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Bacon, notre Shakespeare

Un commentateur du théâtre de Shakespeare fait cette remarque avisée, une fois n'est pas coutume, que l'art de Shakespeare est le plus "impersonnel". A elle seule, cette remarque devrait suffire à interdire de qualifier Shakespeare de tragédien baroque et de le traiter de "barde", outre que le XVIIe siècle a tenté de faire disparaître Shakespeare.

Dans ses sonnets, à vocation apocalyptique, dirigés en partie contre le christianisme ésotérique de Dante Alighieri, Shakespeare affirme qu'il n'est pas un styliste, pas un artiste, quand le moindre petit barde cherche au contraire à éprouver l'ivresse de se sentir artiste.

"Impersonnel", c'est-à-dire qu'il n'est pas psychologique. On trouve l'explication du dédain de la matière psychologique dans la prose scientifique matérialiste de Bacon. De piètres philosophes font croire que le matérialisme est synonyme d'athéisme, alors qu'il n'y a pas plus psychologique que l'athéisme moderne.

Pour un humaniste de la Renaissance, la psychologie a moins d'intérêt que le thème astral d'un individu, suceptible de fournir le plus d'informations sur le tempérament d'un individu. Le thème astral est figuré dans les  contes par les bonnes ou mauvaises fées qui se penchent sur le berceau d'un enfant à sa naissance. Comme cette détermination physique, qui prime sur les états d'âme qui en découlent, est du domaine des choses prévisibles, voire patrimoniales, elles n'ont pas d'intérêt dans le domaine artistique, mais tout au plus dans le domaine médical. C'est ultérieurement que celui-ci a pris une place prépondérante, dans les régimes totalitaires où la promesse de bonheur, l'hédonisme, a pris la place de la métaphysique.

C'est le propre des imbéciles ou des aveugles d'être mûs par la psychologie ou les sentiments selon Shakespeare. Les sentiments sont le bois dont on se chauffe dans les casernes, précise Bacon avec sang-froid. Un autre savant, sachant que les escrocs et les voleurs sont des personnes mues par l'instinct ou la psychologie, par conséquent les plus prévisibles, a même mis au point une méthode astrologique pour les coincer, qui n'est pas, assure-t-il, dépourvue d'efficacité.

Ophélie est un tel personnage, jouet de la nature par le biais du rôle social qui lui a été assigné, dont Shakespeare souligne, ainsi que chez son frère Laërte, le ressort cupide ou érotique, en un mot "patrimonial", derrière les grandes déclarations lyriques.

On peut encore citer le thème pictural, caractéristique de la Renaissance, de la femme se mirant dans un psyché, croyant ainsi faire la nique à la mort, jolie rose fière de son teint printanier, tandis que la gueuse se moque d'elle dans son dos.

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