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Homère et les modernes

Les hommages rendus à Jacqueline de Romilly sont de ceux que l'on rend indistinctement à la culture, fatras on ne peut plus hétéroclite désormais.

De loin, elle paraît brillante et, à l'instar des ouvrages académiques, son nom fait honneur au corps de métier enseignant. Mais, sous couvert d'hellénisme, ce sont des valeurs latines que J. de Romilly promeut dans ses ouvrages. Pour une raison facile à comprendre : la république moderne totalitaire, sa culture de masse et ses méthodes de gouvernement démagogiques, renvoient à la Rome antique, bien plus qu'à la culture grecque.

L'erreur de J. de Romilly est d'ailleurs assez grossière de vouloir lutter contre la décadence par des moyens politiques ou éthiques, alors même que la décadence est un phénomène éthique ou politique nécessaire, c'est-à-dire naturel. Jacqueline de Romilly est en outre, comme beaucoup d'intellectuels républicains ou réactionnaires à la suite de Nitche, une négationniste. L'effet de la révélation chrétienne est à ses yeux nul et non avenu. Bien plus encore que celle de Nitche, la culture prônée par J. de Romilly est pure nostalgie.

"(...) D'autre part, vous faites un parallèle avec les livres sacrés : il est parfaitement exact que dans l'éducation grecque, l'explication d'Homère tenait la première place ; Xénophon, par exemple, estime qu'un Athénien cultivé doit savoir Homère par coeur (...). A toutes les époques de l'hellénisme, on a cherché dans Homère des conseils, et ce dans tous les domaines, même quand il s'agissait de stratégie ou de philosophie. On a multiplié également les lectures allégoriques, et les chrétiens eux-même y ont cherché -et trouvé- bien des symboles et bien des significations. Il reste cependant une différence capitale : c'est qu'un livre sacré doit être respecté dans ses moindres détails et doit reste "ne varietur". Or Homère représente pour les Grecs une oeuvre à propos de laquelle ils peuvent réagir et prendre leurs distances. (...) Un livre sacré, c'est, du point de vue religieux, un livre fixé une fois pour toute, respecté et respectable ; là, c'est un élan."

J. de Romilly manifeste ici une double méconnaissance du "sacré" et de l'histoire. La première chose à dire, en l'occurrence, c'est qu'il existe plusieurs sortes de sacralité différentes, voire opposées. La politique est ainsi, dans de nombreuses religions païennes (Virgile) une cause sacrée - tandis que les religions dans lesquelles la liberté est une "chose sacrée", pour ne pas dire dieu, méprisent la politique et la rabaissent au niveau de la bestialité. Chez les prophètes juifs ou chrétiens, les nations et les rois sont conduits par Satan.

Quant au respect des livres sacrés, l'histoire de l'Occident prouve qu'un livre peut être sacré, comme le nouveau testament des chrétiens, et n'en être pas moins contredit systématiquement, y compris par les prêtres censés faire partager la révélation qu'il contient, sous couvert de la "tradition". La dénomination même de "pape" est prohibée par les apôtres, ce qui n'empêche pas l'évêque de Rome de citer la parole divine. On comprend que J. de Romilly exclut par principe la qualité métaphysique des textes sacrés, et les croit tous de nature anthropologique, ce qui est absurde pour une helléniste. Mais même en ce qui concerne la sacralité juridique, qui manifestement fascine J. de Romilly, son jugement est inexact : le Coran, ainsi, n'est pas respecté dans ses moindres détails, pour la simple raison que ces détails se contredisent parfois. En ce qui concerne le code civil et la sacralité des lois républicaines, ils évoluent au gré des élites qui les édictent et on peut parler de sacralité "à géométrie variable", opposable à ceux qui ne font pas partie de ces élites. A cet égard on comprend pourquoi la démocratie de Platon n'est pas pure hypocrisie comme la nôtre.

"J'ajoute (...) que les héros d'Homère, s'ils sont un peu plus beaux, un peu plus grands que les hommes normaux, ne sont jamais dépeints comme des êtres parfaits : ils ont tous des défauts, des faiblesses, et on ne saurait les comparer à des saints ou à des prophètes. (...)"

Il s'agit encore d'un jugement superficiel, et J. de Romilly mélange tout ; les saints de la tradition catholique romaine ne sont pas les apôtres, et de nombreux saints de la tradition romaine sont de pures fictions - l'Eglise romaine elle-même ne place pas au même niveau les paroles et écrits de tel ou tel de ses saints, et la parole divine transmise par les apôtres. Les apôtres ne sont par présentés comme "parfaits", et il en est même un qui se suicide. Les prophètes juifs et chrétiens ne sont  pas tous également parfaits. Le sens de l'histoire et l'universalisme chrétien affirment la perfection plus grande de Jésus-Christ, sur qui la mort n'a pas de prise, contrairement à Moïse.

Quant à certains héros grecs ou homériques, ils ont bien un degré de perfection quasiment absolu, tel Héraklès, qui seul est capable de délivrer Prométhée, significatif de la condition humaine douloureuse et de la mort. De même Ulysse, s'il chute de nombreuses fois, se relève toujours et finit par atteindre son but, dont on peut penser qu'il a une signification spirituelle, étant donnée l'assistance d'Athéna.

C'est le négationnisme de l'histoire, typiquement romain ou républicain, qui est le but visé par J. de Romilly, derrière sa démonstration superfielle. La muséographie pour faire pièce à l'histoire.

 

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