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Lumières et nazisme

Ici ou là, divers essais ont été publiés pour démontrer que le nazisme est la fille cachée des Lumières françaises. Ces démonstrations éludent le problème de ce qui différencie les Lumières de la Révolution française.

Autant il est facile de résumer la Révolution française, sur le plan moral et politique, comme la prise du pouvoir par la bourgeoisie et le passage de l'oppression du propriétaire terrien à celle de l'industriel - et le nazisme a certainement un caractère industriel marqué, pour ne pas dire que c'est une religion d'ingénieurs -, autant il est difficile de rendre compte de la philosophie des Lumières en une seule phrase. Si je devais le faire, je dirais que les philosophes des Lumières combattent la culture du XVIIe siècle, selon le jugement appliqué par André Suarès à Voltaire ; ils la combattent, tout en restant imprégnés par elle. Le panthéisme, par exemple, est parfois décrit comme la religion de Voltaire : mais la monarchie de droit divin qui précède Voltaire est nécessairement de type "panthéiste", comme toutes les religions qui s'efforcent de légitimer la morale publique ou l'ordre social à l'aide de dieu.

D'ailleurs le palais de Versaille n'hésite pas à étaler tous les symboles d'un culte analogue à ceux pratiqués à Rome ou au Japon, c'est-à-dire toutes les grands empires théocratiques ; la religion de Pangloss-Leibnitz, vivement combattue par Voltaire, est elle aussi typiquement païenne, justifiant le sacrifice et la douleur, au contraire du christianisme qui a complètement effacé la notion de sacrifice et de devoir social, et invite l'homme à se libérer de l'inconscient collectif (où la notion de devoir est "encodée", c'est-à-dire dissimulée derrière l'argument du bonheur ou du plaisir dionysiaque) afin de pouvoir s'aimer.

Le tort de Voltaire est de ne pas comprendre ou dire clairement que le culte païen de Pangloss-Leibnitz est une exigence élitiste et religieuse, et non seulement attachée à la monarchie d'ancien régime ; sans l'incitation au sacrifice et au devoir social, l'élitisme perdrait tout moyen d'asservissement du peuple à son dessein. Voltaire est loin de la clarté d'esprit ou de la logique de Shakespeare qui, pratiquement, avant qu'il advienne, a déclaré le XVIIe siècle nul et non avenu sur le plan spirituel.

On ne peut pas considérer les Lumières françaises selon la propagande de la bourgeoisie libérale ou républicaine. Une chose est sûre, si les philosophes des Lumières entendaient lutter contre l'oppression, le résultat d'un régime bourgeois encore plus tyrannique que l'ancien aurait dû leur faire admettre l'échec de leur utopie. Mais aucun philosophe des Lumières n'a souhaité abattre la monarchie, qui a d'abord souffert de sa propre gabegie. Ce que les philosophes des Lumières auraient souhaité au contraire, c'est éviter la Révolution par la réforme des institutions, comme Louis XVI. L'apologie de Napoléon et de ses boucheries est propre à la République et à ses valeurs, de même que le nationalisme, parfaitement incompatible avec l'humanisme, puisqu'il n'est qu'un vil mercantilisme déguisé en idéal. Il explique aussi comment le culte de Staline a pu être répandu en France par des poètes aussi médiocres qu'Aragon, Eluard ou Sartre.

Mais le culte laïc républicain ne peut se passer, comme tous les cultes publics, de ce négationnisme de l'histoire, doublé d'une limitation de la liberté d'expression bien plus efficace que celle mise en place par l'Ancien régime pour faire opposition à la philosophie des Lumières ; cette censure confirme le diagnostic de Marx d'un totalitarisme à la française, permis par une fonction publique pléthorique, et dont on voit qu'elle bourre le crâne des gosses dès le plus jeune âge des "valeurs républicaines", afin d'en faire de bons petits soldats de la guerre économique capitaliste sans merci, toute la putasserie des valeurs républicaines s'exprimant dans l'éradication de l'esprit critique pour faciliter le viol des conscience par la publicité commerciale. Mieux que le parti nazi n'aurait pu le faire ou les intellectuels collaborationnistes, les Français ont été accoutumés au cours des cinquante dernières années à la philosophie morale allemande la plus médiocre de tous les temps. S'il y a dans le nazisme un aspect d'admiration des Lumières françaises, on peut dire que les partis libéraux au pouvoir depuis la Libération en France ont produit le mouvement inverse d'admiration d'une rhétorique allemande presque pure et au niveau de la musique de chambre.

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