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L'Intellectuel selon Orwell

Dans "Orwell & les Gilets jaunes", je précise un des aspects les plus subversifs de "1984", à savoir le rôle crucial attribué à Orwell aux intellectuels dans le système totalitaire. "Intellectuel" n'a pas le sens vague pour Orwell de "quelqu'un qui s'adonne à une activité intellectuelle".

La brute raffinée O'Brien, membre haut placé du parti socialiste anglais (AngSoc) qui séduit Winston Smith, avant de devenir son tortionnaire ultérieurement, est présentée comme un intellectuel ; peut-être même O'Brien est-il l'auteur des discours utopiques attribués à Emmanuel Goldstein, conçus pour piéger les dissidents - Goldstein dont l'existence n'est pas certaine ?

Mais encore Winston Smith lui-même est un intellectuel ; Orwell l'indique en soulignant le contraste entre sa jeune compagne Julia - qui, elle, n'est pas une intellectuelle. Winston Smith est un fonctionnaire assigné à la conception de la "novlangue", une tâche de linguiste qui le passionne a priori, même si elle finira par heurter sa conscience et déclencher sa révolte contre Big Brother. Winston Smith est aussi un intellectuel, indique Orwell, car l'utopie a le don de séduire les intellectuels, c'est-à-dire les esprits peu ou non pragmatiques.

On peut donner une définition concise de ce qu'est un "intellectuel" selon Orwell : "Quiconque est animé par l'esprit de système et contribue à animer le système". On conçoit qu'un tel intellectuel ne perçoive ni les inconvénients ni les dangers du système totalitaire, qui lui paraît au contraire une mécanique bien huilée.

Deux exemples, le juriste et l'ingénieur, permettent de faire le lien entre le socialisme d'Orwell et celui de Marx, car la critique marxiste a prédit la prolifération des juristes et des ingénieurs ; l'anarchie capitaliste ne tient pas à l'absence de règles de droit, mais à la prolifération de règles, dont la plupart sont "virtuelles".

La bête noire des Gilets jaunes, depuis le début de ce mouvement populaire de grève générale, ce sont les énarques, qui incarnent en effet l'esprit du système de la Ve République. Le chef de l'Etat a d'ailleurs répondu à cette colère en feignant de supprimer l'ENA, avant d'embaucher le cabinet de conseil McKinsey pour conduire la "politique sanitaire", dont on peut difficilement nier qu'elle a fait éclater l'esprit de système au grand jour, l'irrationalité des politiques publiques. Les Gilets jaunes n'ont pas manqué d'observer le consensus général de la classe politique, notamment sur un point essentiel : un surendettement de 800 milliards d'euros à l'échelle européenne pour relancer le système.

Concluons par quelques conséquences pratiques pour les "Gilets jaunes" :

- La théorie politique n'est d'aucun effet contre le totalitarisme, selon Orwell ; en effet celui-ci repose largement sur l'excès de théorie, à quoi l'on peut ramener l'utopie et les utopistes.

- La prolifération de la bureaucratie et des bureaucrates est une conséquence directe du totalitarisme : bon nombre de bureaucrates sont payés avant tout pour promouvoir l'esprit de système et constituent une armée mexicaine d'experts en toutes matières, grevant dangereusement le budget de l'Etat. Un comité de Salut public de Gilets jaunes devrait se saisir au plus vite de cette question. L'absence de réforme économique sérieuse depuis cinquante ans s'explique largement par l'orientation bureaucratique donnée à la Ve République depuis sa fondation.

- Les Gilets jaunes ne doivent pas s'attendre à l'autocritique de la part de la classe politique. L'entêtement est caractéristique des intellectuels et de l'esprit de système. Le projet d'Union européenne (2000-2025) a fait faillite sur tous les plans, dont les principaux sont le pacte de stabilité économique et le maintien de la paix en Europe. La guerre en Ukraine ne prouve pas seulement l'échec de l'Union européenne, mais les errements économiques des bureaucrates bruxellois sont l'une de ses principales causes. A-t-on vu Angela Merkel, la personnalité politique la plus impliquée dans ce fiasco, faire preuve d'autocritique ?

Mis devant le fait accompli de l'échec patent du projet d'UE, ses promoteurs n'ont qu'un argument spécieux à opposer : si l'UE a déçu tous les espoirs, c'est "parce que l'on n'a pas été assez européens". On retrouve ici l'argumentaire gaulliste pour justifier la dictature de l'exécutif instaurée par la constitution de 1958. Autrement dit : la chienlit est responsable de l'échec de l'UE, les peuples anglais, français et allemands qui lui sont largement hostile - et comment ne le serait-il pas depuis le krach de 2008 ?

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