La modernité est la vaseline pour mieux faire passer dans le public les moeurs bourgeoises, et je dirais le cinéma, puisque celui-ci résume à lui seul l'esprit de la bourgeoisie.
Le goût du régime nazi pour le cinéma et son usage prouve que ce régime est un régime bourgeois, et non "néo-classique" comme il s'est parfois donné l'apparence. De même le cinéma est un critère qui permet de discerner que la critique par les philosophes des Lumières de l'ancien régime a été dépourvue d'effets sur le plan politique et moral. Science-fiction, divertissement, propagande, pornographie, sont autant de vices dénoncés par les philosophes des Lumières, et que le cinéma répand dans les couches populaires, au point qu'on ne peut sérieusement dénoncer le populisme, tout en évitant d'y inclure la critique du cinéma. Ceux qui, comme Malraux, ont tenté d'ériger en art le cinéma, difficulté exactement aussi difficile que d'ériger les mathématiques modernes en science, doivent être regardés du point de vue critique humaniste comme des artisans du totalitarisme bourgeois.
C'est un abus de langage de parler "d'art moderne" pour désigner autre chose que les ouvrages de style, le mobilier au sens où les jurisconsultes parlent de "biens mobiliers", ou bien d'une production artistique destinée à faire la démonstration que la bourgeoisie a fait accomplir à l'art un progrès. L'aspect patrimonial est essentiel dans la notion d'art moderne. Une telle adhésion de la part des artistes à la démonstration du progrès moderne est en réalité assez rare. Cette démonstration est largement scolastique et universitaire, et la méfiance est répandue parmi les artistes des professeurs et de l'université, qui de tous temps ont été à la botte et à la merci du pouvoir.
On voit d'ailleurs que plus l'art d'une nation est faible - les Etats-Unis, par exemple -, plus le respect de la scolastique y est important, ce qu'un Français traduira facilement par : le cléricalisme.
La France, a-t-on coutume de dire, est "réactionnaire". Ce tempérament lui vient principalement de l'hostilité de ses artistes à la bourgeoisie, et donc à la modernité. Je dirais : qui ne sent l'odeur de mort dans la modernité n'est pas artiste ou n'est pas Français.
La seconde moitié du XXe siècle marque un tournant dans la tentative d'imposer la démonstration moderne, que l'on peut traduire par une germanisation des esprits. La plupart des grands penseurs du XIXe siècle sont très critiques à l'égard de la bourgeoisie, et donc de la modernité. A quelques exceptions près, et d'une faible portée, la littérature et la pensée du XXe siècle accompagnent le mouvement moderne. Ce revirement en dit long sur la qualité de l'enseignement scolaire et universitaire, puisque c'est une action de censure religieuse positive qui consiste à faire passer pour moderne ce qui ne l'est pas. Prenons les cas de Nietzsche, Marx et Balzac (à qui Marx accorde le mérite d'une description critique de la société bourgeoise, c'est-à-dire le statut d'historien véritable) : aucune de ces doctrines ou de ces critiques ne permet de fonder la démonstration moderne. Ni bien sûr le théoricien réactionnaire du retour à l'ordre antique, ni la tête pensante du communisme, ni l'historien chrétien, révélateur de la véritable nature de la bourgeoisie française. Quant à la psychanalyse, il n'est même pas certain que l'on puisse qualifier ses pères de "modernes", en raison de leur référence au mythe, alors même que, de façon significative, la culture bourgeoise moderne en est exempte.