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jacques genereux

  • De Jaurès à Le Pen

    - Si le Parti socialiste avait voté CONTRE l'envoi de troupes françaises en Afghanistan pour assister les Etats-Unis dans leur stratégie d'acheminement des "tankers" remplis de pétrole du tiers-monde pauvre vers le tiers-monde gavé, alors il pourrait reprocher à Le Pen de "récupérer" le pacifiste Jean Jaurès. Mais il a voté POUR.

    - Si le Parti socialiste avait un électorat populaire, et non un électorat composé en grande partie de fonctionnaires intéressés à la survie de l'Etat jacobin, et donc du capitalisme, alors il pourrait reprocher à Le Pen de comparer son parti à celui de Jaurès.

    - S'il est vrai que les "200 familles", pour reprendre l'expression de Jean Galtier-Boissière, manipulent indirectement le parti de Le Pen, comme elles manipulent indirectement le parti de Besancenot, quant au Parti socialiste, lui, c'est DIRECTEMENT qu'il est actionné par ces "200 familles".

    Qu'est-ce que le conseiller économique du PS, Jacques Généreux, trouve à dire à l'occasion de la crise ? Que "C'est la faute à Sarkozy" et que "Les courtiers en banque n'ont pas une morale très reluisante".

    1. "Exit" le constat que la crise correspond au schéma marxiste décrivant une concentration du capital entre trop peu de mains, cause que les banques sont CONTRAINTES de jouer à la loterie et gaspillent l'argent comme aucun service public n'oserait le faire, c'est-à-dire par paquets de cinq ou dix milliards d'euros d'un coup.

    2. "Exit" le constat que le capitalisme a été préservé jusqu'ici de l'absurdité totale et de la paralysie générale par la manne pétrolière et l'arme nucléaire, celle-ci étant un moyen pour tenir en respect le tiers-monde ouvrier - deux "faits extérieurs" que Marx n'avait pas prévus.

    3. "Exit" cette vérité que le PS a mené une politique capitaliste active, probablement encore plus efficace que celle des gaullistes, car plus rusée (Fabius et Rocard, par exemple, se sont montré des dirigeants capitalistes extrêmement habiles si on les compare à Alain Juppé ou Dominique de Villepin, François Fillon).

    Maintenant, ce que Le Pen comme le PS occultent carrément, et ce n'est pas le moins important, c'est l'Histoire : le fait que depuis Jaurès la division du travail à l'échelle internationale, mouvement centrifuge décrit par Marx et qui finit par arracher les rênes des mains des industriels capitalistes eux-mêmes ("Le pire ennemi du Capital c'est le Capital lui-même."), ce mouvement a mis fin à la lutte des classes en Europe. A vrai dire la fin de la lutte des classes en France remonte même avant Jaurès : elle remonte selon Marx à 1850, c'est-à-dire à l'élection par la France rurale de Napoléon III, représentant de la bourgeoisie industrielle ; on verra ce type d'élection bizarre se répéter ensuite : c'est le cas notamment de l'élection d'Adolf Hitler en Allemagne dans des circonstances qui rappellent celles de l'élection de Napoléon III. C'est le cas de toutes les élections à la présidence de la République sous la Ve. Il y a selon Marx, de la "classe sociale" au simple "sentiment d'appartenance à une classe sociale", un fossé historique.

    La crise mondiale qui replace Marx "sous les feux de la rampe" est-elle l'occasion de redécouvrir ou de découvrir Marx ? On voit bien que non. Les médiats, la presse, font tout pour que cela n'arrive pas. J'ai dû entendre au total à la télévision et à la radio depuis le début de la crise deux personnes qui tenaient un discours marxiste cohérent.

    L'Etat laïc n'a jamais eu d'ennemis plus acharnés que Marx et Engels puisqu'il n'est à leurs yeux en quelque sorte rien d'autre que la structure religieuse du capitalisme. On peut même voir qu'il y a deux structures religieuses successives ; celle qui correspond au capitalisme industriel, phase au cours de laquelle le discours religieux est tenu par les instituteurs et les professeurs, que Péguy (le vrai, pas celui de Finkielkraut) appelle "hussards noirs" ; et celle que nous connaissons actuellement, depuis que les "services" se sont substitués à l'industrie, phase où les hussards noirs ont été destitués de leur rôle moral au profit des journalistes et des médiats, le cinéma y compris. Pourquoi les hussards noirs ont-ils été destitués au profit de ceux qu'on appelle "journalistes", mais qui ne sont en réalités que des mercenaires. Tout simplement parce que vendre des services plutôt qu'une production industrielle, étant donné la nature subtile de beaucoup de services, impose de la part des médiats une ruse et des accommodements avec la morale et la vérité plus grands encore.

    Pour quelle raison le marxisme est-il donc malvenu jusque dans le parti d'Olivier Besancenot ? Parce que la science marxiste est extrêmement dérangeante pour une grande majorité de Français qui préfère largement se vautrer dans des petits discours existentialistes à deux balles. Qu'est-ce qu'un ouvrier français syndiqué aux yeux d'un esclave chinois ? Un privilégié, comme le patron de cet ouvrier. On ne pas demander à un esclave chinois d'entrer dans des nuances trop subtiles. Parmi les aristocrates privilégiés qui furent exécutés au cours de la Terreur déjà, certains étaient beaucoup moins privilégiés que d'autres. Quand la misère explose, elle ne fait pas dans le détail.

    Le combat marxiste ou même "jaurèsien" n'a donc plus de sens désormais qu'en faveur du "haschich-prolétariat" de banlieue et des esclaves qui, dans le tiers-monde, fabriquent pour les privilégiés des gadgets en plastique et alu.

  • Les 12 travaux de Lapinos

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    Le comble, c’est de manquer de clarté lorsqu’on entend dénoncer l’obscurantisme. Le reproche m’a été fait d’être illogique, par exemple, lorsque je mets Kant et les "existentialistes" dans le même panier avant de les balancer à la mer lestés de plomb. Je me suis senti comme l’arroseur arrosé…

    J’insiste pour faire de Kant le premier “grand nul” de la philosophie moderne, symboliquement. Nulle fonction ET nul style. À l’aide de la raison pure, on peut démontrer que l’homme n’existe pas - belle phénoménologie en vérité ! Cela rappelle les théologiens les plus pervers du Moyen-âge.

    Kierkegaard, Heidegger, tous les "existentialistes officiels" n’ont fait que bâtir au-dessus de ces fondations le château de cartes spéculatif et relever à leur tour le défi lancé à la réalité par Kant.
    Quant à la morale tirée de la raison pratique, concrètement, si je peux dire, c’est celle du bobo, du journaliste. Or ce discours éthique inconsistant, on nous le sert en entrée, en plat de résistance, et au dessert ! Il faudrait dire “merci” en prime ?

    Bien sûr, c’est pas cette philosophie dans le vent qui a enfanté le système démocratico-capitaliste, c’est au contraire l’état de désagrégation sociale où l’économie capitaliste nous a fait tomber qui est particulièrement propice à la prolifération de la mauvaise herbe. Les sophistes grecs entendaient mettre la rhétorique à leur service. Nos sophistes, eux, de gauche comme de droite, Onfray ou Finkielkraut, même au plan de la rhétorique, ne valent pas tripette. À vaincre sans contradicteurs, ils triomphent sans gloire. Il y a toujours eu, même dans l’Union soviétique, des volontaires pour tenir le rôle, pas forcément très gratifiant, de “penseurs officiels” du régime. Plus belle la vie ! ou Onfray, c'est la même idéologie. Finkielkraut, lui, sa philosophie, est plutôt dans cet insupportable navet : Amélie Poulain.

    Ce n’est pas seulement la fragilité et la médiocrité des principes économiques libéraux, l'essayiste Jacques Généreux “oublie” que les propagandes socialiste, féministe, athée, démocrate-chrétienne, patronale ou syndicale (les syndicalistes français ne font que réclamer une meilleure répartition des richesses au sein du système capitaliste, quand Marx combat l'oppression sociale), tendent à discréditer, censurer, diffamer, saboter toute pensée qui contient des ferments de "solidarité", toute pensée qui va à l'encontre de l'atomisation du monde occidental - que cette pensée soit catholique, musulmane, marxiste ou royaliste…

    C’est parce que la nature a horreur du vide que les petits systèmes de pensée individuels font florès.

  • À la passoire

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    À côté de la production de petits romans rédigés par des avatars d'Anna Gavalda, destinés à satisfaire le marché des midinettes qui lisent la presse féminine, comme aucun mec ne veut lire ce genre de truc, il y a la production d'essais sérieux pour les cadres dynamiques de trente à cinquante piges. Les mecs aiment les trucs sérieux. Il y a ce côté-là dans le marketing de Johnatan Littell, un côté « Tout ce que vous voulez savoir sur la Choa et que vous n'osez pas demander à votre prof. ou à votre grand-père résistant », ou : Les Camps d'extermination pour les Nuls.

    L'empilement d'essais politiques, économiques, philosophiques, est donc vertigineux. Mais si on pouvait passer toutes ces spéculations à la moulinette, puis à la passoire, combien d'idées originales resterait-il ? L'"UFC-Que Choisir" se contente de dénoncer les arnaques dans les paniers à provisions, les excédents de colorants, conservateurs et arômes artificiels divers dans les yahourts et les confitures, les étiquettes mensongères. Qui ne vit pas seulement de yahourts et de confitures peut s'en plaindre… Toute cette "littérature" est excessivement fadasse quand elle n'est pas toxique.

    Prenons tout de même l'exemple, pris au hasard ou presque, de la thèse de Jacques Généreux. Généreux est prof à Sciences-po. et fabiusien. D'où le titre chiant et orgueilleux de sa thèse : La Dissociété. Bon, c'est toujours moins bénin que La Société du spectacle, comme slogan. Il n'y a plus que ce guignol de Sollers à se réclamer encore de Guy Debord à ma connaissance, et quelques journalistes soixante-huitards attardés dans Libé.

    Jacques Généreux, aussi paradoxal que ça puisse paraître pour un fabiusien, est "antilibéral". Tâchons de voir quand même s'il y a moyen de tirer parti d'un essai aussi casse-couilles (Ne serais-je pas finalement un de ces mecs qui aiment qu'une gonzesse ou un essai qui a toutes les apparences du "sérieux" leur casse les couilles ? J'ai un doute existentiel tout à coup.)

    Bien qu'il ne s'agisse pas à proprement parler d'une "révélation", J. Généreux s'attache longuement à démontrer que le libéralisme ne repose sur aucune pensée cohérente, solide. Le substrat de l'idéologie libérale, l'idée de responsabilité individuelle ne rime à rien, qu'elle soit teintée de poésie chez Rousseau ou carrément délirante chez Nitche. Sans la société l'homme n'est rien. Le plus abstrait des philosophes existentialistes, concentré de toutes ses forces sur son égotisme, a un besoin criant des autres. Pas plus que l'égalité, la liberté ou la fraternité, la "responsabilité individuelle" n'a de sens précis.
    On peut le dire autrement : les analyses micro-économiques de Ricardo ou de Smith, sans les corrections et la synthèse macro-économique de Marx, ne sont qu'un outillage abstrait. C’est volontairement que j'introduis Marx, car Généreux a tendance à l’écarter arbitrairement, or la pensée de Marx inclut la sienne et va bien au-delà dans la démonstration de l'oppression moderne.

    *

    Là où Généreux est peut-être utile, c’est lorsqu'il décortique la propagande libérale, qui impose comme des évidences ou des principes certaines tartes à la crème comme la progression constante du progrès technique, le caractère immanent des "lois du marché", le caractère inéluctable de la mondialisation, etc., tartes à la crème qu'on balancerait volontiers dans la poire des libre-échangistes Sorman ou Plunkett, s'ils étaient à portée de tir.
    Le procédé, qu'il soit conscient ou non, consiste à faire passer des lois économiques secondaires pour des principes de portée universelle. C'est l'idée de "liberté des échanges commerciaux", défendue par les Yankis, COMME UN PRINCIPE MORAL, liberté des échanges que les Yankis n'appliquent pas eux-mêmes.
    Comme la France baigne un peu moins dans le jus de l'américanisme que l'Allemagne ou le Royaume-Uni, Sarkozy a compris qu'il valait mieux adapter son discours de campagne. On ne se fait pas élire Président de la République comme on se fait élire Président du Medef. Mais globalement l'idéologie libérale a vaincu l'idéologie communiste, c'est un fait.
    Là où Généreux est malhonnête, c'est qu'il tente d'exonérer le PS de cette victoire de la propagande libérale, alors que le PS en est largement responsable, à commencer par Fabius, avant Strauss-Kahn.

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    Et puis ce que Jacques Généreux ne dit pas, c'est que ce combat idéologique a évidemment promu toutes les philosophies kantiennes ou existentialistes, athées ou chrétiennes, de la plus stupide à la plus raffinée, non pas MALGRÉ leur inanité, quel usage peut-on faire d'Heidegger ou de Kant, je vous le demande ?, mais justement À CAUSE de cette inanité même. En des termes plus crus : y'a pas plus facile à enculer qu'un existentialiste ; les philosophes existentialistes ont inventé la "philosophie pour s'accomoder de toutes les infâmies morales." Triomphe de Nitche, de Kant, de Heidegger (Alors même qu'il était encarté au parti national-socialiste !), de Sartre, de Freud, de Picasso - bref de tous les Grands Nuls. Leurs actions valent même plus cher désormais que celles de Voltaire, Diderot ou Rousseau, c'est dire…

    Simultanément, on tente de discréditer toutes les formes de pensées religieuse, politique, sociale, depuis cinquante ans ; l'acharnement est évident contre le catholicisme (Effacé le syllabus de Pie IX, par les catholiques eux-mêmes, sous la pression), mais aussi l'islam (Caricaturé par des philosophes à la solde des médias, tel Redeker, au nom de la liberté), et même Marx, dont le discours politique et social représente aussi un danger pour l'idéologie libérale. On tente même dans l'Université d'enfiler à Bloy ou Claudel des costards de dreyfusards, de transformer Baudelaire en antimoderne ou en proto-punk, de faire passer Péguy pour un hussard de la République. Tout ce qui unit ou dépasse doit être aplani. La moindre des choses de la part d'un socialiste comme Jacques Généreux, ça serait d'admettre que les socialistes ont été en France LES PREMIERS à ouvrir la route à l'idéologie libérale.