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Science & Technocratie

Un régime technocratique est un régime où sévit l'idolâtrie de la science.

Dans sa proposition de réformation de la science ("Novum Organum", 1620), ouvrage historique majeur afin de comprendre l'Occident moderne, Francis Bacon Verulam multiplie les avertissements contre l'idolâtrie dans la science. Pour mieux affirmer encore la concordance de la foi chrétienne et de la science, Bacon entame son ouvrage avec une citation tirée du prophète Daniel : "Beaucoup voyageront en tous sens et la science en sera augmentée."

Comme Bacon est souvent présenté par des interprètes peu scrupuleux (Nietzsche) comme étant "athée", la précision suivante s'impose : "anticlérical", Bacon l'est sans doute, mettant souvent en cause la gabegie de la science scolastique médiévale, la faiblesse de ses vues et principes scientifiques ; pour autant Bacon ne remet jamais en cause la vérité des saintes écritures, dont il parle toujours avec respect. Sur ce point, plusieurs philosophes des Lumières français ont imité partiellement Bacon, opposant aux décrets du clergé catholique la lettre et l'esprit d'écritures réputées saintes dans l'Occident chrétien. Contrairement aux philosophes des Lumières, Bacon ne poursuit pas simplement un but polémique. L'idolâtrie est bel et bien un danger qui guette l'espèce humaine selon lui, et elle opère dans le domaine de la science les plus graves dangers.

Le principal danger pour l'esprit scientifique est dans l'homme lui-même. Aussi Bacon s'emploie-t-il à marquer les limites de l'entendement humain. Un esprit scientifique, pour mériter d'être qualifié ainsi, doit se méfier du raisonnement psychologique. Indirectement, Bacon indique ici la frontière qui sépare la science de l'art (ce dernier pouvant être en effet au contraire résumé à l'expression de la volonté humaine).

"Les idoles de la race ont leur fondement dans la nature humaine elle-même, dans la race, dans la souche des hommes. C'est à tort en effet qu'on affirme que les sens humains sont la mesure des choses ; bien au contraire, toutes les perceptions, des sens comme de l'esprit, ont proportion à l'homme, non à l'univers. Et l'entendement humain ressemble à un miroir déformant qui, exposé aux rayons des choses, mêle sa propre nature à la nature des choses, qu'il fausse et brouille." NO, livre I, aphorisme 41

Ainsi le "Novum organum" ambitionne de remédier à l'hiatus qui sépare l'entendement humain de l'objet majeur de la science qu'est l'univers ou le cosmos, afin que l'homme ne conçoive un univers à la mesure de son entendement, mais un univers tel qu'il est. Bacon ambitionne ainsi de rendre caduque la philosophie médiévale casuistique, son néo-platonisme ou son néo-aristotélisme plus ou moins bien digérés.

Pour la même raison, Bacon relègue la géométrie ou la science mécanique au rang des arts ou des sciences pratiques, en tant qu'ils sont psychologiques. Bacon compare les mathématiques (géométrie algébrique) à la science juridique, pour la raison que ces deux arts peuvent être dits "anthropologiques".

Que dire des "sciences humaines" ou de la sociologie, qui font la fierté des régimes technocratiques ? Du point de vue baconien, ces sciences consacrent l'idolâtrie au lieu de la combattre. Quel pourra bien être l'usage de l'histoire, réduite à une science humaine, si ce n'est de servir d'ornement à tel ou tel régime politique ?

A bien des égards, la science des régimes technocratiques rompt avec la révolution scientifique voulue par Bacon. Derrière les apparences d'une exhortation à la science, on pourra observer que la science en vigueur dans les régimes technocratiques aujourd'hui est beaucoup plus proche de la science scolastique médiévale. Ce qui est une évidence sur le plan de l'art moderne (le culte débile de l'originalité), est mieux dissimulé par la communauté des savants, mais un fait non moins avéré - les régimes technocratiques refoulent la science.

Si ce n'était le cas, il se formerait contre la prétention des économistes modernes à tenir un discours "scientifique" une coalition de savants révoltés contre l'idée, néfaste et dangereuse, que l'économie passe pour une science véritable, quand ses fondements sont moins solides que ceux de l'astrologie.

Comme la foi creuse et sans fondement a le don d'exaspérer contre la foi, la science sans conscience, c'est-à-dire l'idolâtrie de la science en vigueur dans les régimes technocratiques (on cite beaucoup Bacon aux Etats-Unis, sans faire l'effort de le comprendre), a le don d'exaspérer contre la science.

 

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