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En rase campagne

Un des rares côtés amusants de cette campagne présidentielle, à laquelle les blogues ne font que donner encore plus d'épaisseur démagogique, c'est les citations des candidats. La démocratie exige quand même un vernis culturel minimum.
Sarkozy déclare à Ségolène qu'elle n'a pas le monopole de Jaurès. Mais il hésite encore à citer Maurras pour piquer des voix à Le Pen. Frédéric Mistral serait une solution intermédiaire, d'autant plus que le régionalisme est à la mode.
Le Pen, lui, frime en citant La Fontaine en vieux français. Il pourrait aussi citer Engels, qui a fait de beaux compliments à la France, mais les journalistes risqueraient d'insinuer que Engels était un officier SS. Le Monde a bien attribué un jour une citation de saint Jean à Adolf Hitler - deux abonnés avaient protesté.

Besancenot évite de citer Marx, sa culture c'est plutôt "Pif gadget", pas facile à assumer en public - ou Tintin, mais Tintin est beaucoup trop facho…
Bayrou, lui, c'est le successeur de Chirac, il évite de faire des citations, c'est déjà assez difficile de maîtriser son élocution comme ça. Il préfère laisser dire qu'il a écrit un bouquin sur Henri IV, qui prouve qu'on peut retourner sa veste avec panache. Bayrou c'est le candidat "poule au pot", il devrait se faire photographier la bouche pleine sur ses affiches, en train de banqueter avec des potes. C'est peut-être le carême qui le retient ?

Pour défendre son slogan d'identité française, Sarkozy cite Lévi-Strauss. Ça c'est classieux, Lévi-Strauss, voilà que Sarkozy drague les bobos maintenant ? Il sait vraiment plus où il en est, notre "Candide à la présidentielle". J'entends parfois Ségolène se faire traiter de Bécassine. Même moi je n'oserais pas causer à une femme comme ça, surtout une femme qui porte le tailleur comme Ségolène, misogyne mais pas goujat. Se méfier de Bécassine - elle a les pieds sur terre, elle.

Bien sûr l'identité française ça ne veut rien dire, c'est indéfinissable, un sujet de querelle infini. Jettez cet os à deux ontologistes, sûr qu'un an après ils le remâchent encore. Sarkozy veut draguer les électeurs de Le Pen, mais il les connaît mal, il se goure, il ne sait faire que du Mégret, c'est peu.
Lévi-Strauss s'intéresse à des tribus primitives, sans archives historiques, circonscrites, homogènes racialement, qu'il est plus facile de saisir globalement qu'une grande nation "historique", et malgré ça les comparaisons et les conclusions de Lévi-Strauss restent schématiques.

La preuve que l'identité française est un gadget de publicitaire, c'est que je n'adhère a priori à aucune des valeurs prétendûment françaises dont Sarkozy se réclame. Pourtant, dans la réalité, on est tous les deux Français, nos mœurs, nos goûts, ne diffèrent certainement pas beaucoup. Peut-être même préfère-t-il le cassoulet au goulash, comme moi ?
Les avocats et les énarques ont vraiment le don d'inventer de ces bidules complètement inutiles ! Si Ségolène promet un peu de rigueur féminine, un peu moins de philosophie, je suis prêt à voter pour elle au second tour.

Commentaires

  • En ce temps-là, quand on venait en ville vendre sa volaille, il fallait, à l'octroi, payer un droit par tête. Bécassine passe l'octroi, fière et désinvolte. À la flicaille que son lourd panier intrigue, elle présente des poulets... décapités. (Ce qui ne nuit pas à la poule au pot !)

  • Le marxisme, opium du peuple. C'est Evelyn Waugh qui le dit. Et il ne semble guère goûter les charmes de Simone Weil. Un peu d'ordre tout de même !

  • Je ne sais pas si vous l'avez fait exprès, Sébastien, mais il se trouve que Simone Weil dit exactement la même chose, "le marxisme, c'est l'opium du peuple."
    Waugh avait-il lu l'ouvrage majeur de S. Weil, "Réflexions sur les causes de la liberté et de l'oppression sociale" ? Je ne crois pas ; quoi qu'il en soit, il est évident que la "petite comédie humaine" de Waugh, est complémentaire de l'œuvre de S. Weil. Weil et Waugh partagent d'autres conceptions, d'ailleurs, ils fustigent la médiocrité des élites contemporaines et méprisent tous les deux la démocratie.

    Il est aussi logique que Balzac soit l'auteur préféré de Marx : Waugh, Balzac, Weil, Marx, Dickens, le lien de parenté est évident… là vous tenez quelques-uns des plus grands vrais "modernes", Sébastien…
    On pourrait ajouter Baudelaire et Bloy, bien qu'ils soient plus portés à la rêverie (L'influence de Maistre ?)

    Il s'agit de comprendre cette remarque sociologique de Marx correctement : "La religion, c'est l'opium du peuple." Marx veut dire bien sûr que la religion a servi à endormir le peuple, mais également qu'elle a permis de le soulager. Cette analyse n'est pas athée, contrairement à celle de Nitche, par exemple ; il est évident que dans certains cas la religion a un effet "anesthésiant". Pour les démocrates-chrétiens, qu'est-ce donc que la religion, si ce n'est un opium ?

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