cause de "la menace, et même de l'imminence de publications pirates, non contrôlées et intéressées".
    Un argument qui a dû toucher Gallimard qui n'est sûrement pas une maison "intéressée", ah, ah.

  • Rousseau n'est pas "complice" évidemment, Rousseau a été utilisé par des abrutis malfaisants (ou dépassés par l'histoire, soyons magnanimes), comme c'est susceptible d'arriver à n'importe quels textes. Ca vaut d'ailleurs pour Marx qui n'aurait certes pas reconnu ses idées dans le délire étatique Russe. Il y a des questions d’un ordre plus relevées à poser au marxisme.

    Oui, l'artiste, est attiré par la mort, surtout depuis l'avènement des "temps modernes". La bruyère ou La Rochefoucauld, moralistes peu suspectes d'optimisme humanitaire, ne connaissaient pas cette tentation. Mais la société bourgeoise née de la Révolution est irrespirable pour les artistes. L’âme est profondément blessée, et nul ne le ressent comme l’artiste.

    Pour Nora, c'est d'évidence un Tartuffe de première. D'ailleurs, tout ami de Revel doit être regardé avec la plus grande défiance.

    Au débotté : je suis tombé sur cette parole du Christ, que je donne sans rien ajouter : « Mais malheurs à vous riches, parce que vous avez reçu votre consolation. » (Luc,VI, 24).

  • On peut remonter plus loin : voyez Hans Baldung Grien. La mort et l'érotisme. À quoi les démocrates préfèrent l'avortement et la pornographie, dans un climat d'hygiène et de puritanisme.

  • Bon, oui, difficile de dire le contraire. L’art est lié au sacré et le double sens étymologique de « sacré », sacer , désigne à la fois le pur et l’impur. Forces de vie, forces de mort. Et ça n’est pas pour rien qu’Aristote place l’artiste sous le signe de la mélancolie (également appelée au 17ème « maladie Elisabéthaine », tant la tragédie du même nom illustre, chez Marlow comme chez Will la prégnance de la mort).

    N’empêche que l’avènement de la société moderne appauvrit c/ses forces qui, autrefois, s’accompagnaient d’une immense vitalité. Dans la vie comme dans la mort. Mais tout est allé en se rétrécissant. Ce n’est plus le sens de la vitalité enfouie dans la nuit, c’est l’angoisse, l’anxiété qui naît d’un sentiment d’être totalement déplacé. Que l’artiste ait toujours été un homme des limites, certes, il ne se sentait pourtant pas à ce point déplacé, emprisonné. (Pas le temps d’approfondir).

    Ah, sur l’hygiène : il est bien dommage que mon épouse, cédant sur ce point aux sirènes démocrates, se refuse à comprendre que la sueur et le fromage des pieds est une preuve de liberté. Restez célibataire.

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