À côté de la production de petits romans rédigés par des avatars d'Anna Gavalda, destinés à satisfaire le marché des midinettes qui lisent la presse féminine, comme aucun mec ne veut lire ce genre de truc, il y a la production d'essais sérieux pour les cadres dynamiques de trente à cinquante piges. Les mecs aiment les trucs sérieux. Il y a ce côté-là dans le marketing de Johnatan Littell, un côté « Tout ce que vous voulez savoir sur la Choa et que vous n'osez pas demander à votre prof. ou à votre grand-père résistant », ou : Les Camps d'extermination pour les Nuls.
L'empilement d'essais politiques, économiques, philosophiques, est donc vertigineux. Mais si on pouvait passer toutes ces spéculations à la moulinette, puis à la passoire, combien d'idées originales resterait-il ? L'"UFC-Que Choisir" se contente de dénoncer les arnaques dans les paniers à provisions, les excédents de colorants, conservateurs et arômes artificiels divers dans les yahourts et les confitures, les étiquettes mensongères. Qui ne vit pas seulement de yahourts et de confitures peut s'en plaindre… Toute cette "littérature" est excessivement fadasse quand elle n'est pas toxique.
Prenons tout de même l'exemple, pris au hasard ou presque, de la thèse de Jacques Généreux. Généreux est prof à Sciences-po. et fabiusien. D'où le titre chiant et orgueilleux de sa thèse : La Dissociété. Bon, c'est toujours moins bénin que La Société du spectacle, comme slogan. Il n'y a plus que ce guignol de Sollers à se réclamer encore de Guy Debord à ma connaissance, et quelques journalistes soixante-huitards attardés dans Libé.
Jacques Généreux, aussi paradoxal que ça puisse paraître pour un fabiusien, est "antilibéral". Tâchons de voir quand même s'il y a moyen de tirer parti d'un essai aussi casse-couilles (Ne serais-je pas finalement un de ces mecs qui aiment qu'une gonzesse ou un essai qui a toutes les apparences du "sérieux" leur casse les couilles ? J'ai un doute existentiel tout à coup.)
Bien qu'il ne s'agisse pas à proprement parler d'une "révélation", J. Généreux s'attache longuement à démontrer que le libéralisme ne repose sur aucune pensée cohérente, solide. Le substrat de l'idéologie libérale, l'idée de responsabilité individuelle ne rime à rien, qu'elle soit teintée de poésie chez Rousseau ou carrément délirante chez Nitche. Sans la société l'homme n'est rien. Le plus abstrait des philosophes existentialistes, concentré de toutes ses forces sur son égotisme, a un besoin criant des autres. Pas plus que l'égalité, la liberté ou la fraternité, la "responsabilité individuelle" n'a de sens précis.
On peut le dire autrement : les analyses micro-économiques de Ricardo ou de Smith, sans les corrections et la synthèse macro-économique de Marx, ne sont qu'un outillage abstrait. C’est volontairement que j'introduis Marx, car Généreux a tendance à l’écarter arbitrairement, or la pensée de Marx inclut la sienne et va bien au-delà dans la démonstration de l'oppression moderne.
Là où Généreux est peut-être utile, c’est lorsqu'il décortique la propagande libérale, qui impose comme des évidences ou des principes certaines tartes à la crème comme la progression constante du progrès technique, le caractère immanent des "lois du marché", le caractère inéluctable de la mondialisation, etc., tartes à la crème qu'on balancerait volontiers dans la poire des libre-échangistes Sorman ou Plunkett, s'ils étaient à portée de tir.
Le procédé, qu'il soit conscient ou non, consiste à faire passer des lois économiques secondaires pour des principes de portée universelle. C'est l'idée de "liberté des échanges commerciaux", défendue par les Yankis, COMME UN PRINCIPE MORAL, liberté des échanges que les Yankis n'appliquent pas eux-mêmes.
Comme la France baigne un peu moins dans le jus de l'américanisme que l'Allemagne ou le Royaume-Uni, Sarkozy a compris qu'il valait mieux adapter son discours de campagne. On ne se fait pas élire Président de la République comme on se fait élire Président du Medef. Mais globalement l'idéologie libérale a vaincu l'idéologie communiste, c'est un fait.
Là où Généreux est malhonnête, c'est qu'il tente d'exonérer le PS de cette victoire de la propagande libérale, alors que le PS en est largement responsable, à commencer par Fabius, avant Strauss-Kahn.
Et puis ce que Jacques Généreux ne dit pas, c'est que ce combat idéologique a évidemment promu toutes les philosophies kantiennes ou existentialistes, athées ou chrétiennes, de la plus stupide à la plus raffinée, non pas MALGRÉ leur inanité, quel usage peut-on faire d'Heidegger ou de Kant, je vous le demande ?, mais justement À CAUSE de cette inanité même. En des termes plus crus : y'a pas plus facile à enculer qu'un existentialiste ; les philosophes existentialistes ont inventé la "philosophie pour s'accomoder de toutes les infâmies morales." Triomphe de Nitche, de Kant, de Heidegger (Alors même qu'il était encarté au parti national-socialiste !), de Sartre, de Freud, de Picasso - bref de tous les Grands Nuls. Leurs actions valent même plus cher désormais que celles de Voltaire, Diderot ou Rousseau, c'est dire…
Simultanément, on tente de discréditer toutes les formes de pensées religieuse, politique, sociale, depuis cinquante ans ; l'acharnement est évident contre le catholicisme (Effacé le syllabus de Pie IX, par les catholiques eux-mêmes, sous la pression), mais aussi l'islam (Caricaturé par des philosophes à la solde des médias, tel Redeker, au nom de la liberté), et même Marx, dont le discours politique et social représente aussi un danger pour l'idéologie libérale. On tente même dans l'Université d'enfiler à Bloy ou Claudel des costards de dreyfusards, de transformer Baudelaire en antimoderne ou en proto-punk, de faire passer Péguy pour un hussard de la République. Tout ce qui unit ou dépasse doit être aplani. La moindre des choses de la part d'un socialiste comme Jacques Généreux, ça serait d'admettre que les socialistes ont été en France LES PREMIERS à ouvrir la route à l'idéologie libérale.
Commentaires
je ne suis pas certaine que les "catholiques" aient effacé le Syllabus et le reste sous la pression, Lapinos... (mais c'est un autre débat).
Pour ma part, j'aurais tendance à penser que les premiers à ouvrir la route à l'idéologie libérale ont été les résistants...Parce que , finalement, que reprochait-on aux nationalistes français, allemands, espagnols....en 1940, si ce n'est leur position anti-libérale?
Il n'y a pas que Marx qui a voulu lutter contre l'oppression du capitalisme...
Une partie des démocrates-chrétiens s'est "portée volontaire" pour faire passer le "Syllabus" à la trappe, bien entendu, mais en béatifiant Pie IX, le pape a commis un petit acte de résistance qui prouve "a contrario" l'existence de cette pression.
Sur les résistants, les vrais, je crois que vous vous trompez. D'abord ils étaient très peu nombreux, la plupart du temps c'étaient des gamins impuissants, comme le révisionnisme "officiel" nous autorise à le dire désormais, enfin ils étaient majoritairement communistes, et les communistes n'étaient pas encore comme aujourd'hui convertis au capitalisme.
Bref en tant que telle la Résistance n'a pas eu de conséquence idéologique. L'utilisation du mythe de la Résistance par les gaullistes et les communistes, pour asseoir leur légitimité, c'est encore autre chose.
Moi je remonterais plutôt jusqu'à la révolution industrielle. On voit bien qu'un écrivain comme Zola, dont la gauche se réclame encore volontiers aujourd'hui, de sa villa cossue en banlieue, s'en prend à l'armée, à l'Église, beaucoup plus violemment qu'au patronat. Certes Baudelaire ou Delacroix sont beaucoup plus acharnés contre la grande industrie et les agioteurs que Zola, elle les inquiète beaucoup plus. Zola n'est pas inquiet. Cette idée que l'argent sauvera le monde est une idée socialiste dès le départ. Il n'y a pas beaucoup d'exceptions ; en dehors de Jaurès je n'en vois pas.
C'est d'ailleurs pourquoi Marx déteste les socialistes et les démocrates, qui soutiennent Bismarck.
Il n'y a pas que Marx, mais Marx présente le tableau le plus complet, même si je comprends très bien qu'on soit plus sensible à la métaphore de la course automobile dans "Vile Bodies".
C'est bien des Gaullistes et des communistes que je parlais , Lapinos.
Quoi qu'il en soit, quand Bardèche pouvait dire, à son époque, "Tout ce qui est écrit ou fait en France à l'heure présente repose sur le postulat intangible suivant : Quiconque n'a pas été un résistant a été un mauvais Français. Cogito, ergo sum." Nous pourrions dire aujourd'hui, "Quiconque n'est pas libéral est un mauvais Français "...
"Parce que , finalement, que reprochait-on aux nationalistes français....en 1940, si ce n'est leur position anti-libérale?"
Peut-être de s'accommoder de l'occupation allemande ? c'est plutôt à elle qu'à leur position anti-libérale que la plupart des résistants ont résisté, non ? Mais on m'a peut-être mal renseignée.
Je ne pense pas, Nadine, que les nationalistes "s'accomodaient de l'occupation allemande", ils la regrettaient sans doute mais elle "faisait partie" des termes de l'Armistice, laquelle était destinée à être suivie d'un traité de paix(cf J. Benoist-Mechin) ...dire qu'ils aient, pour certains d'entre eux, souhaité une alliance avec l'Allemagne me paraît plus juste.
De Gaulle par contre s'est accomodé (et c'est encore peu dire) du capitalisme, du libéralisme, du communisme.... contre les nationalistes.
Mesdames, personne ne reprochait quoi que ce soit aux nationalistes (de gauche comme de droite) en 1940, alors que la victoire allemande était encore envisageable. Il n'y a qu'aux vaincus qu'on fait des reproches. Premier point. Deuxième point, Nadine, vous maniez la dialectique du mythe de la Résistance, je ne vois pas l'intérêt d'une telle discussion "religieuse". L'expression "s'accommoder de l'occupation allemande" prouve votre ignorance des faits, du fait que la défaite française, notamment, fut totale.
Merci, beau Salomon, c'est vous qui savez et vous êtes chez vous. On ne se crêpera pas le chignon sur un sujet qui n'a rien à voir avec votre billet. Mais j'ai cru lire, mal m'en a pris, que la Mère l'oie pensait que les résistants de 1940 s'opposaient à un projet anti-libéral. Je suis ignorante de bien des faits mais je peux vous dire que ce qui gênait ces résistants (enfin ceux que j'ai connus vivants ou morts par leurs écrits de l'époque, correspondance, témoignages de leur entourage etc et ils sont assez nombreux) c'était d'accepter la défaite et l'occupation (et l'annexion de l'Alsace-Moselle pour les personnes concernées). Mais je me suis sans doute fait enfumer par de sales propagandistes et l'école de la gueuse m'a lavé le cerveau, je n'ai aucun esprit critique. Et dès qu'il est question de la résistance, parce que par ailleurs il y a eu effectivement "mythification/mystification", on ne peut pas parler de faits, hein, forcément on est dans la religion. Pffff.
Allez, eo, missa est. Je vous laisse.
Il n'y a pas de résistants avant 1940, pas avant la rupture du pacte germano-soviétique. C'est ce mot de DeGaulle, à peu près : « Répondant à mon appel, j'ai vu venir à Londres trois juifs et deux Bretons. »
Trois commentaires : contrairement à ce qui a été dit parfois, beaucoup de Français ont entendu l'appel du 18 juin et DeGaulle n'était pas un inconnu, mais très peu ont eu envie de le rejoindre, et parmi ceux qui le souhaitaient, une faible proportion disposait des moyens matériels de franchir la Manche, les "passeurs" n'ont pas tenu très longtemps, quelques semaines.
Par ailleurs qu'ils fussent communistes, une majorité, partisan de DeGaulle ou de Giraud, sur le territoire français les résistants étaient des gamins, avec toutes les idées loufoques que peuvent avoir les gamins.
Puisque le révisionnisme officiel nous autorise à le dire, Nadine, puisqu'on sait que Jean Moulin n'a pas été trahi mais tout simplement arrêté parce que la Gestapo connaissait les moindres détails des actions et des déplacements de Moulin et de ses hommes depuis longtemps, puisqu'on sait aussi que Moulin et DeGaulle poursuivaient des ambitions très différentes, qu'ils se faisaient de l'avenir des idées si différentes qu'il leur était impossible de se concerter, pourquoi venez-vous me seriner la propagande surannée de Malraux ?
Avouez tout de même qu'on ne peut pas dessiner l'Histoire sur la seule foi du témoignage de votre grand-mère !
Apprend déjà à écrire SHOAH... Tu pourras essayer de raisonner ensuite...
Tiens, une nouvelle, qui est elle aussi surprise par la transcription "à la française"- très personnelle - de certains mots par notre notre ami L.
Bah, on s'y fait, comme à beaucoup de choses... malheureusement.
L'important c'est de pisser droit à la raie ...
Pas deux Bretons. Deux poignées de Bretons. La première, en juin, de l'île de Sein, sur quelques barques ; la seconde, en juillet, sur le canot de sauvetage de Portsall (là où s'est échoué l'Amoco-Cadiz). Marins loufoques marchant sur les eaux ? Têtes brûlées ? Disons : du feu grégeois... Les communistes avançaient la tête plus froide. Etaient-ils des résistants au nom de la France ? D'une idée de la France. Raymond et Lucie Aubrac hébergeant Ho Chi Minh lors de la conférence de Fontainebleau étaient-ils toujours des résistants au nom de la France ? D'une idée de la France... L'Histoire est une histoire de fous qui ont des idées, révisée par des fous qui ont d'autres idées, ou que des fous qui ont encore d'autres idées refusent de réviser — les idées de fous étant (dans le meilleur des mondes) des idées fixes...
Je comprends qu'une poétesse soit plus sensible aux incantations de Malraux qu'aux fouilles historiques. En ce qui me concerne je préfère Homère à Malraux, il est plus véridique.
Et plus rigolo. (On dit qu'il était aveugle.)
Deux choses m'échappent un peu dans ton post :
1/ Pour quelles raisons fais-tu de Kant un existentialiste ? Il avait hérité de sa mère piétiste une morale extrêmement rigoureuse et il n'était pas homme à transiger avec les principes au nom des "situations". Par ailleurs, je ne vois rien dans sa philosophie pratique qui en fasse un existentialiste athée. Pour ne citer qu'un point essentiel : les postulats de la raison pratique incluent l'existence de Dieu et l'immortalité de l'âme.
2/ Le lien entre l'existentialisme et le libéralisme me semble très hâtif. Et surtout il me semble que les causes du libéralisme sont plus à chercher du côté de l'économie que de l'existentialisme. Les auteurs libéraux du point de vue théorique ne sont pas vraiment existentialistes : Adam Smith, Constant, Tocqueville - par exemple - pour ne pas citer Hayek qui était d'un conservatisme moral tout à fait victorien (comme Thatcher d'ailleurs).
Enfin, que fais-tu dans ta vision du monde de philosophes tels que Kierkegaard ou Gabriel Marcel - des existentialistes chrétiens... ?
Si vos questions, Ubu, me font prendre conscience d'une chose, c'est que j'ai manqué de clarté. Touché. Car comme vous savez, "tout ce qui n'est pas clair n'est pas français".
Je vous promets donc de fournir les précisions que vous réclamez le 24 mars au matin.