« C’est là que je découvris que les médecins étaient les rois et les malades de la merde, que les hôpitaux existaient pour assurer la fortune de médecins imbus de leur supériorité immaculée, amidonnée. En plus, ils ne s’emmerdaient pas avec les infirmières.
- Docteur, docteur, docteur, pincez-moi le cul dans l’ascenseur, oubliez la puanteur du cancer, oubliez la puanteur de la vie. Les crétins, c’est les autres, nous ne mourrons jamais ; nous buvons notre jus de carotte, et quand nous avons du vague à l’âme, nous prenons une pilule, une seringue, toute la défonce que nous voulons. Cui, cui, cui, on se la coule douce, nous sommes les gagnants. J’entrais, je m’asseyais, et ils enfonçaient leur mèche dans ma chair. ZIRRRR, ZIRRRR, ZIRRRR, ZIR, pendant que le soleil faisait pousser dahlias et oranges, se glissait sous les blouses des infirmières, ce qui affolait les pauvres cinglés.
(…) Sacré hôpital, mais je ne doutais pas que j’y retournerais vingt ans après, dans cette même salle des miséreux. Les hôpitaux, les prisons et les putes : telles sont les universités de la vie. J’ai passé plusieurs licences. Vous pouvez me donner du Monsieur. »
Bukowski a raison de détester les toubibs, c’est une engeance pire encore que les profs. Cette haine du médecin, je crois qu’elle est génétique, chez moi. Tout petit déjà, j’avais mordu jusqu’au sang le Dr Le Coz, un pédiatre qui prétendait planter une grosse seringue dans le cul de mon petit frère. Et de tous les bouquins qu’on m’a demandé d’étudier en classe, celui que j’ai préféré, c’est Knock. Je crois même que j’en veux à L.-F. Céline d’avoir été médecin.
Je suis convoqué à la médecine du travail ce matin et ça me fout les glandes. Isabelle propose de me déposer en voiture, le cabinet est près de son boulot. À la radio, l’annonce d’une chute de 9% des ventes du Monde (16000 ex. en moins pas jour) vient à point pour me redonner un peu confiance en l’avenir.
Pas ragoûtante, la littérature qui traîne dans la salle d’attente d’un médecin. Une couverture grise fait tâche claire au milieu de magazines raccoleurs. Sexualité magazine, un truc comme ça, c’est pas un bouquin de cul, mais la revue officielle de la Fédération européenne des sexologues, pas moins. Apparemment une bande d’obsédés sexuels qui se prennent très au sérieux : Analyse rétrospective de 418 patients présentant une impuissance de la lune de miel, Existe-t-il un instinct sexuel ?, Les microperversions. Les titres sont plus ineptes les uns que les autres. Je laisse très vite tomber le papier sur l’instinct sexuel. Son auteur, un certain Brenot, écrit dans un jargon imbitable.
Ah, en revanche, s’il y a des pédés qui lisent mon blogue, ces petites perles vont peut-être les faire rire. Elles sont signées d’un éminent chef de service du Charing Cross Hospital de Londre. Le Pr R. Green écrit, sans rire, ceci :
«On a démontré que l’ordre de naissance chez les sujets masculins avait une forte corrélation avec l’orientation sexuelle. Plusieurs études ont montré que plus le sujet garçon a de frères plus âgés, plus il a de risque d’être homosexuel. L’une des explications est que le chromosome Y du fœtus mâle produit un anticorps chez la mère pendant chaque grossesse successive. L’augmentation du niveau de l’anticorps perturbe le développement normal du cerveau.»
Ou, encore plus fortiche : «La littérature montre que les homosexuels masculins ont un déficit dans le nombre d’oncles du côté de la mère (les mères avaient trop peu de frères par rapport au nombre de sœurs). Nous avons évalué les profils d’arbre généalogique de 400 transsexuels masculins et 100 féminins. Les masculins avaient moins d’oncles maternels que prévu. Ceci peut s’expliquer par l’empreinte génomique. Un gène est exprimé ou non suivant qu’il vient du côté de la mère ou du père. Ainsi, un gène passé par la grand-mère maternelle peut être létal pour les mâles de la génération de la mère, et, lorsqu’il vient de la mère, peut perturber le processus de différenciation cérébrale pour les mâles de la génération suivante quand il s’agit d’un fils homosexuel ou transsexuel».
Le Dr Lombroso, qui vient me chercher pour m’ausculter, est une femme d’une cinquantaine d’année, la même que l’année dernière, très laide et qui s’efforce de dissimuler que son travail n’en est pas un. Elle me repose les mêmes questions vaines que l’année dernière : «Est-ce que vous fumez ? Est-ce que vous avez des douleurs quelque part ? Est-ce que votre travail vous plaît ?, etc. Je réponds au pifomètre, par monosyllabes, si possible, pour écourter l’entretien. Pendant qu’elle note dans son registre mes réponses et qu’elle me fait remarquer sur un ton aigre-doux que ça ne concorde pas avec ce que je disais l’année dernière, je repense à Bukowski. À ce morceau de bravoure :
«Jamais vu personne supporter l’aiguille comme ça ! - Regarde-le, aussi impassible qu’un rat mort !» Nouveau rassemblement de baiseurs d’infirmières, d’hommes nantis de grandes villas, ayant le temps de rire, de lire, de s’intéresser au sport, d’acheter des toiles de maîtres, et d’oublier de penser, d’oublier de ressentir quoi que ce soit. Amidon immaculé, ma défaite. Le rassemblement.
- Comment vous sentez-vous ?
- En pleine forme.
- L’aiguille ne vous fait pas mal ?
- Va te faire enculer.
- Quoi ?
- J’ai dit : va te faire enculer.
- Ce n’est qu’un gamin. Un gamin désespéré. On peut pas le lui reprocher. Quel âge avez-vous ?
- Quatorze ans.
- Je vous félicitais pour votre courage, le courage avec lequel vous supportiez l’aiguille. Vous êtes un dur.
- Va te faire enculer.
- Vous ne pouvez pas me parler comme ça.
- Va te faire enculer, Va te faire enculer, Va te faire enculer.
- Allez, ne vous laissez pas abattre. Vous pourriez être aveugle, après tout !
- Ça m’éviterait de voir votre sale gueule.
- Ce gamin est cinglé.
- Complètement, laisse-le tranquille.»