Comme dit l'essayiste Simone Weil, l'athéisme peut contribuer à la Foi chrétienne, dès lors qu'il vise la superstition dans le discours chrétien, très souvent impur. L'athée contribue ainsi à purifier la Foi, tandis que le clergé juif ne cherchait qu'à piéger le Christ, cherchant un motif de condamnation qu'il ne trouva pas.
Un exemple simple : un athée qui se moque d'un curé catholique qui bénit des ballons de rugby avant un match est moins athée que ce curé. Autrement dit, on peut aiguiser l'épée de la Foi sur la pierre de l'athéisme.
Un exemple plus spirituel : en caricaturant le discours de Leibnitz (alias Pangloss) dans son "Candide", Voltaire a mis utilement à jour une forme de superstition très répandue dans l'Occident moderne : le providentialisme - tout du moins une formule systématique, pour ne pas dire mathématique, du providentialisme. Le "Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles." de Leibnitz est une formule doublement mathématique (probabiliste) et païenne. Recouvert d'un vernis chrétien, ce paganisme est assez caractéristique de la culture germanique (ainsi que du crétinisme "identitaire" contemporain).
Si Baudelaire avait lu Voltaire plus attentivement, il se serait aperçu que les Lumières n'ont pas "aboli le péché", contrairement à ce que Baudelaire prétendait, ce sont plutôt les mathématiques qui, d'une certaine façon, ont opéré ce tour. Elles sont pour Leibnitz une véritable philosophie de la Nature. Le jansénisme débile (et funeste pour les lettres françaises) n'est pas loin du "panglossisme".
Précisons maintenant la limite jusqu'où l'athéisme peut contribuer à la Foi chrétienne, comme une sorte de désherbant de la mauvaise herbe qui se mêle naturellement à la Foi : cet athéisme ne doit pas s'attaquer à la Foi elle-même, chercher à répandre l'erreur ou la confusion ; c'est le cas de l'athéisme militant, qui tâche de discréditer la Foi par des approximations ou des mensonges grossiers. Contrairement à Voltaire, et même Diderot, dont l'athéisme a une tournure satirique, qui consiste à confronter la doctrine catholique aux saintes Ecritures, la doctrine de F. Nietzsche n'est pas un athéisme critique, mais un athéisme dogmatique (assorti de blasphèmes).
L'un des dogmes les plus ridicules de Nietzsche est celui de la pureté du monde antique gréco-romain (pur de la pensée juive). Dès l'Antiquité, le livre de la Sagesse de Salomon indique comment et pourquoi l'épicurisme/hédonisme (très répandu dans le monde latin) s'oppose à la religion juive, presque automatiquement (et non de façon critique). Nietzsche est donc une sorte d'épicurien furieux, un bonze hors de ses gonds.
Un mot à propos d'une forme d'athéisme, quasiment comique - je ne veux pas parler ici de l'athéisme de Don Juan, dont Molière montre qu'il est le produit d'un narcissisme débordant (Narcisse ne croit qu'en lui-même et en son destin), caractéristique aussi du marquis de Sade - je veux parler de l'athéisme de G. Orwell, qui déplore (au stade totalitaire) l'extinction de la Foi chrétienne. Cette disparition se traduit de deux façons : par l'athéisme socialiste, qu'Orwell caricature comme une religion d'Etat masochiste, mais aussi par la superstition de plus en plus répandue, qu'il constate chez certains de ses compatriotes soi-disant chrétiens.
Comment expliquer un tel athéisme (comique du point de vue chrétien) ? Il vient peut-être de ce que la Foi chrétienne est un élément constitutif de la nation anglaise, comme d'aucune autre en Europe.
Le nationalisme d'Orwell n'est pas un nationalisme vulgaire, tel que celui qui a été semé par la bourgeoisie dans le proléariat au XXe siècle pour faire pièce au socialisme-révolutionnaire : c'est un nationalisme politique. On n'en fait pas assez souvent la remarque, mais "1984" est aussi une satire de l'impérialisme comme mouvement de décadence politique. De façon plus nette que la France (comme l'aventure napoléonienne le prouve), la nation anglaise s'est construite contre l'idéologie politique romaine.
Par conséquent il est assez difficile, voire impossible pour un Anglais... d'être tout à fait athée tout en restant Anglais. Par ailleurs la dimension pragmatique du christianisme, illustrée par la parabole du Samaritain, est sans doute particulièrement anglaise. Pour être Anglais, il faut agir en Anglais : agiter un drapeau ou parler anglais ne suffit pas ; les Anglais sont ainsi prémunis contre le crétinisme identitaire.
(Orwell est bien sûr un type d'Anglais en voie de disparition au stade de l'impérialisme totalitaire et de la désagrégation de la nation anglaise sous l'effet du capitalisme.)