Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Pas comme au cinéma

Quand je retrouve chez un auteur les mêmes préoccupations que j'ai, bien sûr, la coïncidence me fait sourire. Mais ce que j'attends vraiment d'un bouquin, c'est plutôt qu'il me botte les fesses. Combien de bouquins comme ça dans ma vie m'ont décillé, ont modifié le cours de ma trajectoire jusqu'ici ? Quinze ? Dix ? Peut-être moins. Quand je fais la liste mentalement, il y a de tout, des stars et des sans-grades, même une ou deux bande-dessinées…

Une des premières fois, il s'agissait d'un récit de guerre. J'avais dix-sept balais, si je me souviens bien. Pourtant, au cinoche, je détestais les films de guerre. De Gaulle a dit que si les films d'amour sont plutôt mieux que la réalité (il parlait pour lui et Yvonne), les films de guerre sont toujours très en-dessous de la vérité (j'adhère volontiers à ce propos bien que n'ayant participé à aucune guerre, mais De Gaulle n'a pas beaucoup guerroyé pour dire ça non plus.) - ou alors faut être malin comme Schöndorfer et faire un film de guerre sans montrer la guerre.

Le récit était poignant. L'auteur, Guy Sajer, écrit dans un style fruste, son histoire d'engagé volontaire à dix-huit ans dans la Wehrmacht. L'intérêt tient à sa manière précise et modeste de raconter des événements qui l'ont marqué définitivement. Au fait qu'il soit Français, aussi, de mère allemande, engagé avant le déclenchement des hostilités, sans préjugés politiques. Il voulait juste faire un métier au grand air… Quand la France entre en guerre, il doit avoir dix-neuf ans, il ne pige même pas qu'elle soit dans le cas adverse. Ses "Kameraden" ont pitié de lui.
Il y a des scènes en Russie atroces, lorsque l'urine des mecs qui pisse gèle en quelques secondes et leur arrache les couilles. Lorsqu'à la fin, battus par les Russes, les troupes allemandes se débandent, qu'il faut gratter le sol pour bouffer, que la dysenterie les ronge et qu'ils se chient dessus, dans un décors dantesque, on tremble d'effroi.

Sans doute le fait d'avoir le même âge que le narrateur a dû jouer un peu dans ma fascination. Il y a même des scènes d'amour tristes, au cours d'une permission, je crois que ça se passe à Berlin, avec une jeune Berlinoise rencontrée comme ça, je ne sais plus exactement comment… Ça fait plus de dix ans que j'ai lu ce bouquin et je me rappelle encore qu'ils sont allongés dans l'herbe côte à côte, sur un monticule un peu à l'écart de la ville, une parenthèse dans cette guerre monstrueuse, quand un bombardement les oblige à aller se planquer tous les deux.

C'est assez long, quatre-cent ou cinq-cent pages, je les ai lues d'une traite, en deux ou trois nuits. Après, j'ai su que ce qu'on m'apprenait au lycée n'avait pas grand-chose à voir avec ce qui s'était vraiment passé. Que les Allemands aussi avaient un âme, ce qui est assez logique quand on y pense.

Ce bouquin, Le Soldat oublié, a eu un certain succès lorsqu'il est paru, vers 1965. Il y a même eu plusieurs éditions de poche ensuite, dont la mienne. Aujourd'hui, c'est un titre plus ou moins tabou, même si on doit pouvoir le commander à la Fnac. On peut presque tout commander à la Fnac.

Commentaires

  • Et l’auteur de ce livre hors du commun est en outre un excellent dessinateur de BD ! Bojemoï de bojemoï !

  • Ce n'est pas étonnant qu'il sente le souffre ce superbe livre.

    Il y a un passage, je cite de mémoire, moi aussi je l'ai lu il y a longtemps: "Ceux qui vendaient des nègres aux blancs se sont apperçu qu'il était encore plus rentable de vendre les blancs aux nègres". Un petit passage où Hitler était comparé à un chef d'orchestre prodige étranglé par un public de bourgeois effrayés, et bientôt remplacé par un autre noir ou jaune, mais ce coup-ci personne ne comprendrait la musique...

    Il en faut moins pour faire d'un livre un abominable pamphlet nazi.
    Ah, si Saejer avait eu le bon goût de s'enfoncer des trucs dans le cul, il aurait fini à l'Académie...

  • Oui, sauf qu'avec cette manière de citer le bouquin, on peut faire passer Littell pour un horrible néo-nazi. Lanzmann fait la même chose avec Spielberg, il isole des séquences de ses films.

  • Guy Sajer, c'est le dessinateur de la BD *Le Goulag*, sous le pseudonyme de Dimitri ? Je comprends que vous appréciez, lapin.

  • Eh ! Mais c'est que t'écris bien toi quand tu veux, hein !

  • Dans le même genre je conseille vivement "Le soldat traqué" de Christian Malbosse.

  • Bof, j'aime pas trop cette bédé sur le goulag, Sébastien. Je préfère Sajer comme scénariste de Jijé ou son crocodile "Prémolaire", sous le pseudo de Mouminoux, que je lisais quand j'étais môme. Mais ça n'a rien à voir avec son récit de la guerre sur le front de l'Est.

  • "j'adhère volontiers à ce propos bien que n'ayant participé à aucune guerre, mais De Gaulle n'a pas beaucoup guerroyé pour dire ça non plus."

    "Lieutenant au début de la Première Guerre mondiale, il est ensuite nommé capitaine en janvier 1915. Blessé dès son premier combat à Dinant le 15 août 1914, il rejoint le 33e RI sur le front de Champagne pour commander la 7e compagnie. Il est à nouveau blessé le 10 mars 1915 à la main gauche, sur la Somme. Décidé à en découdre, il désobéit à ses supérieurs en ordonnant de tirer sur les tranchées ennemies. Cet acte lui vaut d'être relevé huit jours de ses fonctions. Officier tatillon, volontiers cassant, son intelligence et son courage face au feu le distinguent au point que le commandant du 33e RI lui offre d'être son adjoint.
    Le 2 mars 1916, son régiment est attaqué et presque détruit par l'ennemi en défendant le village de Douaumont, près de Verdun. Sa compagnie est anéantie au cours de ce combat et les survivants sont encerclés. Il tente alors une percée, mais il est blessé d'un coup de baïonnette à la cuisse. Pris par les troupes allemandes, il est soigné et interné.
    [...]
    Il gardera toutefois de la Grande Guerre une élévation à la dignité de chevalier de la Légion d'honneur, le 23 juillet 1919."

    Pour l'honneur du grand Charles !

  • Euh ! Le détail est un peu plus compliqué, il a été déclaré mort pour la Patrie sur le champ d'honneur du coup Pétain a écrit une citation mirifique sur lui ! et évidemment après la guerre cette citation qui devenait absurde puisqu'il était vivant lui a valu la L.H. Il faut savoir que Pétain a beaucoup protégé De Gaulle jusqu'à leur brouille pour une question de travail littéraire ... la vanité d'auteur de De Gaulle n'avait pas supporté que Pétain compte s'attribuer un de ses textes !

  • Et la liste de la dizaine de bouquins qui vous ont le plus impressionné, vous pourriez nous la donner par écrit, au lieu de vous la faire mentalement?

  • "Le soldat oublié" est effectivement très marquant et Sajer- Guy Mouminoux- Dimitri a rendu compte de cette époque dans sa BD "Kursk- tourmente d'acier". C'est un auteur de BD qui a des hauts et des bas mais avec un style graphique très puissant. Sur la même thématique, on peut lire de lui "Raspoutitsa" qui traite des prisonniers allemands en Russie.
    Dans les grands témoins de l'horreur, citons Eugenio Corti et son formidable "Cheval Rouge". Ce livre m'a fait un effet terrible.

  • De qui est la petite hagiographie ci-dessus de De Gaulle ? Je ne serais pas étonné qu'elle soit signée de la main d'un des poètes du gaullisme, Jean Lacouture par exemple (Le petit doigt sur Lacouture du pantalon du Général) ?

    Moi Eugenio Corti me laisse assez froid, de même que Soljénitsyne. Je préfère Sajer ou Virgil Gheorgiu, qui m'a fait faire des cauchemars ("La Vingt-cinquième heure").

    Ph, si je garde cette liste pour moi, c'est pas par égoïsme mais parce qu'elle est trop hétéroclite, s'y mélangent des bouquins qui m'ont marqué quand j'avais huit ans et des bouquins qui m'ont marqué hier. A huit ans par exemple, "Tintin chez les Soviets" m'a pas mal troublé.

  • J'avais envoyé une note donnant un bémol à M.O. mais elle n'est pas passée à cause des ces foutus codes ... en gros c'est Pétain qui a fait avoir la L.H a De Gaulle qui était passé pour mort sur le champ de bataille quand les allemands l'ont fait prisonnier et qui l'a beaucoup favorisé jusqu'à leur brouille définitive pour une question de prétention d'écrivain un peu avant 1930.

  • Oui, les gaullistes font preuve d'une ferveur religieuse pour leur grand homme qui n'a plus beaucoup d'équivalent depuis que les communistes ont arrêté avec Staline.

    Le meilleur poète du gaullisme, le moins ennuyeux, c'est De Gaulle lui-même. J'ignore quelle est la devise officielle de De Gaulle, mais « On ne sert jamais si bien que soi-même » lui va assez bien, je trouve.

  • bien d'accord
    c'est un livre inoubliable
    dans le meme genre- inoubliable- et traumatisant, "orages d'aciers" d'ernst Yunger: un témoignage hallucinant sur son experience de la guerre de 14 au front, comme jeune gradé faisant montre d'un courage physique inoui (je pese mes mots)

Les commentaires sont fermés.