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L'indulgence de Baudelaire

En préambule à ses "contemplations" de morceaux de Delacroix, Ingres, Chassériau, Guys, Daumier, Decamps, Catlin, Vernet, Chenavard... pour s'en tenir à des "illuminations" de Baudelaire, celui-ci tient à dire tout le mal qu'il pense de "la science barbouillée d'encre" des philosophes et des professeurs, tout le mal que le verbiage critique fait à la peinture.

Baudelaire ne manque pas non plus d'égratigner au passage Diderot, son fameux prédécesseur, inaugurant le genre délicat, un siècle plus tôt, de la description des nouvelles peintures exposées au Salon de Paris pour L'Année littéraire, la revue de son "ami" Grimm : "Gribouillage" est le terme dont se servait un peu légèrement ce brave Diderot pour caractériser les eaux-fortes de Rembrandt".

Baudelaire aurait pu être plus cruel avec le philosophe, tant l'aveuglement de celui-ci est grand. Diderot n'hésite pas à transformer par ses conseils son ami Greuze en illustrateur, en graveur de mode républicaine, alors que les dessins de Greuze donnent la mesure d'un talent plus rare. L'"universalisme" de Diderot consiste souvent à porter des jugements péremptoires dans tous les domaines, y compris ceux qu'il a à peine explorés et dont il ignore tout. En celà il préfigure le journaliste moderne ou le citoyen du monde casanier. 

Je touve donc somme toute Baudelaire assez indulgent avec Diderot. Sa réserve s'explique peut-être par le fait qu'il entrevoit l'avènement d'une race de critiques incommensurablement plus mesquins que Diderot. En effet que lorsque Diderot laisse enfin parler son coeur, il est capable d'appréciations sensibles. Y compris dans le domaine artistique, lorsqu'il fait part de son enthousiasme pour les marines de Joseph Vernet, en dehors des schémas de pensée moraux du philosophe.

Moi-même, j'ai un peu de sympathie pour ce brave Diderot, parce qu'il n'est pas entièrement philosophe. Il a parfois des élans de sincérité qui sont touchants.

Commentaires

  • Sa réserve s'explique sûrement par le fait qu'il semble vouer une sincère admiration pour Diderot, son oeuvre ("Diderot, Goethe, Shakespeare, autant de producteurs, autant d'admirables critiques.") et que celle-là ne saurait fléchir à cause d'une divergence ou d'une maladresse.

  • Attention, Diderot n'a pas fait que de la critique de peinture, mais aussi de la critique littéraire ! Il faudrait que vous précisiez de quand date cette citation de Baudelaire. A ma connaissance elle ne fait pas partie de ce qui a été regroupé sous le titre d'"Ecrits sur l'art".

    En outre, Baudelaire fut d'abord un critique, qui eut à subir la rengaine habituelle qui veut opposer les "créateurs" aux "critiques". Contre cette rengaine il est vain d'argumenter, alors Baudelaire appelle Shakespeare, Goethe et Diderot à la rescousse.
    Mais Baudelaire porte un jugement globalement sévère sur le Diderot critique d'art imbu de systèmes, je complète ma citation : "(...) légèreté digne d'un moraliste qui veut disserter d'une chose tout autre que la morale."

    Que Baudelaire ait tiré un certain profit de la lecture des "Salons" de Diderot, je ne dis pas le contraire, Paratext.

  • Citation de "Curiosités esthétiques ; L'art romantique et autres oeuvres critiques" (textes établis par Henri Lemaître), téléchargé sur Gallica.

    Diderot a aussi fait de la critique musicale, laquelle est aussi manifestement appréciée par Baudelaire ("N'en déplaise à M. Fétis, qui veut absolument établir pour l'éternité la prédominance de la musique dans le drame lyrique, l'opinion d'esprits tels que Gluck, Diderot, Voltaire et Goethe n'est pas à dédaigner.").

    Le jugement global que pourrait porter Baudelaire sur Diderot apparaitrait finalement comme enthousiaste, tant pour l'auteur que pour le critique (hormis la réserve amusée à l'endroit de ce "gribouillage").

    Et le contraste avec "une race de critiques incommensurablement plus mesquins" n'y est peut-être pas pour rien.

    Bien à vous, Lapinos.

  • Soyez plus précis, "Curiosités esthétiques" est un titre générique donné "a posteriori" à un regroupement de textes écrits à des dates différentes. Est-ce dans l'appendice ? Pour ma part je ne relève que trois remarques ironiques de Baudelaire sur Diderot. (Diderot a fait de la critique théâtrale sur laquelle on pourrait ironiser également.)

  • Non, il ne s'agit pas de l'appendice.
    Dans le groupement de textes indiqué (qui commence par I. Salon de 1845 et se termine par XVIII. Les Misérables par Victor Hugo), la citation figure dans le paragraphe XV. Richard Wagner et Tannhäuser à Paris, dans la 2ème sous-partie.

    Pour une vue plus large :
    "Les gens qui reprochent au musicien Wagner d'avoir écrit des livres sur la philosophie de son art et qui en tirent le soupçon que sa musique n'est pas un produit naturel, spontané, devraient nier également que Vinci, Hogarth, Reynolds, aient pu faire de bonnes peintures, simplement parce qu'ils ont déduit et analysé les principes de leur art. Qui parle mieux de la peinture que notre grand Delacroix? Diderot, Goethe, Shakespeare, autant de producteurs, autant d'admirables critiques. La poésie a existé, s'est affirmée la première, et elle a engendré l'étude des règles. Telle est l'histoire incontestée du travail humain. Or, comme chacun est le diminutif de tout le monde, comme l'histoire d'un cerveau individuel représente en petit l'histoire du cerveau universel, il serait juste et naturel de supposer (à défaut des preuves qui existent) que l'élaboration des pensées de Wagner a été analogue au travail de l'humanité."

  • Ah, je comprends mieux maintenant pourquoi je ne retrouvais pas cette citation de Baudelaire. Elle n'était pas dans mon édition des "Ecrits sur l'art". Et pour cause, celle-ci regroupe les textes de Baudelaire sur les arts plastiques.

    Votre citation, Paratext, est extraite d'un chapitre assez long, l'"Art romantique", où Baudelaire laisse justement de côté la peinture pour aborder la littérature et la musique, celle de Wagner en particulier ("Richard Wagner et Tannhaüser à Paris"). Il ne faut pas tout mélanger !

  • Mes plus humbles excuses pour ce mélange de sources, Lapinos, mais il n'en demeure pas moins que Baudelaire est de manière générale moins sévère avec Diderot que vous ne l'êtes vous-même dans votre note.

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