Dieu et la science brisent l'un comme l'autre le cercle de la nécessité et des obligations sociales.
La société s'organise donc contre dieu, selon l'enseignement évangélique, mais aussi contre la science. Tout mouvement social implique renonciation à la science. Les événements politiques récents fournissent un exemple de ce phénomène : le mouvement communiste a très vite rompu avec le leitmotiv de critique scientifique de Marx et Engels au profit du négationnisme de l'histoire et de cérémonies religieuses de commémoration en l'honneur des héros du passé. De marxiste qu'il était, le communisme est devenu sartrien, c'est-à-dire un culte conforme au catholicisme romain. Si l'on voit dans la critique marxiste un antiélitisme "au nom de la science et de la vérité", ce qu'elle est très largement, cette critique conserve son intérêt, car un esprit modelé par un régime technocratique totalitaire n'a pas conscience de l'opposition des plans scientifique et politique. En revanche, si l'on voit le marxisme comme une doctrine sociale alternative, ce qu'il est très peu, le marxisme perd tout son intérêt, car la bestialité humaine est insoluble sur le plan politique.
L'intelligentsia stalinienne s'est hâtée de rebâtir le temple de spéculations philosophiques édifié par Hegel, que Marx avait entièrement démoli. La dignité de l'Etat bourgeois esclavagiste ("Le travail rend libre") a été restaurée, afin d'inspirer le respect au prolétariat, comme le clergé catholique usa autrefois de la tradition et des sacrements pour fabriquer un culte identitaire afin de subjuguer la paysannerie.
Les lois sociales sont le produit d'un pacte avec la nature, et c'est ce pacte que le judaïsme et le christianisme dénoncent. Ils le dénoncent dès le mythe de la Genèse, à tel point qu'on peut penser, contrairement à Nietzsche, que la culture grecque antique est déjà marquée par le judaïsme et que la philosophie naturelle ne constitue pas pour les Grecs un horizon indépassable ; plusieurs philosophies et mythes témoignent de l'aspiration scientifique des Grecs par-delà la philosophie naturelle, à commencer par Homère, aussi peu juridique que possible. "Gréco-romain" ne peut se dire sans occulter complètement Homère, on ne peut plus éloigné de Virgile.
Le voeu de la communauté des technocrates d'une science moderne qui soit "éthique" rejoint cette idée de "philosophie naturelle" antique. Elle trahit de la part des savants modernes la double ignorance, d'une part de l'origine et du but de la morale, d'autre part de la source et du but de la science. Les comités d'éthique scientifique sont donc des institutions totalitaires. Ce mariage forcé de l'éthique et de la science entraîne un double fiasco moral et scientifique, dont la manifestation est la plus visible dans la culture occidentale moderne, non pas "médiocre" comme se doivent toutes les cultures, mais qui tend vers la nullité, c'est-à-dire la pure rhétorique ou la science sociale.