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Totems et tabous

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Je le dis franchement aux fidèles de la religion laïque qui passeraient par là, l'art sacré républicain provoque parfois une réaction de dégoût esthétique chez les catholiques. Tous ces fétiches, toutes ces devises, cette statuaire grandiloquente, ces superstitions, ces monuments… à force donnent un haut-le-corps, d'autant plus en période électorale où on nous rebat les oreilles du matin au soir de sermons laïcs, de cérémonies républicaines, de sondages d'opinion. En Union soviétique, au moins, aux confins de l'empire, on pouvait échapper à la propagande. Chez nous, il n'y a guère qu'au beau milieu des monts pelés du Larzac ou des landes dépeuplées du Finistère intérieur qu'on peut se recueillir et prier un autre Dieu. Et encore risque-t-on d'y tomber sur un militant de José Bové !
J'admets avoir été bien reçu chez des militants de José Bové, un jour où il faisait froid et que je grelottais, je n'avais pas mangé depuis deux jours, ils m'ont ouvert la porte de leur logis, ils m'ont servi une omelette au lard et aux champignons inoubliable, ils m'ont fait faire le tour de leur plantation de cannabis et m'ont enseigné l'art d'élever cette plante capricieuse… mais qu'est-ce qu'ils ont pu me casser les couilles avec leur prêchi-prêcha égalitaire, et Untel s'en met trop dans les fouilles, et blablabla, la barbe.

Pour que les athées comprennent que leur art n'est pas aussi "universel" qu'ils ont l'habitude de l'estimer, ils doivent faire cette comparaison avec la production catholique dite "sulpicienne", l'effet que peuvent leur faire ces statues "kitsch", fabriquées en série, ou cette peinture trop "léchée", imitée d'Ingres, mais dépourvue de tout ce qui fait le talent d'Ingres, une féminité à la fois lourde et sensuelle.
Certes, les laïcs peuvent revendiquer David, mais David est surtout un bon portraitiste. C'est-à-dire qu'à l'exception notable de son "Marat", où la foi du martyr républicain est magistralement rendue, l'art religieux de David n'est pas très vivant. De fait on ne peut mettre sur le même plan les "Noces" de Vélazquez et le "Couronnement de Napoléon" qu'à condition d'avoir une connaissance… approximative (j'ai failli dire "démocratique") de l'art pictural. À tout prendre, "Le Radeau de la Méduse" est un morceau d'art sacré bien supérieur. Le désespoir fou de ces condamnés au néant des abysses, qui tendent les bras vers l'horizon presque vide… à côté de ce morceau d'anthologie, "L'Être et le Néant" de Sartre, quelle piètre expression !

J'ose le dire, s'il n'y avait pas David, je placerais l'art démocratique à peu près au même niveau que l'art nazi.

*

Alors, au milieu de tout ça, le panthéisme de Nicolas Hulot est assez divertissant. On a beau se sentir éloigné des civilisations primitives, le panthéisme n'est jamais très loin. Même si la société capitaliste s'interpose largement entre l'homme et la nature, évidemment cet écran est artificiel, la société, aussi "high-tech" soit elle, ne fait pas le poids face aux forces de la nature, et l'homme ne peut tout à fait en perdre la conscience.
L'angoisse existentielle, que la surabondance de biens de consommation ne parvient pas complètement à étouffer, pousse de façon cyclique les citoyens vers le panthéisme. Il ne s'agit pas en cette circonstance du panthéisme de Rousseau, beaucoup plus poétique, ni de celui de Diderot, beaucoup plus grec, non, c'est un panthéisme qui a des causes essentiellement psychologiques.

Ce qui permet de parler de "poussée de fièvre religieuse panthéiste", c'est que si Nicolas Hulot est certainement au courant de la théorie climatique et des indices du Hambougeois Detlef Quadfasel, par exemple, la plupart de ses ouailles n'en ont même pas entendu parler. Ils font entièrement confiance à un animateur de télé, quelques présentateurs vedettes, voire d'"éminents" éditorialistes, comme le fruste dévôt fait confiance au prêtre qui lui parle de la vie éternelle. C'est la foi du charbonnier. J'ai fait cette expérience de demander à un disciple de Nicolas Hulot de m'expliquer comment le réchauffement dû à l'effet de serre pouvait provoquer pardoxalement un refroidissement de l'Europe jusqu'à atteindre une température sibérienne, et il m'a regardé avec l'air d'un catéchumène à qui on se mettrait à causer transsubstantation. Alors que c'est à la portée de tout le monde, la théorie de Quadfasel, en gros.
Ce n'est pas un hasard non plus si le discours de Hulot est complètement infecté de malthusianisme, et qu'il est par conséquent complètement "régressif", ce n'est pas seulement parce que Hulot n'est qu'un vulgaire animateur télé.
Même s'ils ne représentent plus qu'une part infime de l'opinion publique, les catholiques ont une réaction face à cette ferveur parfaitement logique. Évidemment leur foi en Dieu, dominant les forces de la nature, les protège contre la peur de l'apocalypse. Et puis les chrétiens sont habitués à une morale qui réprouve le gaspillage, il suffit de se rappeler Jésus, qui après que les pains sont distribués à la foule, insiste pour que l'excédent soit soigneusement réservé.
Le discours démocratique de Nicolas Hulot, qui évite autant que possible la morale, c'est le "tri sélectif" (ça sonne un peu nazi comme expression), nos oreilles ne sont pas faites pour ce langage.
Et puis il y a une tradition scientifique encore vivace qui permet aux catholiques de voir que les harangues de Hulot sont tout ce qu'il y a de plus confus, au moins, au plan des sciences humaines et des sciences de la nature - et même des sciences politiques. Il apparaît clairement aux catholiques, je ne parle pas évidemment des imbéciles démocrates-chrétiens, compromis jusqu'au cou, que pour prendre des décisions impopulaires, rapidement, comme le réclame Nicolas Hulot, nul régime n'est moins bien adapté que le régime démago-capitaliste.

Commentaires

  • Aimez-vous Rembrandt ? Vous n'en parlez jamais. Pour un chrétien, ça la fiche mal.

  • "s'il n'y avait pas David, je placerais l'art démocratique à peu près au même niveau que l'art nazi"

    Ah vous me réjouissez aujourd'hui. Y a des jours comme ça.

  • Bonjour Lapinos,

    Vue d'Allemagne, notre société française ultra-républicaine est vue comme une religion ;-) Si vous voulez lire une traduction de l'article : http://1001nights.free.fr/breve.php3?id_breve=133

    GNU

  • Je ne sais pas pourquoi mais ça ne m'étonne pas que vous n'aimiez pas Arno Breker? Mais Leni Riefenstahl, tout de même!

  • . pas ?, désolée!

  • On ne pas dénier à Arno Breker le statut d'artiste ; il a essayé de bâtir une œuvre, il a creusé un sillon. Ses portraits de grands bourgeois allemands ne sont pas inintéressants ; mais lorsque vous comparez ça à la statuaire antique, je crois que la différence frappe même un ignorant. La pureté, la majesté des formes antiques, Breker en est très loin. David, beaucoup moins.
    Leni Riefenstahl ? Même habiles, je n'aime pas mélanger les techniciens avec les créateurs de formes, Madame ; vous savez que c'est une coutume occidentale ancienne de ne pas tout confondre, afin de ne pas sombrer dans l'obscurantisme.

  • Vous parlez de "l'art nazi"... je vous mentionne ce qui me semble intéressant dans cet art. (Au passage, je trouve la formule idiote, pardonnez-moi. Mais il me semble qu'il y a des artistes à l'époque nationale-socialiste, mais pas un art national-socialiste à proprement parler.)
    Sans tout mélanger, le septième art n'en reste pas moins un art , non?

  • Pour moi qui suis marxiste, Madame, l'art est forcément la quintessence d'une société donnée. Les Bellini père et fils, Lotto, Titien, Tintoret, vous ne pouvez pas les comprendre vraiment en les sortant de leur contexte historique, la République de Venise. Cela n'empêche pas les miracles. Le talent exceptionnel de Titien est un petit miracle, autrement dit, mais Titien aurait pu naître dans un autre contexte beaucoup moins épanouissant.

    Je pense que vous comprendrez pourquoi les démocrates préfèrent généralement une approche plus idéaliste de la peinture, plus romantique, avec cette approche on reste dans le flou, on insiste sur la personnalité de l'"artiste", son discours, et on occulte sa petite production qui dépasse rarement le stade du pastiche ou du dilettantisme à la sauce philosophique.

    "Le 7e art", c'est la même chose, de la propagande de la part d'une société qui tente de dissimuler que sa production artistique est piteuse.
    Baudelaire a bien raison de dire, à propos de la photographie, et la même analyse s'applique au cinématographe, qu'on est là dans le domaine de la technique et non pas de l'art. Il plaide pour accorder à la photographie un rôle documentaire. C'est aussi la place du cinéma - le cinéma "d'art et d'essai", c'est un os à ronger pour les bobos !
    Tout l'intérêt de la discrimination de Baudelaire est là. Il ne découpe pas des étiquettes pour découper des étiquettes, contrairement à un philosophe kantien, par ex., mais parce que c'est un vrai moderne qui souhaite assigner à la technique le rôle qui est le sien !

    Le problème du cinoche, en outre, par rapport à la photographie, c'est que si on peut être ému par les balbutiements de ces techniques, entre les mains de gens intelligents, je pense à Nadar ou à Chaplin, Buster Keaton, le problème du cinéma c'est que c'est très vite devenu un gigantesque "business" (Cf. "Vile Bodies" pour une vision satirique du milieu du cinéma.)

  • http://www.youtube.com/watch?v=x6-0Cz73wwQ
    Si ce n'est pas de l'art, Lapinos je ne sais pas ce que c'est!
    En tout cas c'est plus que de la technique!

  • Questions candides d'une béotienne :
    - n'y a-t-il pas une part de technique dans toute forme d'art, dans toute expression artistique ?
    - le génie n'est-il pas celui qui transcende les catégories socio-politico-économiques de son temps ?


    N'êtes-vous pas ému quand vous écoutez Vivaldi ou Mozart, quand vous contemplez Rembrandt, Vermeer ou Nattier?

  • Merci Mademoiselle! Vous exprimez ce que je pense bien mieux que je ne le fait moi même!

  • La technique dans l'art est secondaire ; voyez le dessin, la musique, ça tient à peu de moyens techniques. Dans le cinéma c'est l'art qui est secondaire et la technique primordiale. Aujourd'hui le cinéma est même devenu un pur produit commercial.

    Je sais bien qu'il est à la mode de tout marquer du label "artistique", la cuisine, le patchwork, le football, la pêche à la ligne, le cirque Pinder, c'est très démocratique ; mais je préfère me ranger du côté de Baudelaire qui n'est guère démocratique, Mesdames.

  • Cher ami, je ne crois pas être le moins du monde artistique lorsque je cuisine, je couds...ou autre....cependant,Leni, elle crée......je maintiens!

  • Je connais mal l'œuvre de Léni Riefenstahl, mais il me semble qu'elle n'avait pas une prétention artistique, plutôt un but de propagande ou documentaire. Moi-même j'aime beaucoup les documentaires et je regrette qu'ils soient occultés par le cinéma à prétention artistique, toute cette infra-littérature aussi prétentieuse qu'ennuyeuse et inutile, c'est ça qui est insupportable, c'est ça que fustige Baudelaire qui s'en prend au mauvais usage de la technique photographique. Il faut ordonner les moyens aux fins, voilà ce que dit Baudelaire, le Baudelaire censuré, inquiet de l'anarchie démocratique ORGANISÉE par les marchands assoiffés d'or.

    Après, qu'un véritable artisan vaille mieux qu'un faux artiste, c'est pas moi qui vais vous dire le contraire, Madame.

  • tiens, Lapinos, puisque nous parlons d'art....avez vous écouté (et apprécié), le "Te Deum" de Jeanne Barbey?

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