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Du Bonheur totalitaire

Aldous Huxley a montré comment le contrat social se forme, au stade totalitaire, autour de la notion de bonheur. La légitimité de la petite caste dirigeante est extra-juridique, si je puis dire, puisqu'elle tient dans son engagement à faire le bonheur du peuple ; en cas de malheur, cette légitimité disparaîtrait. A. Huxley souligne le rôle joué par la technologie dans le contrat social totalitaire.

Le cadre juridique démocratique ne joue donc plus, au stade totalitaire, qu'un rôle anecdotique : le peuple a renoncé à son pouvoir en échange de la promesse de Bonheur. "Brave New World" est une fiction : A. Huxley croyait possible l'accomplissement de cette promesse technologique, contrairement à G. Orwell. Pour rendre sa fiction de la non-violence du totalitarisme cohérente, Huxley a dû introduire un produit stupéfiant, le Soma, qui contrairement aux drogues existantes ou au plaisir comparable de la chair, n'est pas décevante, ne conduit pas inexorablement à la mélancolie.

Les personnages de Winston Smith et Julia sont incapables de se satisfaire de la ration de bonheur commune servie par Big Brother. De leur frustration naît leur rébellion contre Big Brother, en même temps que l'idéalisme politique de Winston Smith (Julia trouve dans la rébellion contre l'ordre établi une source de satisfaction en soi).

Plus de trente ans avant "Mai 68", Aldous Huxley a donc mis en exergue la fonction politique de la société de consommation, que l'on peut décrire comme une fonction religieuse, horizontale par rapport à l'oppression verticale d'une petite caste décrite à la fois comme parfaitement immorale et mue par une bonne intention - faire le bonheur des castes subordonnées.

L'élucidation de ce pseudo-contrat social, par conséquent plus psychologique que juridique (d'où l'importance du rôle joué par les psychiatres et les psychanalystes dans les régimes totalitaires), est compatible avec le sadisme des élites et le masochisme des classes subalternes, sur lequel "1984" insiste un peu plus. En effet le bonheur totalitaire est un bonheur "quantique", adapté à la société de consommation et proche d'une théorie du bonheur comme une accumulation de plaisirs - la plupart des publicitaires ne font que faire miroiter l'une ou l'autre des facettes de ce bonheur "quantique". Ce bonheur quantique, mathématique, est parfaitement immoral en comparaison du bonheur épicurien ou bouddhiste, dont la modération est le pilier central ; il est parfaitement immoral au sens où il inclut la douleur et la souffrance dans le bonheur.

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