Pendant ma retraite chez les moines, j’ai eu le temps de recopier une page de Louis Veuillot dans la bibliothèque. Veuillot (1813-1883), c’était le directeur de L’Univers, l’ennemi juré de Victor Hugo, pour ceux qui ont quelques notions d’histoire du XIXe. Mais n’importe, c’est une page où Veuillot raconte comment il s’est marié.
J’ai un peu hésité avant de le recopier cette fois-ci sur mon blogue, vu que c’est un peu long, mais je trouve ce récit exemplaire. On est très loin des sermons actuels des psys et des curés sur la communication dans le couple. Tant mieux, car s’il y a bien un truc qui me dégoûte, c’est le “glamour catholique”, comme je le répète souvent à ma cousine Sophie qui fait bien sûr semblant de pas piger ce que je veux dire et qui écarquille les yeux.
« Je me suis marié à trente-deux ans, un peu par hasard, comme tout le monde. Deux abbés, dont l’un connaissait ma future et un peu moi, l’autre moi et un peu ma future, avaient arrangé cela avec les parents de Mathilde Murcier, très petits bourgeois de Versailles, fort simples chrétiens. Ils me dirent que ce mariage me convenait, je me laissais faire. Dans le fond, il me convenait fort, mais eux, ni moi, ni elle, n’en savaient rien. C’est l’ordinaire.
La jeune fille, âgée de vingt et un ans, n’était ni riche, ni laide, ni sotte, ni mal élevée. Rien de marquant. Elle avait de l’esprit, mais je n’en savais rien. On ne le sait jamais. Il était simplement visible qu’elle avait des habitudes de piété et une grande modestie. Mais qu’est-ce que cela devient ? Rien ne me fixait là-dessus. On lui donnait quarante mille francs ; j’avais six mille francs d’appointements et un millier de francs de dettes, ce n’était pas de quoi vivre. Son nom de Mathilde ne me plaisait pas. Je n’étais nullement pressé d’aucun côté. Néanmoins, je bâclai l’affaire pour en finir. J’avais alors dans la tête qu’il fallait se marier à trente-deux ans et toutes mes réflexions me démontraient qu’on se marie sans savoir ce qu’on fait, et que le plus sage était de s’en fier à la prière.
Au moment de conclure, il m’était venu, cependant, une inquiétude plus forte. La grand-mère, celle qui faisait la dot, vieille marchande enrichie, n’était décidément pas à mon gré. Elle était fière de son argent, commune, grognon ; elle trouvait que sa petite-fille se mésalliait, car enfin elle appartenait au commerce, et moi, je n’étais qu’un journaliste, profession non classée. Cela ne lui allait pas. Elle avait mille fois raison, mais je ne voulais pas qu’elle me le fît trop voir. Comme je ne manquais pas de faire aussi des réflexions assez brisantes, je pris l’occasion d’une parole un peu trop vive qui lui échappa de trop bon gré et je brisai.
M. Murcier vint chez moi le lendemain avec une figure triste et me dit que sa fille était désolée. Je lui dis qu’elle oublierait cela ; qu’elle n’avait pas eu le temps de me voir assez pour concevoir tant de chagrin, et qu’elle verrait bientôt qu’elle n’avait pas perdu grand-chose.
- Il ne s’agit pas de vous, me dit-il simplement ; c’est le linge.
- Comment, le linge ?
- Oui, le trousseau est acheté, marqué à votre nom. Les couturières de Versailles savent le mariage, tout le monde le sait : vous comprenez l’effet que produira la rupture ! Que dira-t-on ? Je fis un geste pour montrer que je n’y attachais point d’importance.
- Oui, reprit le bonhomme, cela vous importe peu à vous ; mais pour nous ce n’est pas la même chose, nous sommes désolés.
- Eh bien, lui dis-je, si Mademoiselle votre fille y tient, nous ferons le mariage. Il m’importe beaucoup qu’elle n’ait point à souffrir à cause de moi. Seulement, je suis forcé d’exiger qu’elle se marie sans dot.
- Je ne vous comprends pas, dit-il.
- C’est votre belle-mère, dis-je, qui fournit la dot, et je ne veux rien recevoir d’elle qu’elle ne m’ait fait des excuses. Pour Mlle Mathilde, cela ne la regarde point. Elle pleure, allons tout de suite la consoler, et marions-nous.
« Nous allâmes sans désemparer à la gare de Versailles ; si le train n’avait pas dû partir immédiatement, peut-être que la réflexion serait survenue et aurait encore brouillé nos affaires ; car tout cela était bien précipité. Nous arrivâmes. Mathilde et sa mère étaient à déjeuner, nous entrâmes sans crier gare. Elle avait vraiment l’air fort affligé. Mais ma présence disait tout et dissipait toute crainte des couturières. Mathilde ne dit rien, mais en me voyant, elle me jeta un regard si reconnaissant et si content que je ne l’ai pas encore oublié. En ce moment-là, je fus délivré de ma plus grande et plus constante préoccupation depuis qu’il était question de mariage ; je me sentis amoureux (…) Le mariage eut lieu peu de jour après. »
Louis Veuillot
Chaque fois que j’entends au milieu des décombres un de ces raseurs d’évêques ou d’éditorialistes catholiques se gargariser avec la “doctrine sociale de l’Église”, je pense à Veuillot, à sa verve et à son franc-parler d’homme du peuple.
Commentaires
Ce passage me rappelle mes lectures de Tolstoi, alors là!!
J'ai pas mal lu Tolstoï quand j'étais lycéen, Gretel, mais je dois t'avouer que j'ai tout oublié. Je pense que c'est parce qu'une partie de ma concentration était captée par le fait de devoir retenir les noms des nombreux personnages que j'oubliais d'un chapitre à l'autre.
Après j'ai découvert les auteurs dramatiques russes et c'était beaucoup mieux pour ma petite tête.
Je pense que Gretel fait allusion à "La sonate à Kreutzer", cette nouvelle dans laquelle Tolstoï dénonce le mariage comme une imposture.
Tolstoi était aussi un traditionaliste, Lapinos, il etait très strict sur l'application de la morale et n'était pas contre les mariages arrangés, et méprisait soit disant l'amour..Sinon, j'avoue avoir un peu oublié, mais je donnerais cher pour relire "Anna Karénine" et "La sonate à kreutzer"
Un prêtre de mes amis rappelait plaisamment que l'on ne se marie pas parce que l'on s'aime, mais pour s'aimer. Allons, ne désespérez pas de l'Eglise, Lapinos...
Superbe... Vraiment ... Et dire que 150 ans après les mentalités n'ont guère évoluée... jE N ECONNAISSAIS PAS CE MONSIEUR MAIS QUEL GRAND MONSIEUR
:)
Si, 150 après, les mentalités ont évolué. On n'imagine plus guère un prêtre "arrangeant" de la sorte un mariage ni d'ailleurs deux jeunes gens et deux familles, catholiques ou pas, se mettant d'accord de cette façon. Tant mieux (je le dis avec une mentalité d'aujourd'hui...). Ce qui n'a pas changé, c'est le plus important : la promesse faite à ceux qui s'engagent devant et avec Dieu. Promesse que la fidélité est possible, qu'"avoir des sentiments" ou bien, un jour de déprime "ne pas trop le sentir" n'est pas le fin mot de l'histoire, qu'en ne se laissant pas seulement guider au fil de l'eau, on construit quelque chose qui est plus beau, plus précieux, plus épanouissant qu'une série de coups de tête, de tête à queue, de coups de queue. L'amour physique, l'amour tendre ne gâchent rien, mais ils ne sont pas tout, même s'ils sont plus glamour.
Au passage, j'aime beaucoup le concept de "glamour catholique".
Vous évoquez "la doctrine sociale de l’Église” : quel rapport avec votre billet ?
Et quand vous mariez-vous ? Car "une jeune fille, âgée de vingt et un ans, ni riche, ni laide, ni sotte, ni mal élevée. Rien de marquant. Qui a de l’esprit, mais on n'en sait rien. On ne le sait jamais." Il doit bien y en avoir dans votre milieu - "d’homme du peuple" ?
Oui, la doctrine sociale... Le mariage n'est pas un truc social, peut-être ? Depuis que l'Eglise a une doctrine sociale, on observe qu'elle n'est plus capable de façonner la société, c'est au contraire la société qui la façonne.
La prochaine fois essaye une retraite chez les rabbins ...
Allusion au fait que les communautés de "juifs orthodoxes" ont su, elles, rester traditionnelles et résister au glamour hollywoodien ? C'est vrai que les mariages se font seulement entre juifs dans ces communautés et que les familles ont leur mot à dire, plutôt deux fois qu'une. D'où une plus grande stabilité, sans doute.
Tandis que le clergé catholique est imbu de casuistique et en a perdu le sens de la réalité. Si on pousse la casuistique jusqu'au bout, l'influence de la famille serait même à éviter, pour que le "consentement" ne soit pas faussé et soit parfaitement libre ! C'est complètement absurde.
La vérité, c'est que le clergé a tellement la trouille qu'on lui reproche de se mêler de la réalité sociale, reproche que l'on fait aux imams, qu'il se réfugie dans les sermons métaphysique et n'en sort presque plus. Sa seule incursion dans le monde réel, c'est pour dire à ses ouailles de ne pas voter pour Le Pen. Mais même est-on vraiment là dans le monde réel ?
Les transformations de la propriété, du travail, de l'entreprise, l'urbanisation, l'accroissement des revenus des Français, tout ces changements profonds qui ont des répercussions sur les institutions sociales, l'Eglise se contente de les entériner. Attention, je ne reproche pas au clergé français de ne pas s'adapter aux changements, je lui reproche au contraire de s'y adapter par principe. Ce ne sont pas les catholiques français qui vont convertir le reste de la société, la société les a déjà convertis en consommateurs normaux avec la bénédiction de leurs prêtres.
Aux isolés ignorants, c'est-à-dire aux païens, l'Eglise de Scientologie propose de servir de tuteur ; aux jeunes Français qui veulent épouser une beurette, l'islam impose d'adhérer à la communauté musulmane du cru. L'Eglise catholique, elle, ne propose guère autre chose que des sermons.
Mais il ne faut jamais désespérer : il paraît que l'Eglise catholique se porte beaucoup mieux en Amérique du Sud.
"les familles ont leur mot à dire, plutôt deux fois qu'une. D'où une plus grande stabilité, sans doute. " Pourquoi ?
"l'influence de la famille serait même à éviter, pour que le "consentement" ne soit pas faussé et soit parfaitement libre ! C'est complètement absurde." Pourquoi ?
Il va de soi que les mariages d'amour sont beaucoup plus fragiles que les mariage dits "d'intérêt." Là où les intérêts subsistent, l'amour, étant ce qu'il est, ne fait que passer....c'est d'ailleurs une des explications données quant à la multiplication des divorces.
Un autre facteur de divorce est l'existence du divorce lui-même. Avant la loi du 20 septembre 1792, les gens ne divorçaient tout simplement pas. Ils pouvaient vivre séparés mais officiellement ils étaient toujours mariés. D'ailleurs l'Église ne reconnaît pas le divorce, sachant que les époux jurent d'être fidèles devant Dieu.
Vous avez raison, Tlön, mais je crois que nous ne parlons pas de la même chose. L'attirance physique et même les "sentiments", étant ce qu'ils sont, ne font, en effet, que passer. Au mieux, dans un couple fidèle, ils vont et viennent. Mais la promesse dont je parlais plus haut c'est au contraire celle d'un amour qui "prend patience", les jours où tout cela ne semble plus si évident et qui, du coup, "ne passera jamais". Evidemment, cette parole peut sembler terriblement racoleuse. Mais ce n'est pas sous la plume du représentant de la conférence des evêques de France qu'elle a jailli...
Comme la Foi, l'amour entre époux semble évident, certains jours et certains jours, s'apparente plus à une course d'endurance. Ce qui est promis, encore une fois, c'est que cette course en vaut la peine, qu'elle rend vraiment la vie plus belle.
Dans ce contexte, il importe surtout que les époux soient résolus à ne pas céder, à rester fidèles à leur promesse, à se remettre à Dieu, les jours où ils auraient envie de tout plaquer. Voilà pourquoi je comprends mal comment une décision arrêtée par la seule famille rendrait un couple plus stable.
Je suis d'accord avec la première proposition de Sébastien, qui est réaliste. Lorsque quelque chose est interdit, beaucoup moins de gens sont tentés de le faire. Il y a là un changement de la réalité sociale, l'autorisation de divorcer, que l'Eglise n'a pas vraiment pris en compte.
Quant à la réponse de CNPUP à Tlön, elle correspond à peu près au discours du clergé auquel je m'en prenais, détaché des réalités sociales, historiques, biologiques et je dirais même presque évangéliques. C'est un discours qui ne tient pas compte de l'utilité du mariage pour la société, des raisons qui ont conduit l'Église à donner un statut juridique et sacramentel à une institution existant déjà, de ce que l'amour entre époux commence par le coït, que nulle part dans les Évangiles il n'est fait mention de cet amour exceptionnel, en quelque sorte, c'est plutôt l'amour du prochain qui est mis en avant, ou de ses ennemis. En dehors du conseil de recourir à la prière contre lequel évidemment je n'ai rien à dire, je trouve que le discours ci-dessus est essentiellement idéologique, c'est-à-dire qu'il n'est pas rattaché à grand-chose. La faillite définitive de l'institution me paraît inévitable avec un tel discours. D'ailleurs les homosexuels les plus naïfs (la plupart font semblant) ne comprennent pas pourquoi ils ne pourraient pas reprendre ce discours à leur compte, pourquoi ils ne pourraient pas eux aussi se fondre dans ce glamour catholique. Et je comprends qu'ils ne comprennent pas.
Remarquez-le, Lapinos, formellement, rien de ce que j'ai dit à Tlön ne rend une implication préalable des fiancés, à l'exclusion de leur entourage, vraiment indispensable. Rien, si ce n'est justement ce que vous m'accordez : personne ne peut, à la place des futurs époux, prendre la ferme résolution de tenir bon et prier plutôt que de laisser tomber et "refaire sa vie" en cas de coup dur.
C'est là que votre point de vue m'échappe. Je comprends bien comment une décision prise par des tiers pourrait s'accompagner de l'absence de cette résolution chez les époux, donc conduire à une moins grande stabilité -d'autant plus que la société renvoie un modèle dans lequel divorcer est possible et même acceptable- mais pas du tout comment elle apporterait une plus grande stabilité.
J'aimerais vraiment que vous m'éclairiez. Votre point de vue m'interpelle, il m'intéresse, mais je n'arrive pas à saisir ce que vous voulez dire, au juste. Si vous voulez m'aider, vous pouvez aussi m'en dire plus sur ce que vous mettez derrière l'utilité sociale du mariage, remédier à ma piteuse ignorance concernant les raisons qui ont conduit l'Eglise à donner un statut juridique et sacramentel à une institution qui existait déjà et aussi me dire si dans l'affirmation "l'amour entre époux commence par le coït", vous entendez réellement "COMMENCE par", ou plutôt "passe par", "se fortifie dans", etc.
Merci d'avance !
Je crois que si vous ne me comprenez pas c'est justement parce que vous ne vous posez pas la question du mariage au sens historique et social. Or cette question est décisive s'agissant d'une institution éminemment sociale. Je vais plus loin, dans votre discours le sexe disparaît, je crois que c'est la raison pour laquelle un homosexuel aujourd'hui peut revendiquer sincèrement le mariage, alors qu'il y a ne serait-ce qu'un demi-siècle cette revendication aurait parue absurde au plus abstrait des ratiocineurs kantien.
Je crois que l'Eglise a sa part de responsabilité dans cet accroissement du territoire de la bêtise. Dans leurs "sermons de mariage" les curés ne cessent de parler du "couple", ils se gargarisent avec ce mot, et sans doute les jeunes mariés ont-ils plaisir à l'entendre. Les Évangiles, eux, parlent de la famille.
Quand je dis que le mariage commence avec le coït, c'est qu'historiquement en effet cette institution a été créée pour donner de la stabilité à des familles qui existaient de fait : un homme, une femme, un coït, un premier enfant. On en est pas arrivé d'un seul coup à toutes ces subtilités juridiques du code de droit canonique qui peuvent prêter à sourire et qui font le bonheur des avocats !
Le mariage chrétien, c'est un peu la christianisation d'un monument païen, si vous préférez.
Il y a un moment où on bascule dans l'idéologie, c'est lorsqu'on fait du mariage un engagement pur, quelque chose qui s'apparente presque à un acte de charité gratuit. Tenez, on vilipende volontiers les mariages "par intérêt" d'autrefois, en les caricaturant. Je crois que les mariages se font toujours par intérêt aujourd'hui, simplement ces intérêts sont moins bien compris, plus subjectifs, mais les mariages de riches héritières avec des éboueurs sont somme toute assez rares. Le mariage est trop lié à la vie sociale pour qu'il puisse être totalement désintéressé et l'hypocrisie actuelle touchant à ces intérêts me paraît pire. On assiste la plupart du temps à des mariages déguisés en mariage d'amour mais qui n'en sont pas plus qu'autrefois.
Tout se passe donc comme si l'Eglise de France qui conseille, ordonne aux "couples" de se marier, qui les marie mal puisque la plupart des mariages ne sont pas valides, leur dispensant tout au plus quelques petits discours sentimentaux, exigeait là de ses fidèles une sorte de résistance sociale, par la famille, aux mœurs de la société contemporaines, alors que cette Église elle-même, sa hiérarchie, s'incline devant tous les changements sociaux.
Voilà, c'est ça que je veux dire, vous voyez, ça me fait fortement penser à un État-major qui envoie ses troupes au front en les dotant de balles à blanc et qui signe la reddition par derrière.
Intéressant. Très. Je médite et je reviens...
C'est dommage que le mariage perd de plus en plus sa sacralité..surtout en Europe
" Aux isolés ignorants, c'est-à-dire aux païens, l'Eglise de Scientologie propose de servir de tuteur "
Frère Lapin , je suis bien souvent d'accord avec écrits.
Mgr Veuillot est un trés bel exemple d'homme du sacré. (Il était digne d'être dans la longue filiation de nos vieux druides, hommes savants, altruistes et désinterèssés. )
II est toute fois quelques légère divergences, avec vous:
Les paîens que je fréquente, ne sont ni isolés, ni ignorants, bien au contraire..!
Issus des grottes aux peintures rupestres, des Pierres levées, des sanctuaires Gaulois, aux temples Grecs, passants par nos églises romanes, et aboutissant à nos cathédrales solaires.
Ils n'ont que bien peu de rapport avec la Scientologie.
Les Paganismes qui renaissent aujourd'hui sont les ancêtres de toutes religions
Le Paganisme
Une vision du monde
Bienvenue sur les terres des dieux immortels… Ni christianisme, ni satanisme, ni religion alternative, le paganisme occupe les esprits depuis bien plus de deux mille ans. Difficile de gloser et de disserter sur un tel sujet alors que ce qui est communément appelé le paganisme est quelque chose qui se vit, se sent et se ressent plus qu’il ne se décrit, s’analyse ou se pense. Délicat, donc, mais pas impossible, et surtout nécessaire tant sur ce thème les confusions sont grandes, multiples, diverses et surtout néfastes.
Les origines
Commençons par définir le paganisme. Sans nous lancer dans une étude complexe et exhaustive qui renverrait aux travaux constitutifs de l’histoire des religions (et dont Mircea Eliade demeure la référence) nous appellerons paganisme l’ensemble des religions prébibliques et la vision du monde qui en découle.
Le paganisme est donc bien plus que ce folklore, en son sens péjoratif, pittoresque et cocasse, que veulent nous présenter ses détracteurs, ceux-là même qui voudraient le réduire à ses seuls aspects exotériques pour mieux en évacuer les aspects ésotériques. Car si le terme même est issu du vocabulaire chrétien désignant dans leur ensemble les polythéistes, son sens a évolué jusqu’à devenir un terme revendicatif servant de principe fédérateur aux adeptes des traditions européennes, nord-américaines et asiatiques dans leur expression quotidienne. Plus encore, ce terme sert aujourd’hui de ralliement aux païens du monde entier, ces mêmes païens qui évidemment s’ignoraient quand le terme a été inventé.
Le paganisme et ses manifestations actuelles correspondent donc bien à une vision du monde, une grille d’analyse avec des points essentiels forts et saillants en opposition avec une vision du monde judéo-chrétienne, par exemple. Et par vision, il ne faut pas entendre une attitude passive mais bien aussi une façon de vivre et d’agir dans et sur le monde, éloignée des considérations contemplatives et extatiques de certaines religiosités taxées de nouvelles et alternatives. Le fait même, d’ailleurs, d’accepter ces deux termes montre une passivité et une acceptation du cadre de références des religions dominantes, c’est ainsi que l’expression " nouvelle spiritualité " voudrait présenter le paganisme comme quelque chose de nouveau, de récent et sans fondement ; et que celle de " religion alternative " suppose qu’il est choisi à la place du christianisme par dépit ou dans le cadre d’une crise d’adolescence. Autant de termes qui semblent vouloir masquer sa véritable nature…
Car l’une des principales difficultés à cerner l’essence du paganisme est bien la confusion qui règne autour de ce terme et de sa réalité. En effet, si la religion des peuples préchrétiens pour l’Europe est un tant soit peu connue, force est d’avouer que celle-ci, en tant que pratique religieuse et ensemble constitué de rites accomplis par des officiants identifiés, n’a pas survécu aux bras armés de l’Église.
Ce qu’il nous reste en Europe ? Assez peu de choses en fait, quelques textes et des survivances populaires sous forme de fêtes (Noël, Halloween, Saint-Jean) ou de superstitions (c’est-à-dire d’actions rituelles répétées sans en connaître le sens).
L'éternité
Comme nous le soulignions, le paganisme n’est pas qu’une religion du passé et son essence même fait de lui une religion éternelle. C’est ainsi qu’au vu des éléments cités précédemment, textes païens et études historiques, sociologiques, théologiques et psychologiques actuelles, nous pouvons établir que le paganisme se distingue par la conception du monde qu’il prône et de la place de l’homme en son sein.
Le paganisme perçoit le monde comme un ensemble organique ; il perçoit le monde comme une entité unique soumise à des cycles de vie, de mort et de renaissance. Il s’oppose en cela aux religions dites du Livre qui ne conçoivent l’histoire que comme un déroulé linéaire avec un commencement, la Genèse, et une fin, l’Apocalypse, pour ensuite ne laisser place qu’à une sorte d’état de grâce béate, inactive et morte en quelque sorte. Le paganisme, parce qu’il est lié à la nature, se vit au rythme de cette dernière, c’est-à-dire des saisons qui incarnent tour à tour la renaissance, la jeunesse, la maturité et la vieillesse ; la mort n’étant qu’une étape dans ce qui est un perpétuel recommencement, dans un grand mouvement éternel, à l’image des cycles védiques, les Yugas.
Car le paganisme inscrit l’homme dans l’éternité en l’incorporant, en l’intégrant totalement dans un cycle qui jamais ne cesse. Et, encore une fois, s’oppose aux religions qui voudraient que l’homme fût doté d’un destin extra ou surnaturel qui se réaliserait à partir d’un événement clé comme l’Apocalypse. L’homme païen est éternel car il est un élément indissociable d’un ensemble, la Nature, qui elle aussi est éternelle et sans cesse régénérée.
L'instant
Mais si le paganisme est une religion éternelle, il n’en oublie pas pour autant le présent, l’instant. Parce qu’il place l’homme en tant que sujet d’un cycle plus global, il le libère de contraintes liées à une éventuelle délivrance, un éventuel pardon à venir. Ce point est essentiel pour la compréhension du paganisme et de son expression artistique, car il donne les éléments d’analyse de ce que nous pourrions appeler l’action païenne. Parce que l’homme est soumis à des forces supérieures, parce qu’il est régi en ce qui concerne son avenir, il peut se concentrer sur ce qu’il vit au présent et sur l’instant.
Le paganisme, c’est sentir et ressentir, c’est jouir, jouir ici et maintenant et non pas se contraindre, s’astreindre en vue d’une rémission de péchés supposés. C’est ainsi que nombre d’artistes d’inspiration païenne, ou " paganisante ", exaltent l’amour tant spirituel que physique, exaltent le corps voire le célèbre : le peintre Fidus par exemple, ou encore les textes d’Ordo Equitum Solis et de Sol Invictus. Ils exaltent tous les sentiments car le fait même que ces derniers soient ressentis leur donne une validité et une authenticité en tant qu’expression de la nature humaine ; éloignant alors les notions de culpabilité et de honte ou de remord, et surtout de bien et de mal.
L'homme
De la même façon, le païen ne court pas après les chimères que sont les fameuses questions dites existentielles de l’humanité: " Qui sommes nous ? d’où venons-nous ? où allons-nous ? ". Car si le paganisme s’oppose à une conception moralisatrice et culpabilisante de l’homme, il est tout autant étranger à une vision du monde centrée sur l’homme et sa faculté de dominer son environnement. La weltanschaung païenne voit l’homme comme soumis aux cycles naturels, tous comme les dieux d’ailleurs, mais cette soumission ne doit pas être perçue comme une servilité docile mais bien comme une capacité à intégrer ce qui est. À l’inverse de l’homme qui se pense maître de tout par sa science et sa raison, le païen sait qu’il est agi autant qu’acteur. Et que son équilibre et sa liberté d’action viennent de sa conscience d’agir dans le cadre d’un environnement naturel, de lois supérieures à celles des hommes, de la science et de la rationalité souvent limitées de ces derniers car incapables d’expliquer les forces motrices du païen : l’amour, la haine, l’envie au sens de volonté…
C’est ici que nous retrouvons l’expression la plus connue du paganisme conscient ou non, qui replace l’homme dans son contexte naturel, la Nature. La Nature, sous toutes ses formes, à la fois dionysiaque, tellurique, " appolonienne " et solaire, est bien la principale représentation du paganisme car elle en symbolise la conception du temps cyclique et régénérant.
" L'eternel retour "
D'abord je corrige une petite erreur bien excusable de la part d'un païen. Vous confondez Louis Veuillot, le journaliste que je cite, et Mgr Pierre Veuillot, son arrière petit-neveu je crois.
Désolé de vous le dire ainsi, mais votre paganisme, plutôt naïf, m'évoque les sornettes de Rousseau sur le bon sauvage.
Copain Lapin, (je partagerais volontiers le pain avec vous )
Je ne retire rien de ce que j'ai dit pour ce Louis Veuillot là. Il me plaît bien aussi, il est honnête, il parait franc et semble bien lucide.
La naïveté est quelques fois porteuse de pureté et de beauté, elle a souvent soulevée des montagnes...!
Les sornettes d'un Rousseau, très doué mais, tricheur, cynique et intéressé ne me concernent pas. Etant profondément Nietszchéen, le mythe du " bon sauvage " m' hilare.
Être paîen c'est être particulièrement sensible à l'enchantement du monde. A ses cycles solsticiaux et équinoxiaux.
Les fêtes chrétiennes correspondent d'ailleurs actuellement toujours aux vieux cycles païens imposés par Lune et Soleil
Être paîen c'est avoir des rapports équitables avec la terre, et la vie
Un authentique paîen ne cherche jamais à dominer ou dégrader la nature, il doit être un poète de la vie, la remerciant pour son apport
Il n'y a pas cette haine de la vie terrestre et de ses plaisirs que l'on retrouve chez tous les monothéistes venant du désert.
Knut Hamsun, Christiane Singer, Henri Vincenot, Christopher Gérard., Saint John Perse et bien d' autres sont écrivains de l'enracinement, et de la plus longue mémoire.
Être paîen, c'est être cultivé, passionné de culture et d'histoire, connaître sa lointaine lignée, c'est développer sa sensibilité, sa perception du monde, et la faire partager.
C'est le contraire d'être idolâtre abrutis et incultes
Les vieux Celtes disaient que l'on est ce que l'on mange:
On mange avec les yeux des images, on mange avec les oreilles des musiques, on mange avec le nez des odeurs, on mange avec la bouche des aliments
Il faut se battre en permanence pour ne manger que de bonnes choses...!
Bien sûr pour les bons pères, cette très, très ancienne présence païenne encore vivace, est insupportable. Je les comprends (quelle concurrence )
Et pourtant, Lundi est toujours le jour de la Lune, Mardi celui de Mars, Mercredi , de Mercure, Jeudi , de Jupiter, Vendredi, de Vénus, Samedi, de Saturne, et Dimanche, Sol Dies, celui du Soleil ...
Je suis un païen bâtisseur de cathédrales, je suis prêt à me faire hacher menu pour les défendre, ainsi que nos belles églises romanes
J'aime les croyants, la spiritualité est une petite flamme qui ne doit pas s'éteindre.
( vous avez décidément raison, comme je suis naïf ..)
Aujourd'hui je part assister à l'incinération d'un de mes vieux compagnon défunt, il tenait à ce que la cérémonie de son enterrement soit une belle fête païenne pour son retour au soleil.
Nous prierons et chanterons pour lui, et ferons cette belle fête, comme un cadeau d'amitié. Chez les païens, la naissance et la mort sont les deux fêtes des grands passages.
Et pourtant nous sommes du même terroir et terrier, cher Lapinos
Lisez de Alain de Benoist: Comment peut-on être païen ?
Le songe d'Empédocle de Christopher Gérard.
Le renouveau païen dans la pensée française de Jacques Marlaud
Je ne souhaite pas être trop lourd et importun sur ce sujet du paganisme européen.
Mais pour ceux qui sont intérêssés, ils peuvent se faire un début d'opinion sur:
http://nouvelleculture.hautetfort.com/entretiens_adeb/