On peut penser que l'"identité française", le mieux placé pour la définir, ça serait un étranger ayant vécu dans son pays assez longtemps, puis en France. Cela suppose une certaine curiosité de sa part, évidemment, et aussi de la sincérité, sans être trop naïf. En effet, on voit bien qu'un Français de souche comme moi, ou un fils de métèque comme Sarkozy - au sens de la démocratie athénienne -, manquent forcément de recul pour juger de ce que c'est qu'un Français, au plan ontologique.
Il vaudrait mieux donc interroger un immigré malien (à condition qu'il ne soit pas manipulé par "SOS-Racisme"), ou encore le Roi du Maroc (à condition qu'il ne soit pas manipulé par Chirac), par exemple. On pourrait aussi demander à des Bruxellois ou des Wallons, généralement ils connaissent bien la France.
Peut-être que le portrait que ces gens brosseraient de nous nous déplairait ? Forcément, les critiques de l'étranger ne sont pas toujours bien accueillies par les indigènes, même dans un pays tel que le nôtre où on pousse l'antiracisme assez loin. La susceptibilité est-elle un élément typique de l'identité française ?
Trêve de plaisanterie. D'un concept bénin, comme celui de l'identité française - l'avenir dira si c'était un bon slogan -, rien n'empêche d'obliquer vers des notions objectives.
Il est bien plus intéressant de se demander quelle est la RELIGION française, la nouvelle, celle qui a remplacé l'ancienne petit à petit. Car il n'est pas besoin d'être un grand "sociologue" comme Marx ou comme Simone Weil, comme Balzac ou Evelyn Waugh, pour voir qu'un pays ne peut se passer d'une religion. Sans cet opium, la souffrance morale de la population serait insupportable, la cohésion sociale véritablement menacée.
Mettons de côté l'islam, très minoritaire en France, même s'il est de mieux en mieux vu dans la population d'origine africaine de se réclamer du Coran, mais c'est en partie pour faire de la provoc' ; mettons aussi le catholicisme de côté, puisque 3 % seulement des Français d'origine catholique se disent "pratiquants" désormais.
Concentrons-nous plutôt sur la religion dominante qui unit les 90 % de Français qui restent.
Évidemment, le terme même de "religion" est rejeté par une partie de ces Français, athées ou agnostiques, vu qu'il n'appartient pas à leur vocabulaire. Objection de pure forme. On retrouve bien :
- les prêcheurs de la démocratie (Tous les philosophes de la télé, les présentateurs des actualités, les éditorialistes du Monde, les instituteurs, etc.) ;
- les dogmes démocratiques intangibles ("L'homme descend du singe", "La femme est l'égale de l'homme", "Les Américains ont sauvé la démocratie", etc.) ;
- les célébrations démocratiques (Le "14 juillet", les scrutins avec tout le rituel des sondages, le journal de 20 h, la coupe du monde de foot, etc.) ;
- les saints démocratiques (Dreyfus, Zola, Jaurès, Che Guevara, Zidane, Jean Moulin, etc.) ;
- les mythes démocratiques, comme dirait Lévi-Strauss ("La Prise de la Bastille", "La Résistance française au nazisme", etc.) ;
- la morale démocratique ("Ne fume pas", "Mets une capote", "Verse de l'argent au sidaction et aux Restaus du cœur", "Brosse-toi bien les dents", "Mange cinq légumes pas jour", etc.) ;
- les docteurs de l'Église démocratique (Voltaire, Rousseau, Zola, Michelet, Sartre, Littell, etc.)…
La religion démocratique a même ses hérétiques, qu'on aimerait bien faire griller à petit feu, mais on doit se contenter de leur faire des procès en sorcellerie. Houellebecq est un de ces hérétiques - une sorte de Galilée du XXIe siècle.
Bien sûr, les athées de gauche diront qu'ils n'ont pas le même credo que les athées de droite ou les déistes du centre, mais quelle religion ne connaît pas des schismes et des chapelles ? On pourrait aisément définir un PGCD, mais la dialectique marxiste me paraît plus intéressante.
Prolongeons cependant encore la symétrie entre les religions de nos aïeux et la nouvelle religion démocratique/athée/laïque. Sur le plan psychologique, un catholique éprouve de la pitié pour un athée, privé de Dieu, poursuivant des idées chimériques. C'est mon cas, lorsque je suis en présence d'un athée sincère/véritable, ce qui je dois dire ne m'est arrivé que très rarement en France, plus souvent aux États-Unis, sans doute c'est dû à l'organisation différente de la religion d'État yankie, une organisation plus "protestante", moins jacobine.
Chez le fidèle athée, on retrouve la même pitié, en théorie, pour le musulman ou le catholique pratiquant : « Pauvres gens, pensent-ils, ils sont si persuadés que lorsqu'ils mourront et seront déversés directement dans le Néant, ils seront immanquablement très désappointés ! » ; ou, vis-à-vis des musulmans : « Pauvres gens, ils ont l'air si convaincus de trouver de jeunes vierges au Paradis d'Allah que lorsqu'ils ne verront qu'un grand trou sans fond, ils regretteront de ne pas avoir construit une vie de couple adulte et responsable, d'égal à égal, et souscrit à un crédit immobilier sur trente ans ! De jeunes vierges, tss, tss, ça n'est vraiment pas sérieux… »
Il est parfaitement logique que les fidèles de la religion dominante soient moins bien informés des religions minoritaires et que leurs remarques soient un peu plus… naïves. De même que l'esprit critique et la dialectique sont beaucoup moins à leur portée, beaucoup plus "dérangeantes".
Après la thèse, il faut passer à l'antithèse, puis faire la synthèse. J'ai parlé de la morale, des dogmes, des mythes, des prêtres, mais pas de Dieu lui-même (ni de l'art). C'est volontaire, je gardais Dieu pour la synthèse. Qui joue le rôle de Dieu dans la religion démocratique ? Ça manque peut-être un peu de rigueur comme méthode, mais je préfère vous laisser deviner.
Commentaires
Il vaut mieux descendre du singe qu'y remonter mon Lapinos ! Au fait sans indiscrétion tu descends de quoi ?
Trop tard, on me l'a déjà faite (dix fois environ). La vanne de Yannick Noah est plus branchée : « Aux arbres, citoyens ! »
Quand je dis que vous êtes un peu "out", Driout…
Je ne suis pas breton cela explique mon retard sur Noah !
Essayeriez-vous de définir l'identité bretonne, Driout ?
Yannick c'est bien un prénom breton ? Et puis il est hâlé par les embruns cela se voit !
Non, Yannick n'est pas vraiment un prénom breton, c'est plutôt un prénom folklorique.
Vous avez pris un bon exemple, Driout, car l'identité bretonne est typiquement un cas d'identité régionale fabriquée de toute pièce, disons à 95 %, cette fois pour les besoins du commerce touristique. Voyez Patrick Poivre-d'Arvor ou Patrick Le Lay, ils se disent "Bretons". La vérité c'est que ce sont surtout d'authentiques bouffons, ils devraient faire marrer tout le monde avec leur "bretonnitude".
Je m'aperçois que je n'ai pas répondu à votre question, Driout.
Mon cas personnel n'a pas beaucoup d'intérêt, a priori, mais en l'occurrence votre question tombe à pic. Socialement je dois confesser des origines parmi les plus basses, une femme de chambre normande montée à Paris et engrossée par son maître, et d'ailleurs des plus hautes, un aristocrate languedocien.
En outre, il y a dans mon arbre des ressortissants de toutes les régions de France métropolitaine ou presque. Sans apport significatif étranger depuis au moins le XVIIIe siècle, probablement avant.
Ne suis-je donc pas par conséquent très "moyen" ? Je pourrais porter le label AOC ou "Identité française garantie". Pourtant je suis le premier à dire que le discours de Sarkozy sur l'identité française c'est du toc, du flan, du bidon, de l'eau de boudin. Moi, Sarkozy lui-même il m'est plutôt sympathique, autant que je peux en juger il m'a l'air de faire tout les efforts nécessaire pour mériter sa place, "s'intégrer dans notre pays comme il dit", mais il m'a l'air d'être entouré par une sacrée bande de crétins. Vous croyez que cette histoire d'"identité française" va lui apporter plus de cinq voix, vous, Driout ?
"Qui joue le rôle de Dieu dans la religion démocratique ?"
L'égalité ?
L'homme?....et les droits de l'homme , la loi divine?...
Trop "facile" pour que ce soit ça...
ou le veau d'or?
Tandis que moi je descends du singe des deux côtés, pas de jaloux ! Mes branches ont autant de degrés de noblesse simiesque ...
Enfin maintenant j'ai ta fiche signalétique, si je croise un type dans Paris qui ressemble du côté droit à une armoire normande et du côté gauche à un buffet provençal c'est toi !
Si j'étais darwinien comme vous, Driout, mais évidemment je suis plutôt du côté de Mendel, je dirais que je descends du chaînon manquant, c'est plus classieux. À part ça, pour affiner mon signalement, je suis plutôt mi-andouille de Vire, mi-coteaux des Corbières - la Provence n'est pas précisément le Languedoc.
Il me semble que l'égalité, Sébastien, est plutôt comparable à un dogme, comme celui de la résurrection des corps. Hier j'ai croisé une cloche un peu paf dans la rue qui beuglait : « Nous avons tous droit à l'égalité ! », ça m'a fait penser au peuple juif dans le désert qui attend la manne ; ou aux cris de désespoir de Job.
Les Droits de l'Homme, c'est le décalogue, évidemment (Vous n'avez pas lu Madiran, ma Dame ?).
Le Veau d'or est certainement le dieu le plus populaire en démocratie, mais il y en a d'autres. Comme vous savez, ma Dame, certains catholiques ont parfois une dévotion plus grande pour la sainte Vierge que pour son Fils. Dans la religion démocratique, c'est pareil, le rapport à Dieu est parfois indirect… devinez encore !
Je m'aperçois que j'ai commis une petite erreur en classant Zidane parmi les "saints" démocratiques, car Zidane n'est pas mort. Il est plutôt comparable à un demi-Dieu grec comme Hercule ou à un prophète (il parle avec ses compas et trace des figures symboliques sur les pelouses vertes du monde entier, et le vert est symbole d'espérance, l'espérance d'un monde meilleur où les supporteurs se donneront la main et où il n'y aura plus de vilains "skin-heads". Amen/Merci aux généreux sponsors, que leurs quatre volontés soient faites…)
Le Diable étant la souffrance physique, je dirais que le Dieu de cette religion est le plaisir, ou plutôt la non-souffrance. A moins que ça ne soit que l'idéal.
Dieu pourrait être l'avenir, dans ce cas.
Votre argument sur la souffrance me paraît faux, mais la conclusion assez juste. Pour certains athées, une élite athées, je crois qu'on peut dire que la gloire est au-dessus de tout (La célébrité est un mélange entre le veau d'or et la gloire.)
La gloire est une forme d'avenir plausible lorqu'on croit au néant ou aux loufoqueries lucrétiennes sur le recyclage des atomes.
On ne peut s'empêcher de songer ici à la "disputatio" entre Diderot et Falconnet sur ce sujet. Évidemment de mon point de vue le sculpteur écrase le philosophe. D'ailleurs je crois que si Diderot a refusé catégoriquement qu'elle soit publiée, c'est qu'il s'était rendu compte qu'il avait perdu (Diderot a beaucoup plus de recul que Rousseau sur ses propres idées - quant à Voltaire il se moque de la vérité.)
Bon, si la liberté, l'égalité, le libéralisme....sont des dogmes, si le veau d'or est une des divinités, que la gloire en est une autre...l'alpha et l'omega serait "l'esprit de jouissance"?
Ce n'est pas idiot, ça, la gloire. Je ne sais pas si on peut dire qu'elle occupe la même place que Dieu, mais c'est assurément un idéal qu'ils respectent. Et pour lequel ils tuent, entre autres.
Sur la souffrance, vous devriez aller à EuroDisney. J'y suis allé un gris jour de novembre, dans des circonstances particulières. J'ai pu essayer toutes les attractions. C'est très curieux: dans nos fêtes foraines à nous, il y a un jeu avec la souffrance; on la fait miroiter un peu au sommet du grand huit, on en inflige un peu, et on la retire aussitôt. On est heureux de l'avoir surmontée. A Eurodisney, le principe est le même, sauf qu'il n'y a plus de souffrance du tout; c'est calibré pour qu'on n'ai jamais vraiment peur, ni jamais vraiment l'estomac qui se retourne. Après avoir apprivoisé le Diable, on l'a supprimé.
J'ajoute que la majeure partie des revendications politiques porte sur la suppression des souffrances. Face à n'importe quel raisonnement rationnel, on invoque le spectacle de victimes pour emporter l'adhésion. Le débat sur Battisti, au hasard, se résume à l'opposition entre ceux qui exhibent le fils paraplégique d'une de ses victimes et ceux qui parlent, des larmes dans la voix, de sa propre vie de famille que l'on brise. Plaisir/souffrance a remplacé bien/mal, en quelque sorte.
Diderot, Rousseau et Voltaire sont ici excellement décrits en une phrase.
C'est curieux, j'ai plutôt le sentiment que la gloire a mauvaise presse aujourd'hui. C'est à dire qu'il y a peu encore on pouvait confesser ambitionner la gloire, qui est la célébrité MAIS accompagnée de l'admiration du grand nombre. C'est un mot qu'on n'entend plus du tout. Qui prétend aujourd'hui faire quoi que ce soit pour la gloire ? "Glorieux" est un adjectif aujourd'hui un peu ringard, ça fait pompier ou alors catéchisme, non ?
J'ai plutôt le sentiment de vivre dans une société où la fausse humilité est obligatoire.
Mais peut-être ai-je mal saisi le fond de votre échange (ce n'EST PAS de la fausse humilité).
• La gloire n'a pas "mauvaise presse", Nadine, au point qu'on n'entretienne pas avec ferveur celle de DeGaulle, de Mitterrand, et que Chirac ne s'efforce pas, d'ores et déjà, de forger sa propre épopée (Cf. l'hagiographie de Pierre Péan) - ou encore la gloire de Zidane, de l'abbé Pierre.
Là où vous avez raison, c'est que la notion d'élite est politiquement incorrecte, et que la gloire est une notion proche. Mais ne surestimez pas la cohérence de la religion actuelle, la religion laïque aujourd'hui n'est plus que l'huile dans les rouages du capitalisme. C'est le mot "gloire" qui est démodé, mais la "chose" ne l'est pas.
• D'ailleurs l'esprit de jouissance ne me paraît pas caractériser l'époque actuelle ma Dame, où l'on assiste plutôt au triomphe des peine-à-jouir. Voyez l'art de la Ve République, par exemple, et comparez-le ne serait-ce qu'à l'art du XIXe. Quelle emphase, quelle philosophie, quel ennui pour résumer ; au Musée Pompidou, où voyez-vous la jouissance ? Bien sûr, on représente des sexes sous tous les angles, mais tout ça est comme glacé, pétrifié. Je dirais même plus, la jouissance est la grande absente dans tout ce décorum contemporain. Même dans l'art le plus grossier, la chanson populaire par exemple, on ne produit plus que des bluettes sentimentales, des histoires de couples qui partagent leur dentifrice.
L'argent, la gloire… la religion laïque sacrifie au moins à une autre divinité ; essayez de deviner encore (Je suis étonné que Sébastien n'y ait pas pensé)…
le grand Pan bien sûr! ressucité, Brassens l'a entendu, son cadavre a même disparu (son signifié dirait Lacan trouvant Saussure à son pied) comme celui du fils de Dieu!
du coup je m'aperçois qu'on pourrait aussi dire la femme, l'éternel féminin, la mère Nature, la mère du grand Pan...
celle pour qui on décrocherait la lune, par amour, on en revient au dogme chrétien et la boucle est bouclée!