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homère

  • L'Etre et le Néant

    Comme un ami s'étonnait récemment de mon franc mépris pour la philosophie allemande de Jean-Paul Sartre, je lui répondis que cette philosophie étant diamétralement opposée de celle de Shakespeare, mon mépris était inévitable.

    La philosophie réactionnaire trouve quelques éléments qui la confortent dans le théâtre à vocation universelle de Shakespeare. La philosophie moderne, aucun. Les talibans sont plus modernes que Shakespeare. Le théâtre de Shakespeare procède impitoyablement au massacre des philosophes modernes, comme si Shakespeare avait prévu le nombre infini de leurs victimes.

    L'entreprise de censure "cryptocatholique" de J.-P. Sartre se limite à dénigrer une poésie hérétique française (Baudelaire, Flaubert...) car le rayonnement de Shakespeare est très faible en France ; on sabotera Molière beaucoup plus utilement (on peut s'amuser à regarder les mises en scène françaises du théâtre de Shakespeare comme un sabotage systématique, le plus souvent inconscient. Je ne suis pas certain qu'Anouilh ait fait exprès d'amputer "La Nuit des Rois" des scènes qui permettent de comprendre que Shakespeare n'est pas Marivaux).

    Le détournement de Shakespeare par Victor Hugo et Paul Claudel me paraît plus malin ou intentionnel. Victor Hugo est le prototype de celui qui n'aime rien parce qu'il aime tout. Le rapport de Victor Hugo à la littérature et à l'art est le même que son rapport aux femmes, il est pantagruélique.

    Dès les premières pièces, Shakespeare désacralise la littérature et la culture, sapant ainsi complètement la modernité. C'est ce qui a plu à Nietzsche, et pourquoi il a cru être Shakespeare réincarné pendant un certain temps... avant de déchanter car "L'Eternel retour" n'est qu'une philosophie de bonne femme selon le "grand Will". Si la philosophie réactionnaire plaît tant aux femmes, c'est parce qu'elles savent bien qu'elles l'ont inventée.

    Shakespeare montre que l'Amour et l'Argent sont les deux agents principaux de décomposition du corps social. Courir après l'Argent, c'est courir après le Néant. Cela explique, par exemple, pourquoi des personnes multimillionnaires, ont la sensation au soir de leur vie d'avoir gâché leur existence et que leur fortune ne s'oppose pas aux Néant ; on peut les voir s'adonner alors à des activités encore plus puériles, comme courir après l'Amour ou entamer une collection de timbres, aller visiter la lune en fusée.

    Il me semble que c'était mon état d'esprit quand j'étais au collège, et que j'avais effectivement l'impression de me mouvoir au ras du Néant, comme le marin sur son bateau. Par chance j'ai pu découvrir assez tôt dans ma vie -expérimentalement- que le marin aspire au Néant, c'est-à-dire à disparaître de la surface de la terre sans laisser de traces - j'explique de cette façon que la culture japonaise soit une culture de mort et que les Japonais se soient convertis aussi facilement à la barbarie occidentale moderne.

    C'est, à peine quelques années plus tard, en observant que toutes les lycéennes alphabétisées de mon lycée lisaient Sartre (un vrai piège à filles), que je me suis demandé : - Qu'est-ce qu'elles peuvent bien trouver à ce machin allemand ? Et alors j'ai lu Sartre. J'ignorais qu'il était laid et qu'il avait trouvé le moyen d'y suppléer en jonglant avec les mots, comme font la plupart des pasteurs en chaire le dimanche pour le plus grand bonheur des dames, suivant une observation déjà ancienne (de La Bruyère).

    L'Amour et l'Argent, porte-parole du Néant, sont de très vieux démons : la philosophie antique les avait déjà vaincus, dira-t-on. Ce n'est pas si sûr ; il n'est pas certain que l'Antiquité avait compris Homère et la victoire d'Ulysse sur "la bête de la terre", comme les disciples d'Homère les plus sagaces comprennent son "Iliade" et son "Odyssée" aujourd'hui.

    D'autre part Shakespeare montre comment la bourgeoisie et la philosophie moderne font du Néant, ce à quoi l'Antiquité n'avait pas pensé, un usage politique, de telle sorte qu'on peut comparer la philosophie moderne avec "un livre des Morts".

    Je me demande si Karl Marx avait saisi la monstruosité de la bourgeoisie moderne dans toute son étendue ? La charogne n'est pas seulement "belle", selon le mot de Baudelaire (qui en dit un peu trop au goût du censeur Sartre), c'est le plat quotidien du charognard moderne, dont il se repaît jusqu'à dévorer ses propres enfants en cas de disette.

  • Homère vu par Shakespeare

    Je lis ceci dans un manuel scolaire (par Olivier Got) :

    «N’oublions pas cependant qu’Ulysse, sans les dieux qui le protègent, ne serait rien.»

    On pourrait l'oublier, en effet, tant les personnages de "L'Iliade" et de "L'Odyssée" paraissent proches de nous, au point que certains lecteurs athées peuvent apprécier la lecture des aventures d'Ulysse et de ses compagnons, s'identifier à tel ou tel héros (l'Odyssée magnifiant Ulysse entre tous).

    Certains auteurs modernes sont fascinés par Ulysse, bien que le héros grec ne soit absolument homère,shakespeare,ulysse,odyssée,achille,troilus,cressida,pericles,eneide,poseidon,athena,olivier got,cervantès,iliadepas animé par un esprit moderne ; en effet l'homme moderne est seul, tel Rimbaud, face à son destin. Parfois, au dernier moment, sous pression, il appelle Dieu au secours, quand il n'a plus sa mère.

    La théorie d'un Ulysse épicurien, par un autre prof (Luc Ferry), m'a fait rire ; elle est si franchouillarde ! Les moines sont épicuriens quand ils ne sont pas masochistes : ils n'ont aucun besoin d'Athéna pour leur apprendre à jouir raisonnablement.

    Attardons-nous, plus que le commentaire scolaire, sur la protection divine dont bénéficie Ulysse - la déesse Athéna ; il faut préciser aussi quel Dieu s’efforce d'empêcher Ulysse de retourner à Ithaque - Poséidon.

    Mais d'abord Athéna : cette émanation de Zeus est supérieure à Zeus lui-même ; elle sort par le haut, et non par le bas, comme Dionysos.

    Un commentaire athée superficiel consisterait à dire qu'Athéna représente le triomphe de l'intelligence humaine sur la religion, sur la soumission à des dogmes. C'est en partie exact, et c'est ce qui explique l'illusion que certains "modernes" peuvent avoir qu'Ulysse est un héros "affranchi des dieux". Ulysse n'est pas passif, il n'attend pas tout de la providence comme certains dévots. Néanmoins Ulysse obéit à Dieu (le massacre des prétendants est un ordre divin).

    L'homme moderne, lui, se croit "libre" ou "affranchi", quand bien même le confort, principal gain ou victoire de la modernité, devrait inciter l'homme moderne à s'identifier plutôt aux lotophages, esclaves de leurs propres désirs. Plusieurs épisodes de l'épopée d'Ulysse illustrent que, s'il y a bien un héros qui ne se laisse pas dominer par le désir, c'est Ulysse !

    Si l'on voit dans l'homme moderne un individu décadent, "anarchiste" comme dit Nietzsche, un individu qui ne croit en rien qu'en lui-même - dans ce cas l'homme moderne se place sous la protection d'un de ces dieux secondaires de la mythologie, tel Dionysos (mortel) ou Chronos (archaïque), quand ce n'est pas carrément Hadès (froid).

    La divinité d'Ulysse se mesure aussi par rapport à l'humanité d'Achille, qu'anime un désir de gloire proportionnel à sa puissance physique.

    La déception de l’au-delà, éprouvée par Achille (chant XI), est sans doute un passage crucial de l'Odyssée ; elle indique en effet le peu de cas que Homère faisait de la religion de l'Egypte antique (religion anthropologique, c'est-à-dire entièrement spéculative). Ce passage explique aussi la guerre de religion qui opposa Platon et ses disciples à Homère et ses disciples pendant des siècles, pour ne pas dire des millénaires.

    *

    Cet antagonisme ou cette dialectique n’a pas échappé à Shakespeare ; celui-ci a fait d’Ulysse dans "Troïlus & Cressida"  un chef politique contredisant l'idéal platonicien exposé dans "La République" - un chef politique qui sacrifie son honneur personnel à l'intérêt général. C'est-à-dire un chef "machiavélique" avant l'heure (le sens véritable du "machiavélisme" est clairement exposé par Shakespeare dans son théâtre).

    "Troïlus & Cressida" renverse complètement le propos de "L'Enéide". En effet Shakespeare a vidé "L'Iliade" de son héroïsme ou de son esprit chevaleresque, tout comme Cervantès a ridiculisé cet idéal dans "Don Quichotte".

    Mais Shakespeare ne trahit pas Homère en transformant "L'Iliade" en parodie satirique. L'Odyssée souligne bien le penchant naturel de l'homme à la guerre et au pillage. Par "penchant naturel", comprenez : "homme soumis au destin" (ce que Ulysse n'est pas).

    Shakespeare a lui-même doté l’Angleterre d’une épopée homérique – "Périclès, Prince de Tyr". On comprend que le public anglais l'ait beaucoup appréciée ; si l'Angleterre est la plus athénienne des nations européennes, c'est en grande partie grâce à Shakespeare.

    Shakespeare s'est efforcé de surpasser Homère ; il ne s'est pas contenté de l'imiter sans le comprendre, comme Virgile - d'ailleurs l'épopée métaphysique ne peut être semblable, en 1600, à ce qu'elle fut plusieurs siècles avant Jésus-Christ. Ce faisant Shakespeare ne trahit pas Homère, comme le théâtre de Racine qui transforme la tragédie antique en drame psychologique bourgeois.

  • Qui a peur de Shakespeare ?

    Platon, jadis, conspuait Homère. Mais quelle sorte de prêtre, aujourd'hui, redoute Shakespeare au point de dire sa logique absurde ?

  • Tolstoï contre Shakespeare

    Bien plus que le marxisme, l'idéologie de Tolstoï coïncide avec la politique du régime soviétique. Ce dernier fut contraint à ses débuts de composer avec les masses paysannes et de leur accorder le partage des terres auquel la monarchie orthodoxe tsariste s'opposait. Lénine a eu l'intelligence ou la ruse de ne pas se mettre à dos la paysannerie, contrairement au nouveau pouvoir républicain en France, issu de la crise du régime monarchique de Louis XVI qui renonça à amadouer les paysans et préféra les affronter.

    Tolstoï rêvait d'une réforme agraire, préalable à une révolution sociale. Beaucoup d'idées socialistes progressistes sont nées dans la cervelle d'aristocrates chrétiens. Tocqueville est presque le seul moraliste français à avoir foi dans l'idéal démocratique égalitaire. On peut penser que de tels idéaux résultent de l'accord impossible entre les valeurs aristocratiques et le christianisme. De cette impossibilité résulte un moyen terme idéologique désastreux, dans la mesure où le socialisme constitue le coeur de l'idéologie totalitaire, liée à une traduction antichrétienne du message évangélique.

    Marx, quant à lui, est assez éloigné de croire que l'amélioration de la société puisse être une source de progrès véritable, voire un but de progrès. Sans doute est-il beaucoup trop juif ou chrétien pour le croire, car pour un juif ou un chrétien le progrès est du domaine de la métaphysique, à l'exclusion du domaine social entièrement charnel. Le discours de la "doctrine sociale chrétienne" est le vecteur de l'antichristianisme, que ce soit dans la version de Tolstoï, des pontifes romains modernes, ou dans la version laïcisée de Lénine. La version de Lénine est une fornication moins grande, car Lénine cherche moins à faire passer le progrès social pour une valeur chrétienne. Il n'en reste pas moins que la doctrine des soviets est tributaire de cette contrefaçon du christianisme que constituent les différentes doctrines sociales chrétiennes, tentatives dirigées contre l'esprit de dieu d'accorder l'amour de dieu avec la nécessité et les besoins humains.

    Comment appliquer les paraboles de Jésus-Christ sur le plan social ? Il ne faut pas chercher à le faire puisque le Christ n'a pas permis à ses apôtres de le faire sous peine de damnation. Il y a certainement une part de fornication dans la détermination de Judas Iscariote, c'est-à-dire de refus d'accepter la radicalité antisociale du message évangélique.

    Shakespeare, loin de témoigner de sa foi dans le progrès social comme Tolstoï, illustre non pas "le choc des cultures", expression presque entièrement dépourvue de sens puisque le sentiment identitaire implique une détermination guerrière (comme il est pacifique, le chrétien se purifie de tout sentiment identitaire), mais le heurt entre la détermination culturelle et le christianisme.

    Shakespeare a conscience que le christianisme fait table rase de toute forme de culture, autrement dit qu'il signe l'arrêt de mort de l'art. La littérature d'Homère illustrait déjà un tel phénomène, puisque Achille symbolise la culture, et Ulysse le progrès de la conscience humaine contre la culture. Ulysse est aussi individualiste qu'Achille est prisonnier de considérations sociales. Ce qui diffère chez Shakespeare, et ce pourquoi Tolstoï trouve qu'il manque de simplicité par rapport à Homère, c'est l'illustration que l'affrontement a lieu dans les temps modernes entre le christianisme et une culture qui se réclame du christianisme, directement ou indirectement, de sorte que la plupart des hommes ne mesurent pas l'enjeu de leur existence. Autrement dit l'apparente complexité de Shakespeare ne tient pas à Shakespeare lui-même, mais à une réalité sociale plus complexe et des ténèbres plus noires que celles de l'Antiquité.

  • Ulysse contre Achille

    En réponse au commentaire de Fodio ("Les femmes gémissaient ; mais sous prétexte de gémir sur Patrocle, c'était chacune sur son propre malheur". Pour l'aspect misogyne d'Homère. Zeus soutient les Grecs effectivement contre la majorité des autres dieux, il me semble. Pourtant c'est par amour pour Achille ; tu me diras que ce dernier meurt assez pitoyablement, mais comment expliquer cette préférence de Zeus pour Achille ?) :

    Il faut comprendre l'Iliade et l'Odyssée comme un ensemble, un diptyque. La religion d'Ulysse est une alternative à celle d'Achille.

    A cet égard "l'Enéide" de Virgile est une régression. L'Enéide fonde un culte national assez creux, une anthropologie et non une théologie. Cette précision est utile, s'agissant du rapport entre Homère et Shakespeare, dans la mesure où ce dernier fait table rase de la culture latine occidentale, qui repose sur la filiation entre les nations modernes et Troie ou Rome.

    Autrement dit, si Achille est bien le héros de l'Iliade et le chéri de Zeus, c'est Ulysse le héros de Homère et son favori. Achille témoigne d'une religion radicalement différente de celle d'Ulysse. Homère indique que Achille est en proie au déterminisme religieux, son ressort est psychologique, tandis que Ulysse, lui, au contraire, est libre ; autrement dit, Homère indique que la voie de la sagesse n'est pas un chemin naturel. Cela est probable en raison de la déception d'Achille aux enfers, qui serait disposé à échanger toute sa gloire, en définitive, contre la vie, c'est-à-dire la possibilité d'un meilleur choix.

    On pense d'ailleurs ici à la diatribe de Francis Bacon contre les soldats, aux yeux desquels ne comptent rien que le vin, les femmes et la musique. Bacon sait d'ailleurs parfaitement que, sans leurs soldats, les nations ne sont rien, ce qui implique du point de vue culturel d'encourager systématiquement le militarisme ou le militantisme (l'intellectuel moderne "engagé" n'est que le masque du prêcheur nationaliste, c'est-à-dire du pourvoyeur de charnier).

    L'expression d'une sagesse ou d'une spiritualité contre-nature de la part d'Homère, outre la misogynie, permet de discerner en lui un "tragédien juif". Homère ouvre une brèche dans la philosophie naturelle, c'est-à-dire le culte égyptien ou oedipien.

    Ce qui déclenche la colère de Platon, c'est la promotion par Homère de la conscience religieuse individuelle à travers Ulysse, incompatible avec le culte providentiel païen archaïque. Platon est plus moderne que Homère, parce qu'il est plus archaïque. Homère, lui, énonce une théologie qui n'est en principe pas tributaire du temps, et qui a le défaut, du point de vue élitiste ou platonicien, de n'être d'aucun usage sur le plan politique ou éthique.

    - De la même manière, on pourrait dire que dans le théâtre de Shakespeare, du moins pour les tragédies situées dans l'ère chrétienne, tous les personnages de Shakespeare confessent la foi chrétienne. Comme il se doit, selon la doctrine catholique romaine, les rois et les princes d'Occident sont, comme Achille est le chéri de Zeus, les favoris de dieu, portant sur eux les insignes de la foi chrétienne. Il n'est pas moins vrai qu'aux yeux de Shakespeare, ce type de culte providentiel est nécessairement païen et satanique. "Mon royaume pour un cheval !" : Shakespeare révèle en l'occurrence la véritable nature du culte des potentats occidentaux, et pourquoi ils sont les moins bien placés pour comprendre le sens spirituel de l'histoire.

    Autrement dit, Homère part d'un poème religieux ou d'un thème nationaliste classique, comparable à l'Enéide ou à "Star Wars", dans lequel il introduit la critique, c'est-à-dire l'ingrédient qui a le don de faire voler en éclats la culture. Shakespeare se comporte de la même façon par rapport à la culture médiévale, mélange de paganisme et de christianisme.

  • Homère, tragédien juif ?

    Homère est-il un tragédien juif comme je le soutiens ? Homère et Shakespeare ne partagent-ils pas à travers les siècles la volonté de faire voler en éclats la culture, c'est-à-dire l'athéisme ?

    Le savant chrétien Francis Bacon a bien conscience, ainsi qu'il l'explique dans ses "Essais", que parler d'athéisme à propos de l'antiquité est un anachronisme.

    Nous voulons parler ici d'athéisme au sens du "cléricalisme", c'est-à-dire la captation du "phénomène divin" par tel ou tel clergé, assortie de la définition de dieu par ce clergé, afin de servir les intérêts d'une élite politique. L'histoire des hommes est émaillée de tels complots. Le complot des juifs pharisiens est sans doute le plus connu. Mais le "Hamlet" de Shakespeare est fait pour rappeler l'épisode du prophète Daniel et du complot déjoué des prêtres babyloniens.

    On peut comprendre ce conflit en termes profanes, puisqu'il oppose de la même façon la technologie et la science. En effet, il est fait état dans les deux cas d'une même prétention scientifique -les régimes technocratiques modernes en ont même fait le "nec plus ultra" de la conscience humaine-, mais la réalité de l'histoire des sciences est celle d'un conflit entre la science technique et les savants.

    L'hostilité de Platon à Homère est donc la première piste. Derrière l'accusation typiquement cléricale d'impiété visant Homère et les mythes homériques, y a-t-il de la part de Platon une volonté plus profonde de défendre le culte égyptien antagoniste de la religion de Moïse, c'est-à-dire cette philosophie naturelle à laquelle est associé par les prophètes chrétiens le nombre de la bête 666. La foi juive de Homère pourrait expliquer sa relative impiété vis-à-vis des figures du zodiaque. Il convient de parler d'impiété relative, car "L'Iliade" n'est pas un pamphlet. On peut penser que le récit de "L'Iliade" vise plutôt le dévoilement complet d'un culte, partiellement occulté par le clergé chargé de sa diffusion. Ainsi le lecteur en sait plus long en lisant "L'Iliade" que le héros Achille du fait de son initiation. Le destin de Troie est celui de l'homme civilisé, ou qui se croit tel, béni des dieux mais non du dieu de Moïse.

    Au plan civil, Platon juge Homère indécent : mais précisément la religion de Moïse et le christianisme ne tiennent pas compte du plan civil, qu'ils décrivent comme une impasse.

    De même, du point de vue de Shakespeare, la culture est l'instrument principal du négationnisme de l'histoire, et donc du salut.

    On peut voir dans la constance des clercs et philosophes platoniciens à travers les âges à vilipender Homère, une preuve supplémentaire de la profondeur de cet antagonisme ; y compris lorsque ce culte platonicien/pythagoricien opère sous couvert du christianisme, comme c'est le cas en ce qui concerne Dante Alighieri, étrangement guidé par un prêtre du culte romain ennemi à travers le paradis, le purgatoire et l'enfer, et théoricien d'un culte impossible, analogue au culte mahométan.

     

  • Guerre et rhétorique

    "Moderne" et "démocratique" se dit aussi de la guerre sans merci que l'homme se livre en ces temps avancés où nous sommes rendus. L'hypocrisie et le cynisme contemporains feraient presque passer la guerre de Troie pour un match de rugby courtois.

    Mais, derrière le tissu de rhétorique afin d'accommoder la guerre à l'idée de progrès, les caractères restent les mêmes : il faut encore des types avides de gloire et obéissant au destin comme Achille pour trucider. On reste toujours aussi sourd aux cassandres qui prévoient que la technocratie mène au pire. La femme demeure toujours symboliquement l'enjeu de la guerre, c'est-à-dire que les actes de guerre sont commis par des féministes, ou des imbéciles dont l'éloge du sexe dissimule un comportement prédateur.

    De mauvais critiques estiment qu'il y a de la part d'Homère dans l'Iliade une esthétique de la guerre. C'est ne pas voir qu'il y a au contraire dans la guerre moderne et démocratique une part de laideur rhétorique extraordinaire. Ce n'est donc pas parce que la guerre moderne est un bourbier infâme de mots et de justifications anthropologiques hypocrites que Homère fait briller la guerre.

    Le propos d'Homère est bien plutôt de souligner le fondement guerrier de la culture. De sorte qu'il n'est aucune culture qui ne prenne sa source dans la violence, non seulement la culture grecque : s'il en était une, Homère serait périmé depuis longtemps.

    Un homme de culture est fondamentalement bestial, voilà ce que veut dire Homère en substance dans "l'Iliade". C'est la raison pour laquelle les chrétiens sont tentés de voir en Homère un tragédien juif, en raison de son mépris pour la culture, caractéristique de Jésus-Christ et des prophètes. Comprenez qu'on ne peut fonder une culture sur l'interdiction absolue de tuer figurant dans les tables de Moïse. La meilleure preuve en est du saccage systématique par les hommes de cultures chrétiens ou juifs à travers les millénaires de la mythologie chrétienne ou juive qui recèle ce mépris de la culture.

    Ce que Homère entend "par-delà la culture", c'est-à-dire n'étant pas soumis à la loi du destin, il nous le dit dans "L'Odyssée".

  • Homère et les modernes

    Les hommages rendus à Jacqueline de Romilly sont de ceux que l'on rend indistinctement à la culture, fatras on ne peut plus hétéroclite désormais.

    De loin, elle paraît brillante et, à l'instar des ouvrages académiques, son nom fait honneur au corps de métier enseignant. Mais, sous couvert d'hellénisme, ce sont des valeurs latines que J. de Romilly promeut dans ses ouvrages. Pour une raison facile à comprendre : la république moderne totalitaire, sa culture de masse et ses méthodes de gouvernement démagogiques, renvoient à la Rome antique, bien plus qu'à la culture grecque.

    L'erreur de J. de Romilly est d'ailleurs assez grossière de vouloir lutter contre la décadence par des moyens politiques ou éthiques, alors même que la décadence est un phénomène éthique ou politique nécessaire, c'est-à-dire naturel. Jacqueline de Romilly est en outre, comme beaucoup d'intellectuels républicains ou réactionnaires à la suite de Nitche, une négationniste. L'effet de la révélation chrétienne est à ses yeux nul et non avenu. Bien plus encore que celle de Nitche, la culture prônée par J. de Romilly est pure nostalgie.

    "(...) D'autre part, vous faites un parallèle avec les livres sacrés : il est parfaitement exact que dans l'éducation grecque, l'explication d'Homère tenait la première place ; Xénophon, par exemple, estime qu'un Athénien cultivé doit savoir Homère par coeur (...). A toutes les époques de l'hellénisme, on a cherché dans Homère des conseils, et ce dans tous les domaines, même quand il s'agissait de stratégie ou de philosophie. On a multiplié également les lectures allégoriques, et les chrétiens eux-même y ont cherché -et trouvé- bien des symboles et bien des significations. Il reste cependant une différence capitale : c'est qu'un livre sacré doit être respecté dans ses moindres détails et doit reste "ne varietur". Or Homère représente pour les Grecs une oeuvre à propos de laquelle ils peuvent réagir et prendre leurs distances. (...) Un livre sacré, c'est, du point de vue religieux, un livre fixé une fois pour toute, respecté et respectable ; là, c'est un élan."

    J. de Romilly manifeste ici une double méconnaissance du "sacré" et de l'histoire. La première chose à dire, en l'occurrence, c'est qu'il existe plusieurs sortes de sacralité différentes, voire opposées. La politique est ainsi, dans de nombreuses religions païennes (Virgile) une cause sacrée - tandis que les religions dans lesquelles la liberté est une "chose sacrée", pour ne pas dire dieu, méprisent la politique et la rabaissent au niveau de la bestialité. Chez les prophètes juifs ou chrétiens, les nations et les rois sont conduits par Satan.

    Quant au respect des livres sacrés, l'histoire de l'Occident prouve qu'un livre peut être sacré, comme le nouveau testament des chrétiens, et n'en être pas moins contredit systématiquement, y compris par les prêtres censés faire partager la révélation qu'il contient, sous couvert de la "tradition". La dénomination même de "pape" est prohibée par les apôtres, ce qui n'empêche pas l'évêque de Rome de citer la parole divine. On comprend que J. de Romilly exclut par principe la qualité métaphysique des textes sacrés, et les croit tous de nature anthropologique, ce qui est absurde pour une helléniste. Mais même en ce qui concerne la sacralité juridique, qui manifestement fascine J. de Romilly, son jugement est inexact : le Coran, ainsi, n'est pas respecté dans ses moindres détails, pour la simple raison que ces détails se contredisent parfois. En ce qui concerne le code civil et la sacralité des lois républicaines, ils évoluent au gré des élites qui les édictent et on peut parler de sacralité "à géométrie variable", opposable à ceux qui ne font pas partie de ces élites. A cet égard on comprend pourquoi la démocratie de Platon n'est pas pure hypocrisie comme la nôtre.

    "J'ajoute (...) que les héros d'Homère, s'ils sont un peu plus beaux, un peu plus grands que les hommes normaux, ne sont jamais dépeints comme des êtres parfaits : ils ont tous des défauts, des faiblesses, et on ne saurait les comparer à des saints ou à des prophètes. (...)"

    Il s'agit encore d'un jugement superficiel, et J. de Romilly mélange tout ; les saints de la tradition catholique romaine ne sont pas les apôtres, et de nombreux saints de la tradition romaine sont de pures fictions - l'Eglise romaine elle-même ne place pas au même niveau les paroles et écrits de tel ou tel de ses saints, et la parole divine transmise par les apôtres. Les apôtres ne sont par présentés comme "parfaits", et il en est même un qui se suicide. Les prophètes juifs et chrétiens ne sont  pas tous également parfaits. Le sens de l'histoire et l'universalisme chrétien affirment la perfection plus grande de Jésus-Christ, sur qui la mort n'a pas de prise, contrairement à Moïse.

    Quant à certains héros grecs ou homériques, ils ont bien un degré de perfection quasiment absolu, tel Héraklès, qui seul est capable de délivrer Prométhée, significatif de la condition humaine douloureuse et de la mort. De même Ulysse, s'il chute de nombreuses fois, se relève toujours et finit par atteindre son but, dont on peut penser qu'il a une signification spirituelle, étant donnée l'assistance d'Athéna.

    C'est le négationnisme de l'histoire, typiquement romain ou républicain, qui est le but visé par J. de Romilly, derrière sa démonstration superfielle. La muséographie pour faire pièce à l'histoire.

     

  • Léopardi contre Nitche

    Sans doute parce qu'il est Italien, Giacomo Leopardi est parfois indûment rapproché de Nitche. Cette seule citation de Leopardi, "Le suicide prouve Dieu", où dieu n'est pas une divinité païenne quelconque, suffit à les séparer nettement. Pas plus qu'il n'est satanique, Leopardi n'est adepte de la culture de mort imputée par Nitche au christianisme et à Jésus-Christ lui-même.

    Le mot de Leopardi fait référence à la science naturelle antique, celle d'Aristote notamment, qui voit dans l'homme l'animal le plus complexe, au milieu des autres espèces possédant le souffle vital - un microcosme. De sorte que la sagesse des anciens se préoccupe non seulement de l'aspiration physique, vitale, de l'homme, mais aussi de son aspiration métaphysique contradictoire. Homère a ainsi raconté les aventures de deux super-héros opposés. Achille, courant au-devant de son destin, illustrant l'élan physique ou la culture de vie, nécessairement macabre, et Ulysse d'autre part, plus prudent et illustrant l'aspiration métaphysique et les obstacles tragiques auxquels la sagesse se heurte, mais dont Ulysse finit par triompher. Louant la tragédie grecque, on voit que Nitche en élude les données fondamentales, pour la rapprocher du dieu aryen Dionysos, sans doute afin de l'amputer de la partie métaphysique et conforter sa thèse d'une antiquité grecque baignant dans la culture de vie jusqu'au "décadent" Platon.

    On remarque d'ailleurs dans le récit mythologique de la Genèse attribué à Moïse, la même dialectique que chez Homère - d'une part un arbre de vie, où niche le serpent, symbolique de la science physique, et d'autre part l'arbre du salut, symbolique de la sagesse divine ou de ce qu'Aristote nomme "métaphysique".

    Bien que Leopardi soit l'auteur d'une pensée plus forte et plus cohérente que celle de Nitche, il est moins célébré publiquement que celui-ci. L'explication en est sans doute que Leopardi est moins moderne que Nitche. Bien que la morale aristocratique de Nitche ne s'accorde pas avec le darwinisme, comme le nazisme s'accorda avec lui pour cause de populisme ou de socialisme, la culture de vie nitchéenne ne remet pas en cause le conditionnement physique de l'homme postulé par la science moderne.

    Nitche n'est sans doute pas nihiliste, comme les vils curés modernes qu'il blâme pour s'être acoquinés avec la plèbe et l'empoisonner avec de vains idéaux, mais il est misanthrope, ce qui revient à peu près au même.

  • L'Art contre Dieu

    L'art est érection. Il est donc contre dieu. Si dieu n'incite pas l'homme à l'érection, mais à l'amour, c'est parce qu'il est une force bienveillante, contrairement à la nature, qui ne donne jamais sans retrancher ensuite ce qu'elle a donné. Le païen, par son art, tente ordinairement de rivaliser avec la nature pour se protéger de ses effets (à l'exception d'Homère, qui met en garde contre le plan physique).

    La nature engendre des artistes pour la célébrer ; le Messie est envoyé de dieu pour retrancher ce qu'il faut d'hommes afin de triompher de la nature, marquée par la mort et le péché.

    La peur détermine l'art et l'artiste. Celui qui cherche la vérité ne craint ni la foudre ni les vicissitudes du temps.

  • Guerre et amour

    Si Homère est historien, c'est parce qu'il nous montre que la guerre et l'amour sont pour l'homme sur le même plan ; et que cela est valable en tous temps, en dépit des sermons des sophistes platoniciens visant à démontrer que l'homme est intrinsèquement bon.

    L'historien ne fait pas dans le détail, contrairement au chroniqueur mondain.

    La guerre est un art érotique ; la manière dont chaque civilisation fait la guerre reflète sa façon de faire l'amour. Un dessinateur lucide sur la lâcheté croissante des soldats français au cours des âges, les montrant de plus en plus éloignés par la puissance de feu de leurs adversaires, aurait pu faire le même dessin à propos de l'amour, de plus en plus "virtuel" sous nos latitudes.

    J'ai entendu un jour un pornocrate, c'est-à-dire un type auquel son banquier accorde plus de garanties qu'à un maquereau, parce qu'il donne des signes d'adhésion à la démocratie et aux valeurs actuelles, témoigner du progrès conjoint de la pornographie et de la technologie. On peut en dire de même de la guerre : elle stimule l'esprit terre-à-terre des ingénieurs.

    Un historien occidental doit savoir que dans cette métamorphose des comportements militaires et amoureux, l'Eglise romaine a joué un rôle décisif. S'il l'ignore, c'est un imbécile ou un menteur (Il y a dans l'Université beaucoup de menteurs positifs, qui tronquent et truquent, et la profession d'intellectuel est la moins surveillée. C'est une profession dans laquelle on n'est pas capable de fournir une définition valable de l'intelligence, après trois mille ans de philosophie.)

    S'il n'y a pas de place dans le christianisme pour la culture, pas plus qu'elle ne trouve de fondement chez Homère, c'est parce que la culture est faite pour occulter l'aspect de prédation dans l'amour humain. Il n'y a aucun doute à avoir sur le fait que les soi-disant chrétiens qui suggèrent un plan érotique dans l'art chrétien sont d'authentiques suppôts de Satan. Les "armées chrétiennes" sont justifiées par la "culture chrétienne" : en aucun cas elles ne le sont par les saintes écritures et les apôtres véritables du Messie. Il faut ici se servir du glaive de Jésus, et trancher la gorge des faux prophètes qui prétendent le contraire.

    La culture occidentale paraît anodine, voire anecdotique : elle est en réalité un discours de haine diffus, mais extrêmement puissant, et sa barbarie excède celle du nazisme. C'est une explosion de chair potentielle, et les chrétiens doivent se tenir sur leur garde s'ils ne veulent basculer dans l'étang de feu, c'est-à-dire être happés définitivement par l'enfer où nous sommes.


  • Homère chrétien

    L'Eglise catholique romaine est la première cause d'éradication de la mythologie et des mythes. Dans le glissement progressif de la foi commune vers des vérités mathématiques ou statistiques, non plus dans des vérités mythologiques, l'Eglise latine a joué un rôle décisif en Occident. Pour une raison facile à comprendre: la mythologie n'est pas d'abord un enseignement moral. Elle a un usage social limité. Un de mes professeurs de dessin enseignait à ses élèves : "Le dieu Mars était déjà un imbécile dans l'antiquité." C'est inexact de dire "déjà" ; en inventant le motif du pacifisme militaire, le monde moderne arme les consciences bien au-delà du monde antique.

    La vérité morale ou mathématique est paradoxale: c'est en cela qu'elle entraîne facilement l'adhésion du bourgeois, aussi subtils soient les énoncés de la statistique. Le bourgeois vit en effet pour mourir, sans se poser la question du but, et se satisfait de ce paradoxe, qu'il saupoudre de tel ou tel folklore.

    Si le port de la croix est autant à la mode dans les diverses sectes sataniques, c'est en tant qu'il signifie l'existentialisme: non pas un humanisme, mais une religion parfaitement compatible avec le nazisme. Les vérités mythologiques, notamment les plus antiques, ont l'inconvénient de ne pas justifier l'homme, et la femme moins encore, et d'inciter à la résolution du paradoxe humain, d'une manière qui n'est pas passive.

    La mythologie des cinq livres attribués à Moïse a d'abord un sens historique et scientifique. La Mer Rouge engloutissant les Egyptiens est, par exemple, une métaphore historique. Les religions institutionnelles comme le catholicisme romain, en dépit de la lettre et de l'esprit du christianisme, sont fondées sur le négationnisme de l'histoire. Par définition, il n'y a pas d'historien catholique romain. Il est stupéfiant de constater le point de négationnisme atteint par le Grand Siècle.

    - En quoi peut-on dire que Homère est "chrétien" ? Dans la mesure où sa métaphysique, contrairement à celle des Egyptiens, de Platon ou de Blaise Pascal, ne contredit pas la métaphysique chrétienne. Dans la mesure où Homère ne fait pas des hypothèses, comme le purgatoire, impossible à fonder sur les saintes écritures, et que l'organisation sociale pyramidale requiert.


  • Grec contre latin

    "(...) Mais après la Réforme, il fut confirmé que le latin était le langage de l'Eglise catholique, et le grec celui de la culture protestante (sans compter, bien sûr, les langues vernaculaires dans lesquelles la Bible protestante était traduite). Le concile de Trente (1545-1563) interdit aux catholiques la lecture des Bibles grecque et hébraïque, sauf dans le cas de chercheurs spécialement autorisés, et aux yeux de l'Eglise de Rome l'étude du grec devint synonyme d'hérésie. En conséquence, plusieurs savants hellénistes furent condamnés au bûcher en 1546 pour "offense à la foi" par le catholique roi de France François Ier, en dépit de la royale dévotion aux arts et aux lettres. Dans les pays protestants, par contre, l'étude du grec était encouragée assidûment et, jusque dans les colonies protestantes, le grec devint un élément du cursus scolaire ordinaire. En 1778, par exemple, le recteur Hans West ouvrit à Christiansted une école où l'on enseignait aux enfants des planteurs les oeuvres d'Homère et d'autres poètes classiques. Ne pas connaître le grec devint, dans les pays protestant, un signe d'ignorance. Dans Le Vicaire de Wakefield, roman d'Oliver Goldsmith datant de 1766, le recteur de l'Université de Louvain, un sot, s'en vante en ces termes : "Vous me voyez, jeune homme, je n'ai jamais appris le grec, et je ne pense pas qu'il m'ait jamais manqué. J'ai eu la coiffe et la robe de docteur sans le grec ; j'ai dix mille florins par an sans le grec ; je mange de bon appétit sans le grec ; et, bref... ne connaissant point le grec, je ne crois pas qu'on y trouve quelque bien."

    Cette opposition eut des conséquences considérables : à partir du XVIIe siècle, Homère fut étudié avec rigueur dans les universités anglaises, allemandes et scandinaves, alors qu'en Italie, en Espagne et en France on le négligeait au profit de Virgile et de Dante. (...)"

    (Alberto Manguel, L'Iliade et l'Odyssée)

    Avec Shakespeare, le plus grand helléniste britannique, l'orientation de l'Angleterre est nette vers le grec. Sans la traduction et la compréhension d'Homère, l'Occident n'aurait pas connu la tragédie. Elle se serait limitée au drame bourgeois et du carnaval dionysiaque, à l'opéra pour les bonnes femmes et les officiers de cavalerie.

  • Contre Bernanos

    En réponse à Fodio, qui cite Bernanos sur son blog, sincère royaliste sans doute, mais étrange cependant dans une religion qui ne reconnaît de pouvoir royal que celui de dieu, ou celui du christ, qui a défendu à ses apôtres de l'appeler "maître". Etrange Bernanos, qui semble ignorer que le XVIIe siècle des rois tyranniques est marqué dans son propre pays du sceau de Satan.

    Bernanos citant le curé d'Ars : "Ce que je sais du péché, je l'ai appris de la bouche même des pécheurs."

    Ce que les disciples de Jésus-Christ savent du péché, il ne l'ont pas appris de l'homme, qui n'en sait rien de plus qu'Adam et Eve; ils l'ont appris de Moïse et de Dieu. Le pécheur, moi, vous, tout mortel, ne peut pas regarder le péché en face, car cela reviendrait à regarder la mort en face, et non dans un miroir comme la basse condition humaine l'impose. Sauf peut-être au seuil de se résigner à mourir, nul homme n'est capable sans l'aide de dieu et ses prophètes de voir le péché en face. On a tous besoin de sentir qu'on est quelque chose, et non pas un tas de molécules en combustion. La culture de vie des païens les plus terre-à-terre charrie le péché comme le torrent charrie les gouttes d'eau. Jésus-Christ est assassiné - il est haï par Nitche, pour avoir définitivement rendue caduque la culture de vie, et il ne faut pas beaucoup plus de lucidité que des suppôts de Satan comme Baudelaire ou Nitche pour reconnaître dans l'argent moderne le dernier souffle de vie du monde.

    Donc seule la parole de dieu, qui est son Esprit, permet de voir le péché en face sans être anéanti par cette vision. L'aspiration à la connaissance de la parole divine est l'aspiration à être pur et lavé du péché - avant d'atteindre cette pureté éternelle, à être secouru par une force contraire à celle soutenant l'homme ordinaire, qui est sa foi ou son espoir, plus ou moins puissante suivant la vertu de cette homme ou de cette femme. Les rois sont faibles, nous dit le prophète Shakespeare, car ils sont appuyés eux-mêmes sur une masse mouvante, et prête à les noyer à chaque instant.

    Autrement dit : l'apocalypse ou le péché. C'est tout le crime du clergé romain (que Bernanos ignore obstinément, condamnant l'intellectualisme sans voir la part immense des clercs dans la casuistique, jusqu'à faire du catholicisme une religion de philosophes), le crime du clergé de faire écran à l'apocalypse, et de contraindre ainsi l'humanité au péché; de restaurer la mort dans ses droits en même temps que le péché, dont le Messie des chrétiens a levé l'hypothèque, rendant toutes les choses nécessaires à sa survie, inutiles pour son salut.

    Le péché et la mort confèrent au clergé un pouvoir immense sur les hommes, en particulier les ignorants, exactement celui que la maladie et la mort confèrent aux médecins aujourd'hui, en un sens plus vrai, car plus concret que celui du clergé démodé, qui d'ailleurs s'incline désormais devant la médecine, vaincu sur un terrain où aucune parabole du Nouveau Testament ne l'incitait à s'aventurer, pataugeant dans la plus barboteuse thérapie de l'âme et les syllogismes kantiens de crétins patentés, docteurs de l'Université.

    Ce pouvoir immense sur les foules, il a été ôté au clergé par le Messie, s'affranchissant lui-même de la chair et du péché. Niant que dieu réclame à l'homme des sacrifices, quand il ne lui demande que de l'aimer, ce qui n'est pas un sacrifice mais une libération. Celui qui réclame des sacrifices, et procure en échange certaines récompenses plus ou moins illusoires, maintenant l'homme dans un cercle infernal de douleur et de plaisir, de labeur et de fruit de ce labeur, n'est autre que Satan. Et la confiance en lui est comme naturelle et spontanée. Elle l'est chez le paysan, plus encore que chez l'intellectuel, qui croit pouvoir rivaliser par ses propres oeuvres avec le diable. Satan et le monde vacillent de la concurrence que les intellectuels font à Satan.

    Confronté à la philosophie, le paysan a souvent le pressentiment que la métaphysique est une imposture, une pure casuistique, qui parle moins vrai que la nature. En quoi il n'a pas tort, le plus souvent, car la culture est toujours inférieure à la nature. Plus elle prétend surmonter la nature, plus la culture est amère et médiocre - au bout du compte il ne reste plus dans la vaste porcherie bourgeoise que la gastronomie à l'intérieur, et les missiles en direction des affamés à l'extérieur.

    Mais, de ce que la nature est toujours supérieure à la culture, il ne faut pas déduire que la métaphysique n'est que du vent. Que les intellectuels simiesques en sont les plus éloignés, ne prouve pas que les choses surnaturelles n'existent pas. Homère, Shakespeare qui trucide des intellectuels dans ses pièces, Molière, ou même Balzac, ne sont pas des intellectuels. Molière sait que la charité véritable est toujours une insulte pour les cacouacs.

    Bernanos, lui, est un intellectuel, qui reconnaît la vanité de l'intellectualisme. Mais c'est Shakespeare qui mène la bataille contre la race de fer, la plus vaniteuse de tous les temps.

     
  • Homère éternel

    Contrairement à Léopardi, je ne crois pas que l'intérêt persistant pour Homère à travers les millénaires relève du hasard. C'est plutôt l'intérêt pour la plupart des auteurs modernes qui relève d'une coïncidence, au sens strict. Il faut être inconscient pour être un auteur moderne, d'une manière que Homère rejette en l'attribuant aux imbéciles. Difficile de prendre Homère au sérieux ET Edgard Morin, tous les pontifes à deux doigts de la démission. Le connard moderne croit pouvoir voyager dans le temps, et il n'est même pas capable de tirer de l'histoire autre chose qu'un baume rajeunissant.

    Le combat de Platon-le géomètre contre Homère n'est pas fortuit non plus. Ce dernier n'est pas tendre avec celui qui se fie à la puissance naturelle du destin : Achille, et sa gloire infinie.

    Il y a bien chez Homère, comme de la part de Moïse, un renversement de la religion égyptienne. L'athée national-socialiste Freud le dit à sa manière d'athée : Moïse a inventé une religion contre celle des Egyptiens. Chez Homère aussi, le plan social ou anthropologique, décisif dans le culte démoniaque égyptien, est dépourvu de sens spirituel. Qu'est-ce qu'un Juif ? Quelqu'un qui ne peut adhérer spirituellement à l'éthique ou au droit naturel égyptien. Ulysse est guidé par une sagesse surnaturelle, dont on peut vérifier qu'elle a beaucoup de correspondance avec celle du roi Salomon, et aucune avec la psychanalyse.

    "Parmi les nombreuses choses que fut Ulysse, il y a une constante dans la littérature occidentale : la fascination exercée par les humains qui se moquent des limites, qui, au lieu de se soumettre à la servitude de ce qui est possible, entreprennent, contre toute logique, de chercher l'impossible." dixit Mario Vargas Llosa.

    C'est très facile de comprendre pourquoi : les limites sont sociales. Le christianisme est antisocial, au point qu'il n'a pas le respect des morts. Celui-ci n'a d'intérêt que pour les vivants, qui à leur tour mourront, et ainsi de suite, suivant la généalogie païenne. Il n'y a pas d'éthique ou de morale dans le judaïsme et le christianisme ; s'il y en avait une, il y aurait un paradis, un purgatoire et un enfer ; or il n'y en a pas. C'est l'intérêt du clergé, en tous temps, et à toutes les époques, de faire croire qu'il y en a un. Aujourd'hui c'est l'intérêt des psychanalystes de faire croire qu'il y a un "inconscient" ou un "subconscient". Ces limites déterminent à l'action sociale. La conscience du chrétien authentique lui indique au contraire cette vérité, blessante à cause de la chair et de la faiblesse de l'âme humaine, que l'enfer se situe ici-bas.

    La "logique" dont parle Mario Vargas Llosa n'est autre que la foi et la raison païennes qui s'organisent autour de la mort. Dans un tel contexte de déterminisme biologique, dans lequel la psychanalyse nazie s'inscrit elle aussi : amour, liberté et vérité n'existent pas. Ce n'est que de la verroterie lancée par l'élite au peuple ignare, afin de le posséder.

    L'amour est parfaitement incompatible avec le déterminisme biologique. Une personne guidée par le destin ou la providence peut se bercer de l'illusion qu'elle est aimée ou qu'elle aime : mais ce n'est qu'une illusion. Elle prend pour de l'amour ce qui n'est en fait que de l'attachement.

    Mario Vargas Llosa semble ignorer que la conscience scientifique n'envisage pas, elle non plus de limites, contrairement à la conscience religieuse qui nie l'histoire. L'antagonisme entre Ulysse et Achille est aussi celui entre la "science consciente" d'une part, et la puissance et la science technique de l'autre.



  • Demain la guerre

    C'est une assertion étrange de la part de Léopardi lorsqu'il postule que les poèmes d'Homère ont perduré pendant des millénaires par hasard. Léopardi est en effet plus sage d'habitude, et tranche heureusement avec la culture de vie incestueuse de ses compatriotes.

    La résistance de Homère au temps et au hasard est encore plus logique que celle d'Aristote.

    - Très tôt dans l'histoire, Homère renseigne sur la cause de toutes les guerres et les charniers ; il dit pourquoi aucune éthique ne peut les empêcher et comment, ne pouvant les empêcher, elle les prépare insidieusement. Tout professeur d'éthique moderne est nécessairement de l'espèce des logocrates égyptiens, dont le rôle plus ou moins conscient est d'entraîner les peuples vers l'abîme (en créant un inconscient collectif qui libère l'instinct criminel de l'homme). Le masque de la démocratie-chrétienne est transparent.

    - L'erreur de jugement de Léopardi est scientifique, voisine de celle de Lucrèce. Il croit dans la matière et sa vérité, non pas réfugié comme toutes les femelles et gens de robe dans l'abstraction, mais il hésite à croire que l'homme peut dépasser le stade de l'hypothèse, c'est-à-dire qu'il peut triompher de la providence ou du destin. De là son explication providentielle, à l'incroyable longévité d'Homère, le poète qui méprisait la gloire. Le défi à la mort de Homère heurte le sentiment religieux qui, au contraire, se nourrit de celle-ci.

    - La femme est l'objet du désir, et il y a une femme pour deux hommes imbéciles. Cela suffit à Homère pour illustrer la compétition entre les hommes. Cette vérité homérique n'a pas vacillé depuis des millénaires : derrière une bête à concours, on retrouve toujours une femme. Ceux qui parlent de "guerres de religion", occultent que le dieu poursuivi dans ces cas-là n'est qu'une puissance équivalente de l'Etat ou de l'avenir des publicitaires : le produit d'un fantasme ou cette figuration de dieu interdite dans le judaïsme pour parer au piège de la femme. L'hommage des publicitaires modernes rendu aux femmes n'est autre qu'un discret encouragement à la compétition. La compatibilité de cet hommage avec la prostitution est d'ailleurs parfaite. Et le petit chiffon rouge du terroriste musulman, qui va s'écraser contre les panneaux publicitaires, de quoi est-il encore fait ? Un cheptel de vierges.

    Loué sois-tu, Homère, à travers les millénaires, de nous préserver de l'éternel retour de la connerie cléricale !

     

     

  • L'Apocalypse selon Homère

    Hormis les esclaves qui en sont empêchés par leurs maîtres et se réfugient dans la musique, il y a deux manières pour l'homme de penser contre la mort. Celle d'Achille ou celle d'Ulysse. L'une identitaire, l'autre individuelle. Gloire ou sagesse.

    Sauf les aliénés sans cesse agités, comme les vagues de la mer, et qui s'accommodent d'un dieu qui danse, maîtrisant le mouvement, les hommes qui peuvent s'arrêter pour penser un peu, s'interrogent sur leur condition, et donc leur fin, terme plus concret que le temps ou la civilisation.

    Achille a le choix entre devenir un homme normal, un père tranquille entouré de ses enfants, ou bien un héros plein de gloire. L'idée moderne que les pères de famille sont les héros du temps présent est sans doute celle d'une société diminuée physiquement ; et, pour les pédérastes incapables de s'accoupler, il y a le quart d'heure de gloire.

    La société, qui se complaît dans la médiocrité féminine, n'aime pas les hommes comme Achille, et ceux-ci le lui rendent bien puisque, la dominant ils la méprisent, s'avisant rarement qu'eux aussi, la société les tient par les couilles et par des prothèses érotiques. La gloire même des super-héros dépend de la société qui, une fois trépassés, leur tresse des lauriers, et la société elle-seule. Napoléon n'est admiré "post-mortem" que par des buveurs de sang qui n'osent pas se servir eux-mêmes.

    Dans "L'Iliade", Ulysse fait preuve de la ruse du politicien, qui sait tirer profit de l'excès de virilité du super-héros, le manipuler selon sa passion. Mais l'histoire ne se finit pas là, car l'intelligence politique ne mène à rien. La vertu ne fait que retarder les effets de la bêtise ou la guerre. Homère le sait bien. Pour éviter l'Hadès, il faut affronter la bêtise, ce que fait Ulysse dans "L'Odyssée". La vertu n'est qu'un moyen, que les régimes théocratiques, à force de le prendre pour un idéal, usent jusqu'à la corde.

    Le sentiment d'apocalypse est donc en chacun, dès lors qu'il peut penser à sa fin. Ce sentiment, la société le chasse en offrant toutes les drogues nécessaires pour ne pas penser à l'apocalypse, toutes les drogues dont la gloire. De sorte que c'est le but des doctrines sociales d'occulter l'apocalypse, afin de loger à la place dans l'esprit des hommes un paradis artificiel. D'une société à l'autre, cette carotte ne fait que changer de forme. Logiquement, l'apocalypse chrétienne condamne les nations.

    Avant même que le Christ fut venu parmi les hommes, dit Shakespeare au monde moderne, la vertu avait été réduite à un mélange médiocre de raison et de foi par Homère.

  • L'Esprit en boucle ?

    "Certains pensent qu'Homère ne considère même pas Dionysos comme un dieu." Héraclite Pontique.

    - Si les citoyens de la République française s'intéressent plus au football qu'à Homère, la faute en incombe exclusivement aux soi-disant élites républicaines. Et à personne d'autre. On ne va pas reprocher à des capitaines d'industrie et des banquiers de se désintéresser d'Homère.

    - Est-ce qu'il n'est pas fascinant de voir Héraclite, si tôt dans l'histoire, lutter déjà contre les cléricaux, Platon et Epicure, et défendre Homère contre leurs pamphlets ? De fait la rhétorique de Platon, reprise par Schopenhauer, est un des trucs les plus abjects de toute l'histoire de la philosophie. Il n'est pas étonnant que les barbares républicains modernes se soient emparés de Platon ou de l'épicurisme.

    On pourrait conclure à l'éternel retour des grandes questions spirituelles ; à moins que l'Esprit ne progresse de façon invisible ?

    - Héraclite précède Francis Bacon Verulam dans l'élucidation des mythes homériques, élucidation poussée à son point de perfection par le savant anglais, bien au-delà des fantaisies de Nitche sur la tragédie grecque.

    Un agrégé de lettres classiques républicain me confie : "Je ne me suis jamais intéressé aux mythes ; j'ai toujours préféré la philologie." Bien sûr, religion d'abord, et gardons-nous de l'imagination ! Le "hic", c'est que les mythes durent plus longtemps que les langues, qui meurent en étouffant au passage les stylistes incapables d'aligner deux phrases claires. "Le jeu d'écritures" : le point où l'élite républicaine et l'expert-comptable opèrent leur jonction.

    - Héraclite pontique nous dit qu'"Héphaïstos tombé du ciel" est une image pour décrire la technique (non pas un blasphème, comme prétend le dévot Platon), technique qui procède par la réflexion ou le raisonnement spéculatif, reflétant le soleil. On comprend ainsi pourquoi les Japonais ont une conception technologique de l'univers.

    - "Diomède, ayant pour alliée Athéna, c'est-à-dire la sagesse, blesse Aphrodite, la déraison, qui n'est pas une déesse, non par Zeus, mais seulement l'irréflexion des combattants barbares." poursuit Héraclite. On comprend pourquoi il y a toujours un bordel implanté près des campements militaires. Aussi en quoi la religion grecque diffère nettement de la romaine, puisque celle-ci place au contraire Aphrodite-Vénus au firmament, César ayant la prétention d'être son descendant direct.

    On sait que Napoléon se plaignait de ne pouvoir compter sur un tel lignage, et méduser ainsi plus complètement le peuple. Il ne pouvait s'appuyer que sur le dilettante Chateaubriand, plus occupé à débiter ses souvenirs d'enfance qu'à élucider quoi que ce soit. La République française n'a pas de mythes, elle n'a que des mythomanes et un code civil.

  • Ouverture de la chasse

    C'est sans doute le caractère dionysiaque des médiats qui les pousse à mener sans pudeur la traque au Jean-Pierre Treiber. Si je ne m'abuse, les journalistes de "France Télévision" viennent d'empêcher la capture de l'ami public n°1 des médiats en le débusquant avant les gendarmes, comme s'ils souhaitaient voir le feuilleton se prolonger le plus longtemps possible ?!

    Est-il besoin de rappeler le rapport entre Dionysos et Artémis la chasseresse qui, offensée dans sa pudeur par Actéon l'ayant vue nue, traque à mort celui-ci ? Le rapport est double :

    - Artémis et Dionysos sont tous les deux sous l'influence de la lune et, pourrait-on dire, parmi les plus "féminins" des dieux, dans le sens de "passionnés" ou "hystériques". Nitche a bien raison de relier le nazisme à Dionysos. Là où il se trompe lourdement, et trompe ses admirateurs avec, commettant ainsi la même erreur que Freud, c'est que Dionysos est un dieu on ne peut plus faible ; il n'est qu'un jouet entre les mains d'Apollyon-destructeur (mieux vaut faire confiance à la science de Shakespeare en ce qui concerne la mythologie qu'aux délires boches de Nitche ou Freud qui projettent la religion de la bourgeoisie franco-allemande sur Homère, tandis que Shakespeare s'appuie dessus.)

    - L'autre rapport entre Artémis et Dionysos, si tant est qu'ils ne fassent pas double emploi, est plus intéressant encore : Dionysos et Artémis semblent en effet portés à la fois vers l'orgie et la pudibonderie, le veau d'or et la loi. Et c'est précisément de cette façon que Marx décrit le capitalisme, comme l'alliage du puritanisme et de la pornographie ; c'est aussi de cette façon que les Etats-Unis illustrent ces deux modalités de fuite apparemment opposées, l'une dans le mariage, l'autre dans la frénésie sexuelle. Shakespeare montre d'ailleurs qu'Ophélie est aussi capable de petite vertu que de grande vertu (épouser un prince charmant). La morale nouvelle de la capote jointe à la mode du sado-masochisme, solution de l'ennui dans un ennui plus grand encore, invitent même à parler de sexe citoyen. Le prêtre qui justifiait le mariage chrétien par quelque entourloupe juridique, compte tenu des changements économiques qui ont modifié sensiblement la répartition du patrimoine, a été remplacé par le journaliste qui prêche le "safe sex". Il est plus efficace de tenir la cité avec du sexe qu'à coups de trique.

    Pour la chasse au Frédéric Mitterrand, contrairement à celle du Jean-Pierre Treiber, elle vient d'être officiellement fermée. C'est un vieux cerf à la viande plus que faisandée que les médiats préfèrent entendre brâmer dans le poste : "Au viol, on assassine la cuculture et mes bouquins de cucul-gnangnan !"

  • Ithaque ou l'hadès

    Raté l'essai sur Homère de Marcel Conche (Conche dont l'enseignement a donné la philosophie d'A. Comte-Sponville, tête de gondole acharnée à prouver que le capitalisme est "amoral", quand la loi naturelle du Capital se résout entièrement à une matrice de morale puritaine, dans laquelle Comte-Sponville a la tête enfoncée jusqu'à la clavicule ; c'est même précisément ce qui empêche le dernier pape romain de condamner chrétiennement comme une entreprise de racket à l'échelle mondiale -"Qui veut gagner sa vie la perdra"- le capitalisme totalitaire, pour ne pas se tirer une balle dans le pied.)

    La dédicace du bouquin (PUF, 1999) est "à Mlle Tronchon du lycée de Tulle" : chacun son Hélène de Troie.

    Car Conche ne parvient pas à démêler clairement le rapport entre les héros grecs et leurs dieux. Indifférence ? Cruauté ? Intérêt mutuel ? Conche finit par se rabattre sur la vieille idée romaine du "destin", alors même que c'est la distance d'Homère et des tragédiens grecs de l'idée de destin qui rend la littérature grecque si moderne, plus moderne que la littérature latine (Homère enfonce Virgile). Il ose même intituler un de ses chapitres de la manière la plus baroque qui soit : "Ulysse et le pessimisme d'Homère". Ulysse qui ne croit pas à la mort !

    Chap. "Le moment dialectique dans l'Iliade" : "Mais que faut-il entendre par "moment dialectique" ? Il consiste en ceci, nous dit Hegel, que les "déterminations finies se suppriment elles-mêmes et passent dans leurs contraires" (...). Il donne en exemple la vie, qui ne reçoit pas la mort comme quelque chose d'extérieur, mais qui, "comme telle, porte en elle le germe de la mort". Ces deux contraires, la vie et la mort, ne sont pas simplement deux, mais deux en un : chacun est l'autre "an sich" (virtuellement)."

    Sur le sol allemand (gorgé du sang d'Ajax), Herr Conche se montre plus précis. Mais pourquoi diable appliquer à Homère la grille de lecture nazie d'Heidegger ou Nitche ? D'autant plus que Hegel définit ici la dialectique comme ce qui n'est pas la dialectique pour Aristote, mais précisément son contraire, à savoir le raisonnement mathématique. La seule substance dans l'idéologie du "moment dialectique" de Hegel, c'est le cadavre. D'où sa trigonométrie nazie de l'histoire. La science subjective laïque, "figure à plat sur le miroir", se charge d'ailleurs, de Darwin à Einstein ou Freud en passant par la physique quantitative, de restaurer une sorte de destin "descendental", d'hadès algébrique.

    La seule leçon à tirer de Conche est par la bande (comme toujours avec les Béotiens qui ne font qu'ériger le tapis vert et le billard en religion ésotérique et sectaire) : Homère est plus près d'Aristote que de Socrate ou Platon.

    J'ai oublié quel pacifiste a prétendu qu'on aurait pu laisser l'Allemagne envahir la France sans opposer de résistance, que de toutes les manières la culture française aurait fini par l'emporter sur celle de nos cousins germains qui en étaient avides. Intention admirable, mais raisonnement nul, car on voit bien que non seulement les Boches ont perdu la guerre, mais que leur culture a triomphé sans peine des quelques résistants : Bernanos ("Le hasard est le dieu des imbéciles"), Simone Weil ("Max Planck est un abruti"). L'idée de culture même est une idée nazie ou soviétique.