Relire Karl Marx ?

Je dois dire d'abord que c'est mon séjour aux Etats-Unis, il y a deux décennies environ, qui m'a incité à lire Karl Marx pour essayer de comprendre cette anticivilisation dominée par les femmes. Un Français éduqué dans l'amour de l'art ressentira en effet que les Etats-Unis sont une anticivilisation, à moins de prendre le cinéma pour un art ; les Etats-Unis sont une nation où la mécanique remplace l'art - pas seulement la mécanique automobile. Les états-uniens qui aspirent à l'art et au savoir-vivre émigrent d'ailleurs le plus souvent en Europe, en Italie ou en France, de façon provisoire ou définitive.

"Dominée par les femmes", parce que j'ai eu, lors de ce séjour initiatique, l'impression d'appartenir au sexe faible. Si je ne me suis pas installé aux Etats-Unis, ce que je n'excluais pas au départ, c'est en grande partie pour cette raison - ma misogynie française risquait de faire de moi une sorte de paria. Ce n'est que bien plus tard, grâce à ma lecture de Marx, que j'ai compris que le capitalisme entraîne une sorte de nivellement sexuel ; pour ne pas paraître un misogyne "primaire", je pourrais aussi bien dire que le capitalisme est favorable à une culture infantile et infantilisante ; j'ai vu aux Etats-Unis des types de 30 ou 40 ans qui lisaient des "comics", comme s'ils étaient restés englués dans l'enfance ; ce qui est frappant du point de vue français, ce n'est pas la violence verbale de Donald Trump ou ses provocations, c'est qu'on dirait un gosse de douze ans. Lorsque N. Sarkozy fut élu président, je me souviens m'être dit : c'est la première fois que les Français élisent un président américain ; un dirigeant européen s'efforce de donner l'image de l'impassibilité et de la maîtrise de soi.

Le trouble de l'identité sexuelle me paraît donc lié au capitalisme. Un romancier américain à la mode a écrit que "l'argent est la mesure de toute chose aux Etats-Unis", ce qui n'est pas le cas dans une culture paysanne, guerrière ou artistique. L'argent gomme la différence entre les sexes, sur laquelle sont fondées les sociétés traditionnelles, y compris les quelques exemples de sociétés archaïques matriarcales.

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La guerre des sexes actuelle trouve une explication dans la critique marxiste de l'économie capitaliste. Bien loin d'être une manifestation de la lutte des classes, la guerre des sexes est un moyen de détourner l'attention des politiques esclavagistes dites "libérales" : la plupart des mouvements féministes ne sont pas subventionnés pour rien par des oligarques capitalistes - à peu près les mêmes qui organisent la traite des blanches et le tourisme sexuel. La plupart des femmes éduquées du tiers-monde ne sont pas dupes de cette propagande féministe occidentale, qui est une forme de suprématisme blanc déguisé.

L'être humain n'a plus de valeur que dans le cadre du processus de production et de consommation de biens. Les liens sociaux traditionnels ont été remplacés peu à peu par une agrégation sociale de nature financière. J'exprimai aux quelques Etats-uniens que je fréquentais l'idée qu'une crise du dollar serait l'équivalent d'une crise religieuse profonde si elle durait. Je devais retrouver ensuite cette analyse dans Marx, qui s'est attaché à démontrer le providentialisme de la théorie économique libérale.

S'inspirant directement de Shakespeare sur ce point, Marx propose en outre une théorie de l'aliénation par l'argent ; celui-ci procure un sentiment de puissance, et dès lors qu'une femme dispose d'un revenu plus important qu'un homme, il n'y a aucune raison qu'elle se soumette à un homme ; la revendication d'un salaire égal trahit une idée de l'émancipation de la femme strictement capitaliste (un libéral féministe comme Tocqueville ne l'aurait pas cautionnée) ; de même le fait pour l'appareil d'Etat de taxer les revenus d'une prostituée revient à faire de cette prostituée une femme émancipée. Nombre d'essayistes réactionnaires ont parlé d'"inversion des valeurs", de "règne de la quantité", de "culture de mort", mais aucun n'en a élucidé le processus capitalistique comme Marx (en s'inspirant largement de Shakespeare) : le capitalisme a ramené progressivement l'éthique au niveau du calcul mathématique : dans les proportions où elles sont enseignées, les mathématiques représentent un enseignement religieux.

Cette évolution se traduit bien sûr dans le droit. Selon Marx, la lecture de Balzac permet déjà de mesurer la disparition du régime de droit patriarcal en Europe. Qu'est-ce que le patriarcat juif ? Il n'a rien de "traditionnel" : le patriarcat juif traduit la volonté de soustraire les moeurs du "peuple hébreu" (en dehors de toute considération raciale) au principe de puissance qui régit le droit naturel.

On comprend que Marx puisse rejeter le féminisme égalitariste comme une publicité pour le capitalisme. Aussi grossière soit la ruse de l'émancipation de la femme par l'argent, elle trouve des propagandistes zélés. La guerre des sexes est un des éléments de la violence sociale capitaliste, car elle est étroitement liée à la société de consommation.

Pour simplifier : l'Etat capitaliste a tendance à détruire les modes de vie traditionnel, fondés sur la division sexuelle du travail, et la propagande capitaliste se fait un devoir de faire passer cette tendance pour un "progrès éthique" dans les milieux populaires.

La lecture de K. Marx m'a permis de comprendre que le communisme soviétique et la démocratie-chrétienne américaine sont deux régimes analogues, sur le plan idéologique, bien qu'ils soient concurrents sur le plan économique.

A ceux qui n'ont jamais lu K. Marx, je conseille la lecture de "Le 18-Brumaire de Louis-Napoléon Bonaparte". Après tout, de Gaulle a restauré en 1958 un régime de type bonapartiste, qui possède de nombreux points communs avec celui de Napoléon III, sur le plan institutionnel et politique. On trouve aussi quelques points communs entre le capitalisme poutinien et le capitalisme de Napoléon III. V. Poutine comme Napoléon III peut s'affranchir plus ou moins des apparences démocratiques dans la mesure où son prestige dans l'opinion publique tient au fait qu'il a rétabli l'ordre, après une période de troubles politiques. Le capitalisme de Napoléon III ou de Poutine donne l'illusion d'un contrôle des oligarques par le pouvoir politique : cette illusion est la même que la confiance dans les "valeurs familiales", qui ont été remplacées par la "valeur travail" partout en Occident. 

Est-il utile de relire le Capital ? Une version abrégée peut permettre de comprendre pourquoi Marx s'opposait aux revendications salariales du socialisme syndical européen, en particulier à la revendication d'un salaire minimum. La sociale-démocratie antimarxiste a largement contribué à transformer les prolétaires en soldats, puis à faire passer la guerre civile et les génocides entre Européens pour le seul fait du nazisme, exonérant ainsi les industriels et les ingénieurs capitalistes.

K. Marx a anticipé plusieurs phénomènes politiques, comme la mondialisation conflictuelle, qui continue d'entraîner depuis la fin de la Seconde guerre mondiale un très grand nombre de conflits meurtriers et de famines inexplicables. Si la critique marxiste est aussi démodée qu'on le dit, et inapte à rendre compte de la réalité économique contemporaine, pourquoi les oligarques capitalistes et leurs employés détiennent-ils encore tous les médias audio-visuels ? Pourquoi investissent-ils les millions par paquets de dix dans une presse déficitaire si le capitalisme peut se passer d'une telle propagande ?