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Engouement

L'engouement actuel des ados pour Baudelaire a peut-être quelque chose de providentiel ? Je suis encore trop jeune pour faire la sortie des lycées, mais on m'a parlé de cette nouvelle tendance, et j'ai pu la vérifier auprès d'une ou deux pucelles enthousiastes.

Pourvu que les ados sachent encore lire !

"Il est encore une erreur fort à la mode, de laquelle je veux me garder comme de l'enfer", dit en effet le Baudelaire qui ne figure pas dans les programmes scolaires : "Je veux parler de l'idée du progrès. Ce fanal obscur, invention du philosophisme actuel, breveté sans garantie de la Nature ou de la Divinité, cette lanterne moderne jette des ténèbres sur tous les objets de la connaissance ; la liberté s'évanouit, le châtiment disparaît.

Qui veut y voir clair dans l'histoire doit avant tout éteindre ce fanal perfide. Cette idée grotesque, qui a fleuri sur le terrain pourri de la fatuité moderne, a déchargé chacun de son devoir, délivré toute âme de sa responsabilité, dégagé la volonté de tous les liens que lui imposait l'amour du beau : et les races amoindries, si cette navrante folie dure longtemps, s'endormiront sur l'oreiller de la fatalité dans le sommeil radoteur de la décrépitude.

Cette infatuation est le diagnostic d'une décadence déjà trop visible."

Supplique géniale du poète qui n'a pas pu constater comme nous le fiasco sanglant des divers projets "humanistes", projets qui n'ont concouru qu'à la ruine de tout ce que l'homme avait de précieux, à commencer par l'Art. Des ruines encore fumantes. Emporté par son élan, la bêtise humaniste n'en finit pas de faire des ravages sur son passage.

Commentaires

  • Vous l'avez dit Lapin, débranchez donc votre propre accès internet, cette réinvention de l'espace n'est pas Baudelairien pour un sou!

  • Ne pas caricaturer Baudelaire, ne pas en faire le pendant aussi stupide qu'eux des humanistes infatués qu'il dénonce, persuadés que l'art, la morale, l'histoire progressent forcément avec le progrès technique, en dépit de toutes les évidences, qui vénèrent comme une idole tout ce qui est neuf, parce que c'est neuf.

    Contre ceux qui pensent que tout progrès technique est forcément bon ou inéluctable, voire bon parce qu'inéluctable, Baudelaire ne pense pas que tout progrès technique est forcément mauvais et à éviter.

    La question d'Internet en soi pourrait faire l'objet d'un débat à part. D'abord l'internet est-il si révolutionnaire par rapport aux médias déjà existants ? La radio ne fut-elle pas une invention beaucoup plus "inventive" ?
    Ensuite on peut penser qu'Internet fait le lit de tout un tas de crapules, à commencer par les proxénètes, qui sont ceux qui en tirent les plus gros bénéfices.
    On peut en revanche se dire que l'internet pourrait permettre de dynamiter les monopoles audio-visuels, avoir aussi un effet bénéfique à plus ou moins long terme.

    Ce qui me paraît le plus critiquable, à première vue, c'est la propagande des gouvernements en faveur de l'internet, pour obliger un maximum de foyers à s'équiper d'une ligne à haut débit, suscitant un besoin inutile, pour des raisons bassement économiques. On en revient à la fuite en avant systématique et stupide des progressistes. Que le progrès technique finisse par nous péter à la gueule comme une bombe mal réglée un jour ou l'autre n'est pas une issue complètement improbable. Et puis ces fameux "progrès" génèrent un gaspillage important, pas seulement matériel d'ailleurs, mais aussi humain (qu'on songe à la médiocrité de l'existence d'un vendeur de téléphone portable, par exemple).
    La règle du gaspillage, sur lequel repose la croissance, c'est qu'il ne peut pas se poursuivre indéfiniment, on a beau recycler en partie, le gaspillage ne fonctionne pas en circuit fermé.

  • Baudelaire n’était un ennemi de la technique, il s’est beaucoup intéressé à la photographie qui venait d’être inventée et dont il pressent toutes les potentialités nouvelles.

    Il me semble que les adolescents ont toujours voué un culte à Baudelaire, qui représente l’attrait de l’interdit et de la transgression. On peut lier l’engouement actuel pour ce poëte à la vogue du satanisme chez les jeunes. Il y a dans “Les Fleurs du mal” maints hommages à Satan. Que, par ailleurs, Baudelaire se revendique disciple de Joseph de Maistre (qui lui a « appris à raisonner »), qu’il soit un fieffé réactionnaire, cela ne paraît pas troubler les adolescents, pour peu qu’ils le sachent. Ce qui les intéresse chez lui, c’est le côté révolté et dandy.

  • Lapin, votre réponse est un peu insuffisante, et ne sert pas à justifier ce gaspillage de mots dont vous êtes parfois responsable.
    Quant à comparer l'espace virtuel et la radio... Quel manque d'analyse... Lisez un peu Sloterdijk sur ce point, qui est bien plus perspicace, même si tous ses écrits ne sont pas si limpides et convaicants. Quant à Baudelaire, qui savait justement faire la part des choses, il me semble vous être bien étranger sur ce point quand vous comparez tradition et modernité. Que je sache c'est bien la première fois que vos vous mettez à tempérer vos propos et à trouver une utilité au progrès. Bon, enfin, cahcaun prêche pour sa paroisse, on dirait. Cela sent le parfum de la subjectivité à plein nez tout ça!

  • "cahcaun" n'étant pas le nom d'une tribu Indienne, mais un belle faute de frappe... :)

  • C'était plutôt Rimbaud l'idole des pucelles il y a quelques années. Et je n'ai jamais entendu les pucelles de mon lycée s'extasier sur Baudelaire.
    Une part de l'homme est attirée par Dieu et l'autre par Satan, dit Baudelaire. Ca ne fait pas de Baudelaire un auteur satanique. On est beaucoup plus sûrement satanique lorsqu'on ne parle pas de Satan, Sébastien. Ca commence par ne JAMAIS le nommer.

    Baudelaire ne pressent pas exactement les "potentialités" de la photographie, comme vous dites, mais plutôt les dangers. Je vous laisse juge :

    "(...) mais je suis convaincu que les progrès mal appliqués de la photographie ont beaucoup contribué, comme d'ailleurs tous les progrès purement matériels, à l'appauvrissement du génie artistique français déjà si rare. La Fatuité moderne aura beau rugir, éructer tous les borborygmes de sa ronde personnalité, vomir tous les sophismes indigestes dont une philosophie récente l'a bourrée à gueule-que-veux-tu, cela tombe sous le sens que l'industrie, faisant irruption dans l'art, en devient la plus mortelle ennemie, et que la confusion des fonctions empêche qu'aucune soit bien remplie. La poésie et le progrès sont deux ambitieux qui se haïssent d'une haine instinctive, et, quand ils se rencontrent sur le même chemin, il faut que l'un des deux serve l'autre. S'il est permis à la photographie de suppléer l'art dans quelques-unes de ses fonctions, elle l'aura bientôt supplanté ou corrompu tout-à-fait, grâce à l'alliance naturelle qu'elle trouvera dans la sottise de la multitude. Il faut donc qu'elle rentre dans son véritable devoir, qui est d'être la servante de la science et des arts, mais la très humble servante, comme l'imprimerie et la sténographie, qui n'ont ni créé ni suppléé la littérature. Qu'elle enrichisse rapidement l'album du voyageur et rende à ses yeux la précision qui manquerait à sa mémoire, qu'elle orne la bibliothèque du naturaliste, exagère les animaux microscopiques, fortifie même de quelques renseignements les hypothèses de l'astronome ; qu'elle soit enfin le secrétaire et le garde-note de quiconque a besoin dans sa profession d'une absolue exactitude matérielle, jusque-là rien de mieux (...). Mais s'il lui est permis d'empiéter sur le domaine de l'impalpable et de l'imaginaire, sur tout ce qui vaut parce que l'homme y ajoute son âme, alors malheur à nous !

    (...) Est-il permis de supposer qu'un peuple dont les yeux s'accoutument à considérer les résultats d'une science matérielle comme les produits du beau n'a pas singulièrement, au bout d'un certain temps, diminué la faculté de juger et de sentir, ce qu'il y a de plus éthéré et de plus immatériel ?"

    Citation extraite d'un chapitre d'une grande hostilité lucide vis-à-vis de la photographie, qu'on peut lire intégralement sur le ouaibe (Salon de 1859).
    Plus haut Baudelaire parle de de la "vengeance" des peintres manqués, trop mal doués ou trop paresseux pour achever leurs études et je ne peux m'empêcher de penser ici à Henri Cartier-Bresson.

    Ingres, même s'il faisait photographier les oeuvres dont il devait se séparer pour en conserver une image était aussi hostile vis-à-vis de la photographie et des photographes qui mettaient les graveurs, auxiliaires fidèles et indispensables des peintres, au chômage.

  • Je pensais aux Litanies de Satan dans les Fleurs du mal :

    « Gloire et louange à toi, Satan, dans les hauteurs
    Du Ciel, où tu régnas, et dans les profondeurs
    De l'Enfer, où, vaincu, tu rêves en silence !
    Fais que mon âme un jour, sous l'Arbre de Science,
    Près de toi se repose, à l'heure où sur ton front
    Comme un Temple nouveau ses rameaux s'épandront ! »

    Ça ne fait peut-être pas de lui un auteur satanique mais reconnaissons qu’il flirte avec la ligne jaune.

    Au sujet de la photographie, Baudelaire en pressent tout de même l’intérêt, puisqu’il lui demande de se faire l’humble servante de l’art, et non de chercher à se substituer à lui, comme on peut lire dans l’extrait que vous proposez. Il ne la rejette pas entièrement.

    Vous aimez chicaner, Lapinos. Ce défaut vous perdra.

  • Baudelaire a réclamé le droit à la contradiction, mon petit Lapin, sache t'en souvenir !

  • Ah, Sébastien, je vous répète que ce qui est satanique c'est de ne pas croire au Diable. Et lorsqu'on croit sincèrement au Diable, ne va-t-il pas de soi qu'on le prie ?

    Baudelaire a aussi écrit des vers divins. Mais je m'abstiendrai de chicaner plus longtemps avec vous puisque vous ne supportez pas les chicaneries, Sébastien. Avez-vous lu aussi l'"Epigraphe pour un livre condamné" ?

    "Lecteur paisible et bucolique,
    Sobre et naïf homme de bien,
    Jette ce livre saturnien,
    Orgiaque et mélancolique.

    Si tu n'as fait ta rhétorique
    Chez Satan, le rusé doyen,
    Jette ! tu n'y comprendrais rien,
    Ou tu me croirais hystérique.

    Mais si, sans se laisser charmer,
    Ton oeil sait plonger dans les gouffres,
    Lis-moi, pour apprendre m'aimer ;

    Ame curieuse qui souffres
    Et vas cherchant ton paradis,
    Plains-moi !... Sinon, je te maudis !"

  • Sébastien, écrire que Baudelaire s'intéressait à la photographie m'apparaît plus que partial quand on lit sous sa plume: "l'industrie photographique était le refuge de tous les pientres manqués, trop mal doués ou trop paresseux (....) S'il est permis à la photographie de suppléer l'art dans quelques-unes de ses fonctions, elle l'aura bientôt sipplanté ou corrompu tout à fait (.....).

  • Baudelaire était l'ami du photographe Nadar, à propos de qui il écrit :

    « Nadar, c'est la plus étonnante expression de vitalité. Adrien me disait que son frère Félix avait tous les viscères en double. J'ai été jaloux de lui à le voir si bien réussir dans toute ce qui n'est pas l'abstrait. » (Mon coeur mis à nu)

    D'ailleurs, on possède plusieurs portraits de lui par ce célèbre photographe, preuve que le poète ne dénigrait pas systématiquement la photographie.

  • Nadar était par ailleurs un bon caricaturiste, ami de Veuillot également. Et les réflexions de Baudelaire sur la photographie et le progrès technique plus généralement ne sont pas systématiques, en effet.

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