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février 1934

  • Demain la révolution

    Tandis que des manifestations violentes de mécontentement ont lieu en Ukraine contre le président Ianoukovitch soutenu par le pouvoir russe, quelques dizaines de milliers de personnes ont manifesté à Paris dimanche dernier a contrario contre le gouvernement oligarchique capitaliste de la France, son orientation "américaine" en matière de moeurs.

    On s'achemine peut-être en France vers un nouveau Mai 68, comme certains blogueurs le prônent depuis quelques mois ? La presse française préfère évoquer le 6 février 1934 - mais pas sa répression policière républicaine brutale. En réalité, le 6 février 1934 et Mai 68 sont des mouvements analogues ; Mai 68 est un mouvement beaucoup plus réactionnaire ou nitchéen qu'on ne le dit. Au demeurant, Nitche a raison, la France est plus réactionnaire qu'elle n'est moderne.

    La France est surtout moderne de par ses universités et ses professeurs, qui ne sont jamais que des fonctionnaires. "Réactionnaire" ne veut pas dire "de droite", puisque la mécanique gauche-droite est un moteur dont le mouvement n'est positif que du point de vue moderne. Si l'on prend Nitche comme exemple du pur réactionnaire - on peut définir le type réactionnaire comme celui à qui le seul slogan de l'avenir ne suffit pas pour avancer. La misogynie réactionnaire n'est pas un hasard, c'est quasiment un principe de jouissance, de sorte que l'avenir en particulier, et la détermination abstraite en général, est perçue comme un joug. Le désir d'avenir est un désir féminin. Ses chaînes, la femme en fait le plus souvent un ornement. La manière de marcher vers l'avenir est aussi caractéristique : comme elle est grégaire, il suffit qu'un obstacle se dresse sur ce chemin pour que le troupeau s'éparpille. Il y a dans le désir d'avenir, comme dans le désir de démocratie, un désir de se noyer dans la masse.

    De surcroît la presse et les médias français font corps avec l'oligarchie. Ils distraient les masses à l'aide de sujets secondaires, économiques. Bien sûr l'économie nous détermine, mais c'est précisément pour cette raison qu'elle n'a pratiquement aucun intérêt ; les mahométans sont plus raisonnables avec leur "Inch Allah", que tous ces branleurs avec leurs mastères d'économie qui font et refont leurs calculs à l'infini. Montrer ces têtes de cul à la télé française, quelle infamie. La vie est trop courte pour ne pas s'intéresser exclusivement à ce qui ne nous détermine pas. Simone de Beauvoir a raison : ce qu'on est à la naissance compte pour rien ; on peut prouver aussi bien le néant par l'origine que par la fin dernière. Mais dans ce cas, pourquoi ce déversement incessant d'histoires de cul et de sentiments féminins complètement puérils ? Autrement dit pourquoi l'iniquité moderne passe-t-elle par des garanties et des ruses féminines ?

    Le désir de rébellion ou de révolution de la jeunesse, son parfum excitant, viennent du sentiment que la révolution permet de reconquérir du terrain sur le destin ou l'économie. Comme dit l'humoriste Dieudonné : "Mieux vaut mourir libre que de vivre en esclave." : ce discours fait certainement mouche parmi les jeunes gens sensibles à la privation de liberté dans l'Etat de droit hyper-paternaliste où nous sommes. George Orwell dit justement que les intellectuels ne perçoivent guère la privation de liberté dans les régimes totalitaires ; c'est probablement parce que l'intellectualisme, qui est aussi un élitisme (en tant qu'artiste, Nitche rejette l'intellectualisme), peut se définir comme une pensée abstraite - comme le rêve, elle fournit sous la forme rhétorique un certain nombre d'échappatoires au lourd conditionnement de fait, qu'un artiste ou une personne à l'esprit plus concret ressentira mieux. En quelque sorte, l'intellectuel est non seulement captif du système, mais il en est un complément indispensable afin de suggérer les contours d'une liberté idéale, parfaitement hypothétique. D'une manière beaucoup plus sinistre, l'intellectuel, qui est une sorte de prêtre, censure les critiques du système technocratique qui entraîne le conditionnement le plus strict : censurés Marx, Orwell, Bernanos, Simone Weil, Céline, Shakespeare, Molière : ou passés à la moulinette de la culture de masse cinématographique.

    Cependant Shakespeare montre que la révolution, si elle paraît légitime et correspondre mieux à l'aspiration à la liberté que le maintien de l'ordre en place, la révolution est inutile dans la mesure où elle ne fait pas reculer les droits de la tyrannie (cf. "Jules César"). Le meilleur moyen d'être insoumis à l'ordre public n'est pas la révolution, mais la charité, beaucoup plus difficile que la révolution, la charité socialement impossible.