Sans tambours ni trompettes
Si les journaux annoncent demain que Claude Allègre s'est converti au catholicisme, je ne serai pas plus étonné que ça… Il y a des signes. Des citations. Celle-ci par exemple, d'Henri Poincaré, le pionnier de la relativité, qu'Allègre affectionne particulièrement : « L'expérience est la source unique de la vérité ; elle seule peut nous apprendre quelque chose de nouveau ; elle seule peut nous donner la certitude. »
Chez certains hommes de science ou certains artistes se produit parfois un phénomène qu'on peut qualifier de "conversion froide". C'est un phénomène un peu difficile à expliquer à des "gentils", des "visages-pâles", mais je peux toujours essayer…
Pour schématiser, la pensée et l'imagination d'un homme de science sont en perpétuel mouvement impatient vers l'avant. Le philosophe est, à l'antipode, statique, centripète, fort peu dynamique, au point qu'on a parfois envie de lui botter le cul.
Ainsi, d'ajustement en ajustement, suivant une dialectique féconde qui ne remet pas tout en question à chaque étape mais serre la vérité d'un peu plus près à chaque coup, il arrive que la pensée de l'homme de science se retrouve un beau matin en harmonie avec le credo. La coïncidence ne lui saute pas aux yeux immédiatement, puisque l'accord s'est fait à la vitesse de sa respiration, sans heurt. Aussi peut-on parler de "conversion froide". Il n'y a pas de choc, de chute de cheval, de trompettes et de tambours, de chœurs angéliques. Ne reste plus après la conversion froide que la question des formalités.
C'est ce qui est arrivé à E. Waugh, par exemple, pour rester dans la filière des petits trapus. Et l'ecclésiastique avec qui W. prend rendez-vous pour se mettre en conformité avec son nouveau statut est étonné du flegme avec lequel Waugh pénètre dans l'Église catholique, comme un lord avec détachement dans son club favori pour y fumer un havane parfumé. Il n'y a pas lieu de s'agiter dans l'esprit de l'écrivain pour qui tout ça a déjà acquis progressivement une certaine familiarité. La conversion n'est pas dans ces cas-là un grand bond en avant comme une certaine imagerie d'Épinal se plaît à l'illustrer, mais un petit pas de plus en avant.
Bien sûr cette dernière marche est décisive, Allègre peut toujours subir une mauvaise influence au dernier moment et se détourner de sa petite étoile. Je ne dis pas qu'il ne lui reste pas encore à se débarrasser de quelques oripeaux démocratiques ou socialistes. Néanmoins, à qui aurait été en contact trop longtemps avec la philosophie, l'ésotérisme ou le poker, et voudrait changer de vie, on ne saurait trop conseiller la lecture positive de l'histoire de la science de Claude Allègre. C'est assez édifiant.