Scholie n° 4
Possédés : C'est la loi de fer à laquelle les propriétaires ou les possédants se soumettent, d'être en dernier ressort possédés à leur tour par leurs avoirs. Contre quoi s'élève la plus grande sagesse, depuis l'Antiquité, qui recommande de ne jamais accorder sa pensée ou son intelligence à sa volonté propre, sous peine de s'aliéner à une puissance étrangère ou de se mystifier soi-même. Toute trace de religion sur le plan politique porte de la marque de cette lâcheté. Ainsi faut-il voir le portrait des rois chrétiens par Shakespeare comme des lâches et des fous, peinture qui a valu à Shakespeare la haine du "Grand Siècle", encore capable de l'entendre ainsi.
Dernièrement, K. Marx a comparé le romantisme à l'onanisme. Suivant donc l'inspiration classique de Francis Bacon Verulam, voyant dans la fidélité exemplaire du chien à son maître, le meilleur exemple d'amour romantique qu'on puisse trouver.
Les sentiments justifient d'ailleurs la plus grande bêtise, la cruauté ou le meurtre, sur le plan du droit ou de la société ; non pas d'abord pour le bénéfice des criminels ou des idiots, mais pour celui des publicitaires, grands gagnants de la bourse aux sentiments.
Ce qui est parfois admiré chez le marquis de Sade est semblable à ce que les dévôts admirent dans les grandes brutes de l'histoire, Louis XIV ou Napoléon, une fois le sang séché : l'appétit féroce, à la mesure d'un Etat ou d'une nation tout entière. L'appétit nécessaire à la survie des nations, y compris les plus paisibles et sur lesquelles flottent les slogans les plus humanistes. Car on n'a jamais l'idée exacte d'un monstre tant qu'il n'est pas affamé. Et les rêves de Sade sont ceux d'un aristocrate sevré des plaisirs habituels réservés à sa caste, fondés sur une légitimation magique de la propriété, que la République n'a pas manqué d'emprunter aux anciens possédants.
Sade incarne de la manière la plus artistique, c'est-à-dire avec le plus de naïveté et le moins d'hypocrisie, la transition de l'aristocratie à la bourgeoisie, dépossédant celle-là et substituant à dieu un nouveau moyen de berner le peuple : le désir et les bons sentiments, quand les mauvais sentiments et le viol permanent des consciences sont réservés à la seule élite bourgeoise, qui trouve en jouant avec le feu le seul moyen de vaincre son ennui.
Dans les symptômes de n'importe quel cas de folie, comme Shakespeare le souligne à propos de la petite dinde romantique Ophélie, aïeule de toutes les Bovary ultérieures, ainsi que son frère Laërte, pleurant sa soeur comme si elle était un bien familial, on peut discerner les stigmates de la propriété.
Extra-lucide Shakespeare qui, rejoignant le point de vue d'Homère, voit dans la soif de reconnaissance sociale un double signe d'aliénation et de religiosité, d'une part, d'athéisme d'autre part, sapant ainsi les bases de toute forme d'architecture, à commencer par les cathédrales gothiques et le droit romain.
(Pas étonnant que le bon docteur Freud, confesseur républicain, ne songe pas un seul instant à recommander à ses riches clientes de se déposséder de leurs biens, mais cherche seulement pour les ramener à la raison à les éloigner du bord du plan incliné et macabre des rêves.)
Commentaires
A chacun ses apocalypse, voici la mienne :
http://www.youtube.com/watch?v=j71d3ye18Go
cordialement
Le pauvre a cet avantage sur le riche de ne pas prendre la richesse et les sentiments très au sérieux.
Je parle du pauvre de métier, bien sûr, qui sait profiter des miettes des riches pour vivre plus joyeusement pendant qu'ils se démènent en vain, ne se doutant pas qu'ils courent un peu trop vite derrière le plaisir et l'argent pour le connaître un jour vraiment.