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Le pape antéchrist

A travers la théorie du complot illuminati, cette thèse se répand sur la toile. Cela n'est pas sans rappeler le temps où l'imprimerie fut inventée, permettant la diffusion des évangiles des réformateurs protestants et leur iconographie, dans laquelle l'évêque de Rome est représenté de telle façon, comme l'antéchrist.

Bien que l'enseignement scolaire n'en fait pas mention, étant donné son caractère dogmatique, l'argument apocalyptique est sous-jacent dans les Lumières françaises (d'Holbach, l'abbé Grégoire), ainsi que dans le marxisme. Pour une raison assez simple : l'apocalypse chrétienne, dans la logique des évangiles, fait obstacle au mysticisme politique millénariste. Que ce millénarisme soit celui de la monarchie de droit divin, ou bien démocratique, sachant que ce dernier n'en est que le produit dérivé. C'est particulièrement net en France, où la démocratie revêt plus qu'ailleurs un caractère entièrement théorique, médias et journalistes reproduisant le phénomène de la cour. Le mépris de tel ou tel souverain récent, de Gaulle ou Mitterrand, pour les médias et les journalistes, ne fait que répéter la même défiance de la part de Louis XIV vis-à-vis des courtisans. L'alternance politique répond d'abord au besoin d'orchestrer ou d'encadrer la cour, selon le but rempli par la délocalisation de la cour à Versailles. La parabole du sphinx, qui préside à tous les destins, vaut ainsi non seulement pour la trajectoire de l'homme, mais celle des institutions humaines, qui ne subissent pas d'autres modifications que celles que les lois de la physique font subir au corps et à l'âme humaine.

Tout homme est antichrist, selon une démarche passive (féminine) ou plus active (virile), dès lors qu'il ourdit une doctrine sociale ou s'y soumet, en dépit de l'avertissement du Messie qu'il ne faut rien attendre du monde, et que le plus bête est d'attendre une évolution positive de la société. C'est un attentat contre la science, commis par les savants ou les artistes qui prônent le progrès social. Les juristes sont la plupart du temps de cette espèce, afin de justifier leur activité parasitaire. Pour le reste, ce sont des apôtres de la technique, qui postulent son équivalence avec la science, quand bien même la technique n'a pas d'autre but que l'imitation de la nature, tout le reste n'étant qu'un cinéma improbable, celui-là même dont le millénarisme politique s'enfle, et qui passe par une occultation systématique des ravages de la science polytechnique. Sans la démonstration du progrès technique, la mystique politique moderne s'écroule. Et cette démonstration n'est pas une preuve, c'est une démonstration.

Comprenez la nécessaire censure de Bacon, alias Shakespeare, par la communauté scientifique moderne : son souci d'une science universelle, contredit radicalement la captation par une élite de soi-disant "génies scientifiques", dont la virtuosité se remarque surtout dans l'échec à résoudre la quadrature du cercle, probablement le mobile le plus maniaque qu'on peut assigner à la science, et le moins expérimental.

Nécessaire aussi la censure, car Bacon promeut le progrès scientifique contre l'idée que l'invention technique soit un progrès. Très souvent, celle-ci n'est que le fruit du hasard et du tâtonnement le plus dangereux pour l'homme. Le phénomène le plus dissuasif de croire que la démocratie est autre chose qu'un subterfuge juridique, "une hypothèse dont les preuves ne sont pas encore réunies dans la nature", comme disent les mathématiciens les plus débiles, c'est bien la polytechnique moderne et son insouciance criminelle à se servir du peuple comme d'un cobaye pour ses expériences. C'est là le détachement le plus net de l'humanisme, et du mépris de l'homme par l'homme.

Une fois perçue l'intention nécessairement prédatrice d'une élite, tout est dit du complot, de sa cause et de son but. L'homme d'élite le plus avisé a conscience de son anéantissement prochain, en même temps qu'il est nécessaire que le peuple ne parvienne pas à cette conscience, faute de quoi il se trouverait jeté à bas de sa monture. L'éthique, pour le peuple, revient au consentement par le cheval du cavalier ("Mon royaume pour un cheval !").

On voit que l'Eglise romaine, en sa doctrine, n'a fait qu'épouser le mouvement de métamorphose des institutions politiques occidentales, y compris dans leur formulation mystique la plus chrétienne. Le fait qu'elle s'y soit soumise de façon passive, comme l'épouse d'un tyran (ainsi de Gertrude, mère de Hamlet, honnie par celui-ci), est assez dissuasif de voir dans le pape lui-même l'incarnation de l'antéchrist, et dans le nombre de la bête (666) la désignation d'un homme en particulier. Le nombre de la bête désigne bien plutôt la force tutélaire à laquelle l'homme se soumet, suivant un déterminisme plus ou moins conscient, et que les Egyptiens représentèrent par le zodiaque. La panoplie de l'évêque de Rome s'inspire d'ailleurs bien plus des symboles païens égyptiens (crosse et mitre, notamment), que du symbolisme chrétien du cavalier blanc, incarnation de la force spirituelle. Un autre phénomène étrange, au point qu'il est remarqué et critiqué parfois au sein de l'institution romaine, est la canonisation des papes, manifestation apparente d'un culte hiérarchique et providentiel, tel que les élites en ont conçu et en conçoivent à toutes les époques, sans d'ailleurs que la conviction dans l'au-delà soit nécessaire, autrement que comme le simple raffermissement de la volonté.




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